Un très beau recueil de nouvelles que je recommande.
Les nouvelles sont très différentes les unes des autres, mais en réfléchissant bien le sont-elles vraiment ? C'est vrai que les endroits et les époques changent, mais l'humanité est toujours là. L'auteur a un éventail large : il change de ton ou de style, première ou troisième personne, passé ou présent, textes parfois courts parfois plus longs, mais je me suis laissée surprendre à chaque fois et pas pour la même raison. Parfois, c'est la fin qui vous prend au tripes, d'autres fois c'est le style qui envoûte (par exemple l'histoire d'amour entre Volodia et Svetlana est déchirante). Dans quelques nouvelles on flirte avec le fantastique. L'auteur se permet aussi d'entrer dans la psychologie de personnages très ambigus qui ont tout pour être détesté. Mais toujours cette humanité profonde, et ça nous les rend proche.
Je dirais que c'est un vrai livre littéraire, le genre de livre à bousculer les certitudes avec quelques claques qui font aimer d'avoir mal.
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De jolies nouvelles, empreintes d'humanité, de sentiments, de peurs, de poésie. Une belle écriture.
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Une idée me passe par la tête, miraculeuse : les jeux d'hiver ne peuvent regrouper que des pays de montagnes, de neige, de marques prestigieuses d'après-skis, de sports de glisse pour riches et de Santa Claus obèses... Pas d'Amérique latine, pas d'Afrique, pas de pays arabo-musulmans, pas d'Iran, pas d'Asie du Sud-Est. Que des nations grasses, propres, supérieures et enneigées. J'avais entendu au journal télévisé que les Afghans aussi vivent dans un pas montagneux et qu'ils connaissent un hiver terrible. J'ai vu leurs montagnes, toutes desséchées, maigres, cisaillant à l'horizon un ciel terreux. Pas des montagnes pour les jeux, pas assez souriantes, pas assez insouciantes. Derrière le président, quelques connasses de l'équipe de ski agitent les mains et leurs dents blanches. Leur humanité est la plus humaine. Elles portent de magnifiques parkas claires, leurs yeux brillent de fierté. Elles ont eu raison de naître dans ce pays-ci. Tant pis pour les autres.
(extrait de "Fils de Saturne")
Son père. Tombé au front, à quelques jours de l'armistice. Elle, née six mois après la fin de la guerre. Qu'est-ce qu'il dirait de tout ça, ton père, hein ? Ce jeune prétentieux pétri par la république, il parlerait encore des boches - c'est ainsi qu'il disait - comme moi j'ai toujours parlé des bolcheviques. Il n'a jamais rien compris la politique. Je t'aime petit frère, mais la balle allemande qui t'a troué la peau était une providence. Il le fallait. Tu t'es trompé sur toute la ligne. Ta Louison, ma Louison, elle n'a pas reçu le fatras des idées nauséabondes que tu lui destinais.
(extrait de "Mon meilleur ami")
Je ferme de nouveau les paupières. Tu es là, je te vois. Tu arbores un sourire un peu triste dont le pouvoir d'envoûtement me fait songer - tiens, oui - à la Joconde. Ton pull blanc immaculé se reflète dans la grande vitre qui donne sur la rue. Dans ce monde parallèle qui se mêle à la réalité pluvieuse du dehors, ta chevelure a disparu, ton visage est un amas vaporeux qu'un dixième de seconde change en halo blanchâtre et éphémère, à chaque remuement de tête, étrange nuage voletant qui se confond avec le pardessus d'une passante, puis - plus troublant encore - le profil d'une autre.
[Rupture]
Svetlana aux cheveux grisonnants collés aux tempes et au front, face émaciée, Svetlana rongée de l'intérieur par cette maladie maudite, cette tumeur occidentale dont on n'avait pas besoin ici pour mourir. On ne mourait pas de la sorte avant, dans ce pays, on partait à cause de la nourriture insuffisante en calories, de l'alcool trop fort, du travail trop dur ou du harcèlement policier. Il y avait suffisamment de moyens pour éreinter les corps, asservir les âmes.
(extrait "La Valise")
Un livre peut-il rendre un homme fou ?
Non pas fou d'amour, de passion idéaliste, comme n'importe qui pourrait le devenir pour une femme, pour son propre enfant, mais cliniquement fou. [...] Il s'agit pour moi de savoir si un livre, un simple livre, peut dérégler un esprit et, par le désordre mental infligé, faire chavirer la vie de cet homme.
Film de Cédric Daly (2021). Voix-off : Christophe Ravet. Texte de David Pascaud. D'après le polar L'affaire DeMerks (Jerkbook Editions).