« Etre ou ne pas être…question…réponse » disait le message enregistré sur le répondeur, comme un dernier pied de nez à la vie et au monde.
Serge Gainsbourg s'éteignait peu après, le 2 Avril 1991, dans son hôtel particulier de la rue de Verneuil, après avoir lutté contre la maladie et achevé douloureusement l'album « Amour des feintes » écrit pour
Jane Birkin. Son dernier cadeau…
« Gainsbourg – le livre du souvenir » est une des plus belles biographies jamais écrites sur l'artiste.
Absolument tout dans ce grand livre est magnifique : les photographies en noir et blanc y sont tout simplement splendides. Elles nous parlent aussi bien que le texte, déjà très riche, et l'illustrent remarquablement en l'habillant d'éclats d'ombre et de lumière pour révéler, entre fragilité et provocation, les nuances et les contrastes du personnage.
Le phrasé du biographe quant à lui, restitue admirablement les facettes de l'artiste hors du commun qu'était
Serge Gainsbourg, dans un grand souci d'exactitude dans la précision des faits.
De la naissance du petit Lulu Ginsburg à Paris le 2 avril 1928 jusqu'à la mort du grand Serge le 2 mars 1991, la biographie de
Bernard Pascuito nous permet la rencontre d'un personnage haut en couleur avec un luxe de détails et une approche psychologique superbement exposés grâce à une écriture pleine de sensibilité, qui a su cerner l'homme et se positionner au plus près de l'être intime.
Il se rêvait peintre, il a été auteur-compositeur-interprète, musicien, écrivain, acteur et cinéaste, un artiste à part entière, un touche à tout de génie, l'une des plus grandes figures de la chanson française du 20ème siècle.
De l'enfance pauvre de ce fils d'immigrés juifs-russes et du port de l'étoile jaune vécu comme une injustice et une infamie, de ses débuts de pianiste au cabaret « Milord l'Arsouille » et sa rencontre décisive avec
Boris Vian, de ses premiers succès, de ses derniers échecs…il y a tant à dire…
Toute une existence riche, dense, foisonnante, par laquelle on découvre un homme à fleur de peau, incapable de goûter à la saveur de ses réussites, complexé par une laideur qu'il cache sous un cynisme de façade.
« On est de son enfance comme on est d'un pays » disait
Saint-Exupéry ;
Serge Gainsbourg a toujours gardé au fond de lui l'amertume et la mélancolie des familles d'exilées.
Gainsbourg bourré, Gainsbarre barré, Gainsbourg border-line, ses colères, ses provocations, ses excès d'alcool, de tabac, de vulgarité, vous trouverez tout et plus encore dans ce magnifique ouvrage qui va sonder le coeur de l'homme autant que de l'artiste. Car Art, Vie et Mort sont indissociables chez Gainsbourg, cet « aquoiboniste, faiseur de plaisantristes », qui joue avec les mots comme un poète maudit avec un art de la provoc et une impertinence quelquefois à la limite du bon goût.
Cette arrogance c'est son élégance du pire, la dérision affichée pour camoufler les larmes, notamment lorsqu'on aborde la question du physique.
« On ne sait jamais très bien s'il est de face ou de profil. Dire qu'il ressemble à un Braque ou à un Picasso serait déjà lui donner de la couleur. Il est sans couleur et moins un visage qu'un brouillon de visage ».
Après un tel portrait comment ne pas se renfermer dans le cynisme pour ravaler ses pleurs ?
Les centaines de musiques et de chansons qu'il composera, porteront toujours les marques et les cicatrices d'un coeur meurtri très tôt.
Il est « le laid qui fait chanter les belles » mais les femmes n'auront que faire de sa soi-disante laideur, révélant au contraire le génie créatif qu'il possède à l'état brut.
Brigitte Bardot,
Jane Birkin, Isabelle Adjani, Charlotte sa fille ou Vanessa Paradis…les femmes de sa vie, ses muses, ses compagnes, ses égéries.
Si pour beaucoup, il représentait un mystère, s'ingéniant à brouiller les pistes autant pour s'amuser que pour se protéger,
Bernard Pascuito fait tomber le masque, révèle le Docteur Jekyll derrière le Mister Hyde, le Gainsbourg sentimental, le musicien perfectionniste, l'homme désenchanté derrière le Gainsbarre irrespectueux, dédaigneux et provocateur.
Discographie de 1958 à 1990 et filmographie comprenant mise-en-scène, réalisations de courts métrages et de clips, interprétation des rôles, films publicitaires et musiques de films viennent ponctuer l'album qui s'ornent également d'aphorismes et de citations de l'artiste et de ce que ses amis proches disaient de lui.
Avec une taille grand-format de 36 cm de haut sur 26 de large, «
Gainsbourg, le livre du souvenir » n'est certes pas de ces bouquins qu'on peut emporter partout avec soi. C'est un livre d'art autant qu'une biographie ; un livre à parcourir, à feuilleter, à admirer grâce à une mise-en-page de premier ordre.
Gageons que tout fan de l'artiste se réjouira de le posséder dans sa bibliothèque et le conservera précieusement.