"
Qui je suis" est un texte inachevé composé en vers libres et écrit en 1966. Il a été traduit, préfacé et annoté par
Jean-Pierre Milelli.
Pasolini y évoque son enfance, la mort de son frère Guido engagé dans le parti "Action", ses rapports avec son père, combattant fasciste, sa vocation de poète communiste, bientôt supplantée par l'expression cinématographique. Il brosse le scénario de ses futurs films, dont "
Théorème" qui fit un scandale à sa sortie en 1968.
Son imagerie mentale est un mélange de révolte contre ses origines bourgeoises, de symbolique religieuse puissamment charnelle et d'érotisation des relations père/fils : la figure du père est évoquée comme ennemie du fils, envoyé par son géniteur dans les charniers des guerres ; le fils, dans sa volonté de vivre et de préparer un monde nouveau plus juste, doit arracher à son père le pouvoir, et il le fait au moyen de son charisme sexuel.
Que les générations des pères sacrifient celles des fils, voilà une idée familière résultant de l'observation du déroulement des guerres : mais celle de la destruction érotique du père par le fils est une symbolique plus insolite. Pourtant si le Père représente bien l'ancien monde mortifère et ses valeurs bourgeoises, on conçoit que les forces nécessaires pour détruire sa nuisance criminelle soient qualifiées d'"érotiques". Car le mécanisme de renversement des aînés repose sur l'action de la "libido", prise comme synonyme d'érotisme. L'érotisme n'est autre que la force vitale d'affirmation de la vie face à la vieille idéologie "fasciste" qui fait des jeunes hommes et femmes des morts vivants et même des morts tout court.
L'écroulement des valeurs du père est bien représentée dans le film "
Théorème", dont
Pasolini ébauche le scénario à la fin de son poème : la visite d'un ange à la fois pur et démoniaque, mais atrocement séduisant, y vient à bout de tout l'édifice bourgeois et conservateur.