AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,29

sur 90 notes
5
3 avis
4
5 avis
3
4 avis
2
7 avis
1
1 avis

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Une symphonie stylistique de répétitions et d'abstractions dans la descente dans la folie du narrateur, et une enquête palpitante, voila ce que combine, comme d'habitude, ce roman de David Peace... Mais comme la plupart du temps, il sacrifie l'enquête lorsque le narrateur bascule vraiment, et c'est plus que jamais frustrant ici, alors que j'adhérais totalement au trip textuel et à l'intrigue!

J'ai longtemps repoussé la lecture de ce roman-là, mal noté sur Babelio, et qui me semblait moins délirant sur le plan de l'écriture... J'avais complètement tort sur ce dernier point, et sur 90% de Tokyo année zéro, je me suis ré-ga-lé des constructions phrastiques, des passages complètement hallucinés et répétitifs, en m'attachant à ce cher Inspecteur Minami, qui s'incline et qui s'excuse...

Mais le dernier chapitre fait tout sauter. Alors qu'on est depuis le début dans une intrigue similaire à celle de la tétralogie du Yorkshire de Peace (le tueur en série qui a réellement existé, Kodaira Yoshio, s'en prend aux jeunes femmes sous le climat apocalyptique du Japon post-bombes atomiques) et que comme dans cette saga, le doute est permis sur l'existence d'un autre ou d'autres tueurs, voire de possibles accidents... Peace se fiche de la résolution et nous offre une fin déliquescente à la Lewis Carroll où on ne sait plus du tout quoi penser FRUSTRATION. On est tellement happé par l'enquête, que forcément, on est déçu...

Alors certes, Peace dira s'attacher plus à la peinture d'une folie causée par l'horreur d'une époque, à la conception d'une écriture géniale descendante de Joyce, Faulkner et Beckett (et le roman accumule les passages grandioses grâce à elle, le début très fort, les voyages en train, la campagne, les errances de Minami dans Tokyo, le quotidien cyclique à la Un jour sans fin...) mais bon sang, ce serait bien qu'une fois de temps en temps, il évite de faire de l'anti-roman policier, de l'anti-Agatha Christie, et qu'il donne quelques réponses aux questions qu'il pose! Sinon, qu'il ne fasse plus du polar, mais purement du roman sur la folie à la Dostoïevski, et cela évitera les déceptions finales! Il atteint des sommets d'écriture ici, et ma déception sur le manque de résolution claire n'en est que proportionnelle...

Reste que le propos est évidemment passionnant. Le Japon post-1945 tient à coeur à l'auteur, et le dénuement absolu dans lequel se déroulent les investigations est tout bonnement stupéfiant, rappelant d'autres territoires aujourd'hui. Le pays n'est plus que ruines, on est au milieu d'un enfer beckettien dont la mort serait une délivrance, où l'occupant américain fait absolument ce qu'il veut, et où les japonais si fiers n'ont plus qu'à se soumettre et mourir, tout en perdant toute raison... L'idée des identités factices et provisoires est géniale, et ajoute au cauchemar généralisé (et bien évidemment à celui de Minami), à cette fresque de morts-vivants sans nom trébuchant sur leurs répétitions et humiliations...
Commenter  J’apprécie          132
La langue reine de l'obsession intime et du malaise physique au service du très noir Tokyo en ruines de 1946.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2019/07/16/note-de-lecture-tokyo-annee-zero-david-peace/
Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          40
Premier volume d'un cycle consacré à la ville de Tokyo après la seconde guerre mondiale, ce roman s'inspire d'un fait divers qui sert de point de départ à la construction d'un thriller hors du commun, un renouvellement du genre que poursuit Tokyo, ville occupée (2008) et Tokyo Redux (2020), pour ceux qui ont le coeur bien accroché.

Bien que dans le Tokyo de 1946, les malheureux personnages de Tokyo année zéro soient accablés par une chaleur humide et implacable au coeur du mois d'août 1946, je suis glacée d'effroi, de tristesse et de détresse tout au long de cette enquête sur des crimes sordides dont la noirceur fait presque pâle figure ainsi immergée dans un monde détruit, un monde de cendres, de gravats, de vermine et de famine.
Le récit est conduit à la 1ère personne. Ainsi le lecteur entre-t-il dans la conscience de l'inspecteur Minami, de la police de Tokyo, une conscience déchirée entre un métier qui n'a plus de sens, une maîtresse qui n'a plus de réalité et une famille qui n'a plus d'existence. Pour ces trois univers qui font la vie d'un homme, il n'y a plus de pensée possible. Alors les seuls mots qui subsistent dans la conscience de Minami ce sont ceux de la faim, ceux de la crasse et du dégoût, ceux de la défaite et de la mort, ceux de la sueur et des démangeaisons, gari-gari.

Et pourtant l'inspecteur Minami « compte au nombre des vivants ». Malgré tout, l'inspecteur Minami mène l'enquête.

Souvent les romanciers prennent un malin plaisir à effacer la frontière entre le rêve et le réel. David Peace, lui, sans plaisir, s'emploie à faire disparaître la frontière entre la mémoire et la conscience du réel, entre le souvenir omnipotent du passé et la perception inéluctable et insupportable du présent, de ce mois d'août infâme de l'année 1946. Ainsi, au fil des pages, surgissent les images insaisissables des temps glorieux de l'Empire du Levant, de l'ordre ancestral des êtres et des choses, et des fulgurances sanglantes de la guerre qui détruit encore les vivants après avoir anéanti les morts. Et le personnage de Minami est enfermé, emprisonné dans ce puissant conflit intérieur entre un passé qui veut s'imposer et un présent qu'il faut vivre, car Minami ne veut pas se souvenir mais Minami ne peut pas oublier : « je ne veux pas me souvenir...Mais ici dans la pénombre, je ne peux pas oublier... » C'est dans cette étroite et épineuse intersection que survit la conscience de Minami, cellule du malconfort si exiguë qu'aucune posture n'y est tenable ; cellule aux murs de laquelle se cogne, page après page, le lecteur assidu et qui ne s'inscrit dans une réalité objective que dans les dernières pages.

Et pourtant l'inspecteur Minami « compte au nombre de ceux qui ont eu de la chance. » Malgré tout, l'inspecteur Minami mène l'enquête.

Effectivement, le lecteur suit l'inspecteur Minami dans son enquête : quatorze jours d'enquête dans une chaleur torride, sous un soleil de plomb. Ce ne sont pas seulement les ruines des palais, des temples, des immeubles et des rues de Tokyo que j'arpente avec lui, ce sont aussi celles des âmes, des coeurs et des consciences de ceux qui survivent. Et l'on étouffe sous les gravats, on sue de honte et d'humiliation, on pleure de haine et on vomit de dégoût et de peur. Seules les sensations dominent : le chiku-taku de la montre, le ton-ton du marteau, le potsu-potsu des gouttes de pluie qui tombent enfin sans rien rafraîchir, en transformant la poussière en boue, le gari-gari du grattement des ongles sur la peau, la faim, la crasse, la peur, la haine. Tout cela se juxtapose et interfère pour devenir un magmas humain confus et inconnaissable. Et tout cela sans perdre le formalisme d'une courtoisie sans faille. On se salue, on s'incline, on s'excuse, on s'incline à nouveau, on ne discute pas les ordres, on obéit, on s'incline encore, on s'essuie le visage et on s'essuie la nuque, on remercie, on s'incline, même vaincu, même brisé, même en miettes, même la mort au coeur et l'arme à la main, on s'incline et on s'excuse, car, n'est-ce pas, « personne n'est qui il prétend être ».
Les victimes s'accumulent et s'entassent ainsi que les questions sans réponses, ainsi que les mensonges. Et chaque fois que l'on croit apercevoir une éclaircie, elle s'assombrit, retourne, dés qu'elle est saisie par l'oeil, dans le pays des ombres. Et lorsqu'on s'échappe de Tokyo, on croit bêtement qu'on va mieux respirer hors de la ville en ruine, à la campagne, dans le département de Tochigi. Mais c'est un leurre. Il y fait aussi chaud et les cadavres s'y accumulent plus encore. On jongle avec les squelettes, les débris de vêtements, on entasse tout dans le sac de l'armée de Minami et on porte le fardeau… Et la question demeure : qui est qui ? Parce que « personne n'est qui il prétend être. »

Alors, parvenue au bout du chemin, sagement repliée dans la cellule obtuse de mon pauvre esprit épuisé, je mets fin à l'épreuve et je referme le livre. Je m'essuie le visage et je m'essuie la nuque. Mais ça me démange encore, gari-gari...
Commenter  J’apprécie          32
Livre un peu déroutant dans le contenu du récit, mais l'écriture très précise fait que l'on ne peut pas quitter ce livre, on veut en savoir plus, comprendre...
Commenter  J’apprécie          20
Plongée obsédante dans une période qui n'aurait jamais dû exister pour un lieu, Tokyo, qui m'a donné l'impression, la première fois que j'y suis allé, d'aborder une autre planète civilisationnelle. Étonnant roman dans lequel cet auteur, pourtant anglais, nous immerge, que dis-je, nous balance dans la peau d'un inspecteur un peu largué, confronté à ses démons, présents et passés, et je vous assure que les japonais sont très forts pour ce qui concerne l'univers des tourments. Si c'était un film, son titre pourrait être : dans la peau (ô combien irritée - gari gari) de l'inspecteur Minami. Un plongeon qui ne se fait pas sans douleur, y compris pour nous, lecteurs, car l'auteur ne nous ménage pas, nous inondant des pensées et sensations de ce pauvre homme qui se débat dans un environnement pour le moins ingrat. Oui, l'intrigue avance pesamment et il est parfois difficile de s'y retrouver avec les noms des personnages auxquels nous ne sommes guères habitués. Mais quelle claque de nous faire vivre cette tranche de temps où le Japon, et surtout les japonais, peinaient à redresser tant bien que mal la tête. Un roman lourd et certes un peu trop long, mais que je n'oublierai pas de sitôt.
Commenter  J’apprécie          10


Lecteurs (262) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (6 - polars et thrillers )

Roger-Jon Ellory : " **** le silence"

seul
profond
terrible
intense

20 questions
2867 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , thriller , romans policiers et polarsCréer un quiz sur ce livre

{* *}