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3,53

sur 92 notes
“La nature humaine, c'est de l'ombre maquillée. A la regarder de près on voit la grimace, le démon sous le brave homme.”

En quelques phrases, une ambiance est créée, en quelques pages le décor est planté, le contexte esquissé : celui de la guerre d'Algérie, de la tension qui monte entre les communautés, d'un racisme exacerbé par les attentats du FNL et qui se transforme en haine. Une haine décomplexée, revendiquée et violente envers ceux qui furent peut-être jusqu'alors des étrangers plus ou moins tolérés mais ne sont désormais plus que des “Arabes”, de potentielles menaces et des cibles à abattre.

C'est dans ce contexte de haine apeurée et réciproque, de provocations mutuelles et de rixes sanglantes où, de part et d'autre, le goût du sang peut servir d'exutoire à la médiocrité intellectuelle, à la petitesse des âmes, aux raccourcis faciles et aux simplifications excessives que se situe le récit, tandis qu'au fil des pages passe et s'installe une ombre furtive et clandestine, presque un fantôme, un homme en fuite, “homme lisière, à l'écart du ciel (à qui il) faut la futaie, l'abri des branchages, le haut couvert des arbres.”

Le rythme soutenu, les chapitres courts, l'écriture rapide, nerveuse, délibérément “prolétaire” mais en réalité extrêmement élaborée, émaillée de petits détails qui ressuscitent avec une crédible authenticité la France populaire et besogneuse des années cinquante, tissent une intrigue faite d'histoires imbriquées que viennent nourrir les lambeaux du passé en un récit plein de suspense, de mystère et de choses tues - car “les mots, il en est qui vous écorchent la bouche, trop grands qu'ils sont. On les ravale.”

L'analyse psychologique, les descriptions et le sens du détail donnent un relief particulièrement convaincant à des personnages aux aspirations ordinaires, aux plaisirs simples, ne demandant a priori rien d'autre que le droit de gagner leur vie difficile et précaire sans faire de tort à quiconque et sans qu'on leur en fasse, des “homme fourbus (qui) savent le petit bonheur d'un café ordinaire, de la chaleur d'une soupe.” Mais dans le monde obscur des hommes, tout est apparence, illusion, “hével”, et les atrocités de la guerre d'Algérie, le bourbier des circonstances et les brumes toxiques du passé arrachent les masques, dénudent la vérité des coeurs et font basculer les destinées.

Une très belle plume, une reconstitution historique minutieuse, un récit complexe, profond et passionnant… Bien au-delà du “simple” roman noir, Patrick Pécherot signe ici, avec "Hével", une belle page de littérature. Et j'ai vraiment beaucoup aimé.

[Challenge Multi-Défis 2020]
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Gus et André à bord d'un camion Citroën à bout de souffle, sur les routes enneigées du Jura chargent et déchargent des cageots de villes en villes.

Nous sommes en 1958, dans les relais routiers entre une saucisse purée et un ballon de rouge la radio donne des nouvelles de nos valeureux soldats partis remettre de l'ordre en Algérie.

Sur les route verglacées, ces « évènements », pourtant lointains, vont percuter de plein fouet la vie des deux routiers. La mort d'un chibani dans la cité dortoir d'une ville ouvrière perdue en Franche-Comté, ça n'intéresse personne.

Mais alors pourquoi ce gros développement de la police nationale dans les environs de Morez ? Et puis soixante ans plus tard il y a il y a la confession de Gus.

Nous sommes dans la France morne et grise des années 50, la France de l'OAS, de l'ORTF, de l'ennui et de la voix de son maitre.

La langue c'est de l'argot, du pur, du brutal, un vrai vocable des trois-huit, de la sueur et du zinc. Devoir de mémoire obligatoire pour rayer à jamais le scandaleux euphémisme « évènement » par le mot vrai « guerre d'Algérie », Patrick Pècherot écrit un roman triste, une série blême sur des laissés pour compte qui ne serons jamais des héros. Un grand « Noir » de chez Gallimard qui mériterait la « Blanche ».
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Après la commune, la première guerre mondiale et celle de 39/45, Patrick Pécherot a de nouveau choisi une heure sombre de l'histoire de France comme thème de son nouveau roman. Cette fois-ci c'est dans le Jura des années cinquante qu'il nous transporte pour nous conter une histoire de conscience sur fond de guerre d'Algérie. Un peu comme Didier Daeninckx l'a fait dans des romans comme : « Meurtre pour mémoire » ou « le bourreau et son double », il nous parle des séquelles que ce conflit a laissé dans les esprits ou plutôt est en train de laisser, puisque son roman à lui se déroule bel et bien pendant la guerre et non des décennies plus tard.
Cela lui permet de faire revivre cette époque difficile pour le populo dont les conditions de vie sont encore relativement précaires en dépit du plein emploi dans un pays qui se reconstruit. Son récit est donc très orienté sur les aspects sociaux de l'époque. On prend le pouls de la société d'alors en compagnie de Gus et André, on visite les petites entreprises qui vivotent, les routiers où se côtoient les ouvriers, le zinc où l'on refait le monde à grand coups de canons, les premières cités... La guerre, elle, n'est que suggérée. On n'en sait que ce que la TSF veut bien en dire ou ce que les témoins en racontent. Pour le reste il faut se contenter du discours officiel ou de ses répercussions en métropole : les manifestations des travailleurs algériens et les porteurs de valises.
Les héros de Pécherot n'y sont confrontés que par la bande. Et encore, c'est davantage à leurs démons intérieurs qu'ils ont affaire. Ils vont notamment devoir surmonter leur rancune et leurs préjugés et apprendre à juger les gens « au singulier », à voir le gamin dans le bidasse ou le père de famille dans l'arabe et décider s'il y a une différence à faire passer la frontière à un juif en 1945 ou exfiltrer un membre du FLN ou un déserteur en 1958. Ce faisant, il nous rappelle cette évidence trop souvent oubliée qui consiste à ne pas considérer les individus en fonction de leur milieu, de leur race, ou de leur religion.
Les amateurs d'intrigues alambiquées ou d'enquêtes rondement menées seront sans doute déçus. C'est un instantané de vie que nous propose l'auteur et les seuls mystères à éclaircir sont ceux qui se lovent dans la personnalité des personnages, dans les recoins intimes de leur cerveau. le roman n'en est pas moins passionnant et l'on se demande jusqu'au bout quelle route vont emprunter les protagonistes. Celle de la colère et de l'appât du gain ou celle de la compassion.
L'écriture est en revanche particulièrement soignée. Elle possède une puissance d'évocation peu commune grâce à une plume qui mêle l'argot à la littérature pour accoucher d'une poésie de la dèche. Si vous ne me croyez pas, ces quelques lignes devraient suffire à vous convaincre : « Sept bâtisses barrant l'horizon comme pour le rayer de la carte. Des fenêtres à fientes, des caniveaux à reflux, des puanteurs de marais. Quatre cent personnes à loger. Des familles, les mômes en ribambelle, cannes de serins et morve au nez. Les hommes usés avant terme, les femmes plus fanées que leurs couronnes de mariées. de la fatigue à chaque étage et des tâches ménagères qu'on ne s'imagine plus. Les marches à grimper, les brocs à transbahuter, les lessives à casser le dos, le charbon à monter, les corvées de patates et la cuisson des nouilles. La toilette à la bassine, les matelas côte-côte et les sommeils tête-bêche. Des aubes froides, des jours crasseux et le soir, lumière éteinte dans la carrée unique, les étreintes expédiées à la va-comme-je-te-pousse. »

Lien : http://sfemoi.canalblog.com/..
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A l'inverse de Taipo, j'ai beaucoup aimé ce 1er livre d'une série que j'essaierai de lire ,concourant pour les Ancres Noires 2019 du Havre.
L'histoire se déroule pendant la guerre d'Algérie : deux hommes Gus et André se démènent au volant d'un vieux " citron"pret à rendre l'âme pour dégoter du frêt ,afin non pas de vivre mais survivre.Une solide amitié soude les deux hommes jusqu'au jour où l'arrivée d'un passager clandestin va semer la Zizanie ,détruire petit à petit leur amitié. Au travers l'histoire l'auteur a très bien retranscris cette page de notre histoire où le racisme qui régnait à cette époque entraînait souvent de graves rixes allant jusqu'à la mort.
J'ai été rapidement immergée dans l'ambiance et l'atmosphère quelque peu glauques à certains moments.La gouaille argotique et populaire et cette façon d'interpeller le lecteur m'ont plu et m'ont vu sourire ,ce petit côté Frederic Dard est sympa.Un auteur que je vous invite à découvrir. ⭐⭐⭐⭐
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Voilà un roman noir, très noir, mais bon, très bon. C'est l'histoire de Gus et d'André, racontée par Gus soixante plus tard. André et lui étaient chauffeurs-livreurs sur les routes de France à la fin des années cinquante. La guerre d'Algérie fait rage et le pays est divisé. Sur la route d'André et Gus, on croise Simone, la patronne d'auberge et compagne occasionnelle d'André, les gendarmes, nombreux et soupçonneux en ces temps troublés, la neige des routes du jura, des ouvriers, des émigrés, et Pierre, passager clandestin d'un jour, qu'André prend sous son aile, laissant Gus jaloux et prêt à tout. Ce court et dense roman m'a happée. J'ai adoré la langue, cet argot âpre qui fait mouche et qui nous plonge dans un film noir et blanc de l'époque. On ne serait pas surpris d'y croiser Gabin, Ventura ou même Belmondo (jeune). Et j'ai beaucoup aimé aussi l'intrigue, entre tragédie classique et polar. Excellent. Merci Babelio et Gallimard, une opération "Masse-critique" très payante.
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J'ai lu ce livre dans le cadre d'un prix (Prix folio Polar) organisé par une libraire. Je ne connaissais pas cet auteur, simplement que ce livre était un polar.

Effectivement l'intrigue est intéressante car elle se passe dans le Jura en Janvier 1958, au moment de la Guerre d'Algérie. le livre décrit l'ambiance de l'époque, les regards, les gestes, les paroles qui évoquent toutes les tensions de cette période de notre histoire. Et tout au long du livre, on ressent une oppression, une noirceur, une angoisse même qui monte au fil des pages, et on sent bien qu'il va se passer quel que chose de grave.

L'écriture est forte, puissante, et la narration est judicieuse. Pourtant, ce polar ne m'a pas emportée ... et je ne sais pas trop pourquoi. Et pourtant, il a été qualifié de "meilleur polar de l'année" par François Busnel ... alors chacun son ressenti ;-) C'est ça la beauté de l'écriture !

CHALLENGE ABC 2019 - 2020
CHALLENGE MULTI-DÉFIS 2020
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En janvier 1958, Gus et Maurice se la jouent Salaire de la peur discount en convoyant des cageots de légumes et diverses marchandises industrielles à travers le Jura dans un camion fatigué. Janvier 1958, c'est aussi le coeur de la guerre d'Algérie. La Bataille d'Alger s'est terminée, mais les fellaghas tiennent le maquis et profitent de bases arrières en Tunisie et au Maroc. Côté armée française la gégène tourne encore. En métropole, y compris dans ce Jura pris dans la glace et la neige, des heurts entre bons français et ouvriers algériens ont lieu et virent régulièrement à la ratonnade. Gus et Maurice le voient et Gus y participe même un peu. Et puis il y a Pierre, le vagabond sans passé qui croise le chemin des deux camionneurs. Soixante ans après, Gus se confie à un journaliste sur cet hiver 1958 et sur un meurtre oublié et qui aurait à son goût dû le rester.
Nouvelle période pour Patrick Pécherot après ses romans sur la France de la première moitié du XXème siècle et Une plaie ouverte, qui prenait place durant la Commune. Ce qui ne change pas, par contre, c'est le plaisir de la langue, le désir de Pécherot de coller au parler populaire de l'époque qu'il décrit, et aussi, surtout, sa façon de jouer avec les apparences et d'aller chercher sous la pellicule du visible les vérités dissimulées et complexes. Ainsi joue-t-il ici du contraste entre le récit de Gus, personnage double, brave gars d'apparence, peut-être plus retors en fait, et ceux de Pierre et Simone qui révèlent peu à peu une autre histoire dans l'histoire. Une autre histoire qui est en fait l'histoire centrale, celle autour de laquelle Gus tourne sans vouloir réellement la mettre en lumière avant d'avoir pu se justifier.
Ce faisant, Patrick Pécherot livre là un roman d'aventure, sorte de road-movie glacial dans des villes mornes, et un roman historique qui dit avec subtilité les tensions qui agitent les populations qui vivent le conflit à distance, qui le payent par la mort de leurs proches de l'autre côté de la Méditerranée ou parce que de ce côté-là ils incarnent à leur manière l'ennemi invisible qui se cache là-bas. Surtout il dit la nature fluctuante et protéiforme de la vérité. Et la vérité qui prend peu à peu forme ici à travers les récits croisés des personnages a cela d'intéressant que, jusqu'au bout, elle n'apparaîtra justement que comme une vérité parmi d'autres et donc, aussi, à sa manière, un mensonge parmi d'autres quand bien même en émergent des faits tangibles.
Bien mené, bien écrit et intelligent, Hével confirme s'il en était encore besoin à quel point Pécherot est aujourd'hui le meilleur écrivain français de roman noir historique.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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C'est un livre aussi foutraque que sympatoche...
Des laissés pour compte,
des gens qui fuient,
des algériens,
des français,
un peu d'humanité, même quand la vie pousse au meurtre,
une de ces femmes qui attendent leur homme, le seul,
mais que tous les hommes espèrent...

Un polar qui peut se lire sans honte et sans laisser le moindre regret de l'avoir lu...
C'était ma première expérience de lecture d Patrick Pécherot, à qui je reproche son titre Hével, qu'il traduit par réalité illusoire, alors que le sens est Souffle...
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Il est des livres qui vous emportent, dont on ne sort pas indemne, celui-ci en fait partie. L'auteur reconstitue à merveille l'ambiance de la fin des années cinquante, sur fond de guerre d'Algérie dont il fait revivre par touches, sans prêchi-prêcha convenus et moralisateurs, les drames des acteurs, de chaque côté de la “ligne de frontˮ. Il n'y a pas de salauds mes des gens, souvent modestes, pris dans le tourbillon de “l'histoireˮ et des ses sinistres contradictions. Sous des dehors de “roman noirˮ, une magnifique tranche de destinées humaines que l'auteur habille de compassion et de sollicitude. Emouvant en diable.
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Janvier 1958. Entre les lignes de la guerre d'Algérie, en plein coeur du Jura, se jouent d'autres drames. Quoique ? Peut-être sont-ils reliés. Gus aide André à charger du fret dans son camion déglingué. Mais la besogne est rude et le travail bien rare. Et puis, en marge de la route que les deux compères tracent, on croise çà et là quelques arabes et un routard étrange, au regard vide.
60 ans plus tard, Gus se confie à un écrivain qui enquête sur un meurtre passé aux oubliettes. Alors Gus sort de sa ouate de silence pour livrer sa réalité – éphémère, illusoire, absurde – Hével, en somme.

« Hével » est le neuvième roman en Série Noire de Patrick Pécherot, et c'est une pépite, de celles qui frappent fort par leur écriture sans fioriture et qui se logeront définitivement dans un coin de mémoire.

Le lecteur est prévenu d'emblée : la réalité qui sera livrée pourra n'être qu'un subtil arrangement d'un homme face à sa noirceur. Qu'importe. Ou bien au contraire, tant mieux : le lecteur aura toute latitude de (re)construire sa vérité, celle aussi qui pourra l'arranger. Cela étant posé, on navigue sans mal dans les confessions de Gus, qui se plaît à digresser, dépeindre la neige, sa couleur, mais aussi son bruit, ou encore ce que sa ouate cache et que le dégel rendra aux hommes. Malgré une confession en forme de labyrinthe, l'intrigue est bien construite, avec quelques scansions d'autres voix qui ponctuent le récit de Gus, en contrepoint. Après « La route », on suivra « La trace » et on atteindra sans doute tout en haut – ou tout en bas – l'envers du décor, de l'Histoire.

Patrick Pécherot décrit habilement dans « Hével » un drame entre les lignes sombres de l'histoire française, le destin de victimes collatérales broyées dans leur humanité. L'écriture oscille entre argotique, cru et cruauté des événements, et envolées – aussi fugaces que poignantes – vers des beautés indicibles. « Hével » est un roman qui réussit un numéro d'équilibriste, entre désespérance sur la nature humaine et humour salvateur, bien que noir : « de l'ombre maquillée », finalement, à l'image de « la nature humaine ».
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