Bâtiments de blé, insubmersibles aux tempêtes de terre, qui debout contre le vent, contre les larges vents d'automne, contre les durs vents d'hiver, contre les mous vents d'ouest, contre les secs vents d'est, contre la neige, contre la grêle, contre les interminables pluies, contre ces pluies inépuisables d'automne et des hivers doux, contre ces éternités de pluies figurations d'éternités, où tout l'air pleut, où le vent pleut, où le ciel pleut et vous pénètre l'âme, comme si ce fût ensemble et indéfiniment et on ne sait plus si c'est la pluie qui vente, le vent qui pleut, debout contre les quatre points cardinaux, et même, eux aussi, contre tous les points collatéraux que l'on voudra, par tous les temps sans bouger de place naviguez indifféremment contre tous les temps, grands bâtiments de charge qui faites et tenez tête à toutes les tempêtes de terre, bâtiments qui naviguez toujours, et toujours à la cape, bâtiments au gros ventre, au ventre plein, non obèse, bâtiments aux courbes nautiques, dessinées pour fendre les vagues du vent, les vagues de la pluie, les vagues de l'infortune.
Et pour tout le monde la ville du monde la plus insupportablement cosmopolite ; une orgie des nations ; un carrefour le plus banal du monde ; un caravansérail des peuples ; la plus antique des Babels modernes ; la confusion des langues ; la plus moderne des Babels antiques ; un boulevard où on parle tout excepté français. Surtout quand on se met à y parler parisien.
Ville du monde la plus internationale, et la seule véritablement internationaliste, passage et séjour des peuples de la terre, de tous les peuples ; et ville nationale, même étroitement, et nationaliste.
Une province à soi toute seule, une nation, un peuple à soi toute seule ; un royaume, un monde à soi toute seule. Et non pas seulement capitale du royaume. Mais capitale du monde.
Fleuve qui chantes éternellement le poème de la solitude et de la tranquillité infinie, le seul pourtant qui ait une cour, le seul qui par une merveilleuse contradiction intérieure vive en effet dans la solitude la plus éternelle, dans la quiétude et dans la tranquillité la plus infinie, dans la paix du cœur et dans le noble seul et seul digne silence, et qui dans le même temps et pourtant, par une admirable contrariété intime, est aussi le seul qui se soit fait plus qu'un cortège, plus qu'une cour : le seul qui ait pu se faire tout un peuple de châteaux.
Plaine, océan de blé, blés mouvants, vagues vivantes, vagues végétales, ondulations infinies ; mer labourable et non plus comme l'était celle des anciens Hellènes, inlabourable et rebelle à la charrue ; mais également invincible, et également inépuisable ; terre essentielle du midi, roi des étés, ondulations inépuisables des épis ; océan de vert, océan de jaune et de blond et de doré ; froissements lents et sûrs, froissements indéfiniment renaissants, et doucement bruissants, froissements moirés et vivants des inépuisables vagues céréales [...]
[...] sonnets et poèmes qui sont des châteaux et des palais ; châteaux et palais qui êtes des sonnets et des poèmes ; même langage, également parfait, en deux systèmes, en un système de pierre et de brique, en un système de mots et de phrases ; même rythme en deux systèmes de monuments ; monument — sont-ils également impérissables — qui disent la même parole de courtoisie en deux modes, solides monuments de pierre et de brique, mêmes et également solides monuments de mots et de phrases, et obéissant aux lois de la même pesanteur.
Retrouvez les derniers épisodes de la cinquième saison de la P'tite Librairie sur la plateforme france.tv :
https://www.france.tv/france-5/la-p-tite-librairie/
N'oubliez pas de vous abonner et d'activer les notifications pour ne rater aucune des vidéos de la P'tite Librairie.
Quel petit livre est un grand et formidable réquisitoire contre l'argent ? Une analyse au scalpel de la liberté dont nous prive l'appât du gain… ?
« L'argent » de Charles Péguy, c'est à lire en poche chez Allia.