Mario Pelletier a réussi le pari d'insérer et d'entremêler le parcours intime et social de la vie de Loïc, le
héros narrateur, aux intrications romanesques d'une vaste toile d'araignée étendue sur plusieurs siècles.
Au fur et à mesure du récit les fils se croisent, s'entrecroisent au sein d'un réseaux de pistes qui parfois se
perdent pour réapparaître là où on ne les y attend pas. le désir de posséder ce camée, autrefois amené de
France, alimente vilainement les ambitions de ceux qui cherchent à le posséder par belle ou par laide,
bravant le risque que l'objet de leurs désirs les anéantisse après avoir influencé leur vie de manière
néfaste et virale.
Une écriture où la grande part poétique et réflexible est intimement mêlée à de grands déliés qui arrivent
à point, en charnière, pour maintenir le lecteur en haleine et faire avancer le récit sans qu'il n'y ait jamais
« d'encombrement ».
Un livre plein de « bonus » où parallèlement à l'histoire sont offerts des d'anecdotes historiques
concernant les pierres maléfiques renommées ou encore un tracé des remous politiques qui ont secoués le
pays dans les décennies précédant l'an deux mille.
Seuls quelques extraits peuvent donner le ton de la grande, époustouflante aventure dans laquelle le
lecteur est convié.
« Depuis deux jours déjà, il était figé là, yeux ouverts sur l'éternité. Raidi, plombé, pétrifié, dans la
chambre de la garçonnière où les mouches entraient à plein par la fenêtre entrouverte. Au milieu de ce
juillet torride, en pleine canicule, la chaleur dégageait des vapeurs fétides qui allait agacer de plus en
plus les narines des voisins, de l'autre côté de la cour intérieur, au centre du Vieux-Québec, à deux pas
de l'endroit où
François-Xavier Garneau, un siècle auparavant, s'était tué à fonder l'histoire et la
littérature d'un peuple méprisé.
Les mouches bourdonnaient, vrombissaient, ronronnaient autour de lui, autour de son visage plaqué,
tavelé dont la blancheur s'étiolait vers le bleuâtre. Elles se pressaient sur la chair pourrissante ; comme
des lectrices voraces, elles s'arrachaient la chair offerte de l'intellectuel, de l'écrivain mort, son oeuvre
totale, absolument donnée, la bouche ouvert clamant à jamais le verbe ultime du silence ....»
« Et parfois de grandes bouffées de rage lui montaient à la gorge. Cette maudite fatalité qui pesait sur les
siens, sur sa famille, depuis que son grand-père Élie avait fondé le village, soixante-quinze ans
auparavant !...Une procession macabre s'ébranlait dans sa tête, .... »
Mais si l'enfant Loïc découvrit, à ce moment-là, le rayonnement occulte du camée, cette connaissance
allait rester enfouie dans son subconscient. Il se demandait combien de temps il avait conservé ce
pouvoir, cette faculté de dédoublement vermiforme.....Peut-être allait-il découvrir bien d'autres
circonstances, au-delà de son enfance, et retracer ainsi comme l'envers, la doublure de tous les moments
vécus ?
« Il lui avait fallu du temps quand même, pour comprendre qu'il fallait à tout prix briser le funeste miroir
narcissique qui le détournait de lui-même, d'accepter d'être sans reflet dans l'obscurité, de prendre le
risque d'aller au bout de la nuit,... »
« Mais l'écriture sincère, qui ne transige pas avec la vérité pour peu qu'on y arrivât, lui semblait
pouvoir être le flambeau qui éclaire la nuit de l'être enclos, le stylet qui perce la membrane, la plèvre de
l'égo, ratatiné,et qui fait éclater la bulle de soi.
« Devant l'océan noir d'inconnaissable où son enquête l'avait mené, Loïc n'en continuait pas moins
d'espérer une étrave de lumière pour fendre l'obscurité »