Après ma lecture très agréable, Ancien malade des hôpitaux de Paris de
Daniel Pennac, je n'avais pas cherché à plonger dans son univers, me contentant de ce seul roman, ma curiosité n'a pas voulu s'ouvrir à cet auteur, assez regrettable cette paresse. Une aubaine, j'ai reçu en cadeau, le premier de la série des Malaussène,
Au bonheur des ogres, ce roman est explosif, au sens propre comme au figuré, c'est l'ainé de cette saga, ces six petits frères suivront. le destin vous apporte ce que vous avez n'avez pas pu voir, comme ce roman pour me faire partager le jardin que cultive
Daniel Pennac.
J'ai été surpris par l'écriture assez nerveuse, les dialogues sont corrosifs, les phrases sont assez courtes, avec un soupçon d'humour, beaucoup de rondeur et surtout beaucoup de folie anime cette lecture, les personnages sont tous d'un caractère farfelu surtout cette famille Malaussène, une vraie smala à l'italienne, sans pères, sans mére, des frères et des soeurs, chacun sous la responsabilité de l'ainé travaillant au service réclamation du grand magasin. D'ailleurs le titre
Au bonheur des ogres, s'inspire du roman d'Émile Zola Au bonheur des dames sur les grands magasins, ce même lieu où se déroule cette intrigue, dans le quartier de Belleville, cette comédie policière est romanesque, notre personnage centrale Benjamin, dit Ben, ayant le rôle inattendu de Bouc Émissaire dans ce magasin, où se déroule des choses étranges, des bombes explosent, tuant quelques personnes au passage, des vieux, non ceux qui en blouses grises gravitent ce lieu de consommation, car l'étrangeté est l'absurde bien heureuse des situations que génère avec un plaisir l'imagination de notre auteur, comme un conte pour enfant, des enfants adultes, cette féérie de personnage dont la situation échappe à la réalité normale, comme la maman de cette grande famille, toujours en vadrouille avec l'un de ces amants, gardant de ces escapades, un petit dans le ventre, revenant solitaire à la maison , pour repartir après avoir accouché, laissant la charge de la famille à cet ainé, travaillant dans ce magasin, un emploi hors du commun , une belle arnaque surtout, dont seul peu de gens sont informés, il est à lui tout seul, les maux responsables de tous les pêchers, ce qui dans l'intrigue va l'entrainer dans le tourbillon de la méchanceté de ces collègues.
Ce qui est assez déstabilisant c'est aucune nature d'âge ne transpire dans ce roman sur cette famille, nous sommes dans l'expectative, il faut les glaner au fil de la lecture, en quelque sorte, nous devenons détective, pour apprendre que la maman dès l'âge de 14 ans à commencer la procréation de sa couvée par la naissance de Ben. Creusons la famille Malaussène, et présentons ces membres, nous connaissons la maman, toujours nommée ainsi, elle est toujours absente, en cavale amoureuse, chaque enfants a un père différents et inconnus. Ben n'est pas un père de famille, mais « un frère de famille », nuance poétique, l'auteur a cette poésie moderne, comme un
Michel Audiard avec les répliques cultes dans ces films, je m'égare, revenons à cette belle famille, de demi-frères et demi-soeurs sous la charge de Ben. Cette tribu loge dans une ancienne quincaillerie rénové en « appartement pour les enfants », comme
Daniel Pennac l'écrit avec beaucoup de tendresse, Il y a Clara, l'amour incestueux de Ben, platonique bien sûr, il ne faut pas trop franchir la morale, elle est lycéenne, passant son bac de français, elle a pour passion la photo, ce qui lui vole beaucoup de son temps, selon son frère ainé Ben, celui-ci semble s'être « égaré dans un des albums de Clara », lorsqu'il flâne dans son quartier de Belleville, l'ayant tellement croqué derrière son appareil photo, un vieux Leica, que lui a donné son frère ainé, Anna a cette passion dévorante de la photographie, elle arrive à « anesthésier l'horreur à coups d'obturateur », belle phrase de
Daniel Pennac, qu'il jalonne tout le long de son récit, ces pépites que je vous lâche de temps à autre dans cette critique pour vous éclairer de la prose Pennaciene. Louna, la soeur ainée à peine majeur, selon l'inspecteur, derrière ces vingt-six ans, infirmière, en couple avec un médecin, Laurent depuis sept ans, est enceinte, et tout le long, elle est indécise sur ce « petit locataire-là », va-t-elle le garder, ou comme les autres le faire le virer, car ce n'était pas le bon papa, des échanges téléphoniques avec Ben sur le sort de cet enfant, Louna hésite, Laurent a peur de ce rôle de père. Thérèse, seize ans plus tôt, pleurée dans le ventre dans sa maman, elle a des dons de voyance, elle pourrait lire dans le marc du café, elle a une tendance à avoir des prédictions, qui sont toujours justes, le thème astrale sera un atout important pour cette enquête familiale sur le poseur de bombe, avec ses « conneries astro-prévisionnelles » comme se moque son frère ainé Ben, elle a une passion pour la sténographie, elle dactylographie tout ce qui se dit dans la maison des Malaussène, une obsession comme sa soeur Clara pour la photographie, dévorante, à transcrire les histoires farfelues de Ben pour endormir ses petits frères et soeurs, pour en faire un roman à son insu. Jérémy est un adolescent de douze ans, aimant les expériences scientifiques, jusqu'à réaliser une bombe artisanale pour aider son grand frère, jusqu'à mettre le feu à son collège, il a tendance à se chamailler avec sa grande soeur Thérèse. Nous finissons la fratrie par le petit de 5 ans, sans prénom, juste le petit et la famille ne serait pas complète sans le chien du nom de Julius à la caractéristique d'avoir une haleine horrible avec sa langue pendante, avec cette comparaison si croustillante, « Il pue lui-même comme une décharge municipale. Sa langue sent quelque chose comme la poiscaille rance, le sperme de tigre, le Tout-Paris canin. »
Je ne vais pas pénétrer dans l'intrigue, je préfère que vous vous laisser porter par la lecture comme je l'ai été, une traversée de bonheur et de rire, de sourire et romanesque, puis une enquête policière, et des rencontres extravagantes, comme celle de tante Julia, l'ami du Ben, travaillant dans le magasin, un homme qui préfère les hommes, au coeur charitable Théo, s'occupant de personnes âgées désoeuvrées, les faisant venir dans le magasin , les grimant d'une blouse grise, comme ces instituteurs d'un anciens temps, Théo les garde dans sa cour d'école que ce magasin, les surveillant, ces petits vieux sont des petits chenapans, assez cleptomanes, Théo a cette manie de se prendre en photos dans le photomaton, il en donne toujours au petit, il les collectionne, encore une facétie de cette smala hors du commun. Il aime se vêtir avec des habits colorés, il choisit les robes des soeurs de Ben, il amène aussi sa folie comme la venue impromptue de ces amies brésiliennes du bois de Boulogne. J'ai presque eu des effluves de
Boris Vian, dans l'écriture de
Daniel Pennac, et la folie de
Nadine Monfils, cette auteure belge avec ces histoires extravagantes. Mais notre auteur a cette personnalité propre, unique même, cette prose a cette acidité cotonneuse, une tendresse assassine, presque une ambivalence de douceur et de force, son écriture à la beauté de la rose avec ces pétales et ces couleurs, la douleur et force de l'épine.
Je vais devoir poursuivre ce roman avec la suite par
La fée Carabine et retrouver cette famille loufoque et attachante. Un roman qui vous donne le sourire, un bouffée d'air et de liberté,
merci monsieur
Pennac.