AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Un homme qui dort (114)

Tu n’es plus qu’un œil. Un œil immense et fixe, qui voit tout, aussi bien ton corps affalé, que toi, regardé regardant, comme s’il était complètement retourné dans son orbite et qu’il te contemplait sans rien dire, toi, l’intérieur de toi, l’intérieur noir, vide, glauque, effrayé, impuissant de toi. Il te regarde et il te cloue. Tu ne cesseras jamais de te voir. Tu ne peux rien faire, tu ne peux pas t’échapper, tu ne peux pas échapper à ton regard, tu ne pourras jamais : même si tu parvenais à t’endormir si profondément que nulle secousse, nul appel, nulle brûlure ne saurait te réveiller, il y aurait encore cet œil, ton œil qui ne se fermera jamais, qui ne s’endormira jamais.
Commenter  J’apprécie          30
Tu as tout à apprendre, tout ce qui ne s'apprend pas : la solitude, l'indifférence, la patience, le silence.
Commenter  J’apprécie          20
Atteindre le fond, cela ne veut rien dire. Ni le fond du désespoir, ni le fond de la haine, de la déchéance éthylique, de la solitude orgueilleuse. L'image trop belle du plongeur qui, d'un vigoureux coup de pied, remonte à la surface est là pour te rappeler, s'il en était besoin, que celui qui est tombé a droit à tous les honneurs.
La miséricorde de Dieu s'étend sur lui comme sur les habitants des cieux auquels il donne la pâture. Les pêcheurs, comme les plongeurs, sont faits pour être absous.
Commenter  J’apprécie          20
Quand tu manges, désormais, au comptoir de la Petite Source, ou à la Bière, ou chez Roger la Frite, c’est un peu ce que les psychophysiologistes appellent une « prise de nourriture » : tu absorbes, une ou deux fois par jour, rarement plus, un composé assez strictement calculable de protides et de glucides, sous forme d’un morceau de viande de bœuf grillé, de lamelles de pomme de terre saisies dans de l’huile bouillante, d’un verre de vin rouge. Il s’agit d’un steack, parfois appelé beefsteack, ou même bistèque, mais certainement pas d’un tournedos, de frites que personne ne sacrerait pommes-paille, d’un verre de vin rouge dont nul ne songerait à contrôler l’appellation ni même à délimiter la supériorité qualitative. Mais ton estomac ne fait plus, s’il l’a jamais faite, la différence, et ton palais non plus. Le langage a été plus résistant : il t’a fallu quelque temps pour que la viande cesse d’être mince, coriace, filandreuse, les frites huileuses et molles, le vin poisseux ou acide, pour que ces qualificatifs éminemment dépréciateurs, porteurs au début de sens tristes, évocateurs de repas pour pauvres, de nourritures de clochards, de soupes populaires, de fêtes foraines de banlieue, perdent petit à petit leur substance, et pour que la tristesse, la pauvreté, la pénurie, le besoin, la honte qui s’y étaient inexorablement attachés – cette graisse devenue frite, cette dureté devenue viande, cette acidité faite vin – cessent de te frapper, de te marquer, de même qu’à l’opposé cessent de te convaincre les signes nobles, exacts envers de ceux-ci, de l’abondance, de la bombance, de la fête : l’épaisseur sanguine et tendre des « pièces » de charolais, des « pavés », des cœurs de filet, des entrecôtes de fort des Halles, la croustillance dorée des pommes-paille ou allumette, des pommes soufflées, des pommes Dauphine, le bouquet du cru dans son panier. Nulle énergie sacrée, nul divin nectar n’emplissent désormais ton assiette et ton verre. Nul point d’exclamation n’accompagne tes repas. Tu manges de la viande et des frites, tu bois du vin. L’infranchissable distance qui sépare la côte de bœuf de la Villette du « complet » que, presque chaque jour, tu commandes, à peine entré, au serveur du comptoir de la Petite Source, n’a plus de pouvoir sur toi.
Commenter  J’apprécie          20
Dans les jardins du Luxembourg, tu regardes les retraités joueurs de bridge, de belote ou de tarot. Sur un banc non loin de toi, un vieillard momifié, immobile, les pieds joints, le menton appuyé sur le pommeau de sa canne qu'il écrit pas demain, regarde devant lui dans le vide, pendant des heures. Tu l'admires. Tu cherches son secret, sa faiblesse. Mais il semble inattaquable. Il doit être sourd comme un pot, à moitié aveugle et plutôt paralytique. Mais il ne bave même pas, il ne remue pas les lèvres, il cille à peine. Le soleil tourne autour de lui : peut-être sa seule vigilance consiste-t-elle à suivre son ombre ; il doit avoir des repères depuis longtemps tracés ; sa folie, s'il est fou, est peut-être de se prendre pour un cadran solaire. Il ressemble à une statue, mais il a sur les statuts l'avantage de pouvoir se lever et marcher, s’il le désire. Il ressemble aussi à un être humain, malgré sa tête qui est plutôt celle d'un oiseau, son pantalon qui lui remonte jusqu'au sternum, sa cravate de parnassien pour école primaire, mais il a sur les autres êtres humains ce privilège de pouvoir rester immobile comme une statut, pendant des heures et des heures, sans efforts apparents. Tu voudrais y parvenir, mais, sans doute est-ce l’effet de ton extrême jeunesse dans la vocation de vieillard, tu t'énerves trop vite : malgré toi, ton pied remue sur le sable, tes yeux errent, tes doigts se croisent et se décroisent sans cesse.
Commenter  J’apprécie          20
Tu ne parles pas tout seul, pas encore. Tu ne hurles pas, surtout pas.
Commenter  J’apprécie          20
Des dépanneurs passent en trombe, appelés par quelles urgences ? Tu ne sais rien des lois qui font se rassembler ces gens qui ne se connaissent pas, que tu ne connais pas, dans cette rue où tu viens pour la première fois de ta vie, et où tu n'as rien à faire, sinon regarder cette foule qui va et vient, se précipite, s'arrête : ces pieds sur les trottoirs, ces roues sur les chaussées, que font-ils tous ? Où vont-ils tous ? Qui les appelle ? Qui les fait revenir ? Quelle force ou quel mystère les fait poser alternativement le pied droit puis le pied gauche sur le trottoir avec, d'ailleurs, une coordination qui saurait difficilement être plus efficace ? Des milliers d'actions inutiles se rassemblent au même instant dans le champ trop étroit de ton regard presque neutre. Ils tendent en même temps leurs mains droites et se la serrent comme s'ils voulaient la broyer, ils émettent avec leur bouche des messages apparemment pourvus de sens, ils tordent en tous sens leurs joues, leur nez, leurs sourcils, leurs lèvres, leurs mains, ponctuant leurs discours de mimiques expressives ; ils sortent leurs agendas, ils se dépassent, se saluent, s'invectivent, se congratulent, se bousculent ; ils s'acheminent sans te voir, et pourtant, tu es à quelques centimètres d'eux, assis à la terrasse d'un café, et tu ne cesses pas de les regarder.
Commenter  J’apprécie          20
Que les jours commencent et que les jours finissent, que le temps s'écoule, que ta bouche se ferme, que les muscles de ta nuque, de ta mâchoire, de ton menton, se relâchent tout à fait, que seuls les soulèvements de ta cage thoracique, les battements de ton cœurs témoignent encore de ta patiente survie.
Commenter  J’apprécie          20
Le désir fugitif et poignant de ne plus entendre, de ne plus voir, de rester silencieux et immobile. Les rêves insensés de solitude. Amnésique errant au Pays des Aveugles : rues larges et vides, lumières froides, visages muets sur lesquels glisserait ton regard. Tu ne serais jamais atteint.
Commenter  J’apprécie          20
C'est d'abord seulement une espèce de lassitude, de fatigue, comme si tu t'apercevais soudain que depuis très longtemps, depuis plusieurs heures, tu es la proie d'un malaise insidieux, engourdissant, à peine douloureux et pourtant insupportable, l'impression doucereuse et étouffante d'être sans muscles et sans os, d'être un sac de plâtre au milieu de sacs de plâtre.
Commenter  J’apprécie          20






    Lecteurs (1187) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Je me souviens de Georges Perec

    Quel était le nom d'origine (polonaise) de Georges Perec ?

    Perecki
    Peretz
    Peretscki
    Peretzkaia

    15 questions
    111 lecteurs ont répondu
    Thème : Georges PerecCréer un quiz sur ce livre

    {* *}