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EAN : 9791039900430
93 pages
Syllepse (05/05/2022)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Dans une première partie, Roland Pfefferkorn revient sur le long processus de laïcisation de l’État en France depuis le 17e siècle et dont la Révolution de 1789 approfondira le développement sans pour autant encore le parachever; Napoléon Bonaparte reviendra d’ailleurs sur certains de ses acquis.
La seconde partie porte sur les avancées de la laïcité historique vers la liberté de conscience et la séparation des Églises et de l’État avec les lois laïques scola... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
L'« identité française » ou une histoire d'une métamorphose réactionnaire

« Un retour sur la construction historique de la laïcité permet de mesurer à quel point on a assisté, au cours des dernières décennies, à un grand renversement : l'aspiration émancipatrice initiale, certes inaboutie, s'est métamorphosée en son contraire : une laïcité identitaire et discriminante. » Dans son introduction, Roland Pfefferkorn présente le contenu du livre. En premier lieu, l'histoire singulière du long processus de laïcisation de l'Etat, « La laïcisation touche spécifiquement l'État et les institutions publiques, en premier lieu l'école, elle est à distinguer de la sécularisation qui concerne les sociétés dans leur ensemble ». La seconde partie porte « sur les avancées de la laïcité historique vers la liberté de conscience et la séparation des Églises et de l'État. Les lois laïques scolaires de 1882 et 1886 permettront de dégager des tutelles religieuses les programmes, les locaux et les personnels. La loi de 1905 parachèvera le processus ». L'auteur souligne les deux ensembles de principes contenus dans cette loi : « séparation des Églises et de l'État et neutralité des pouvoirs publics en matière religieuse ; liberté de conscience, y compris religieuse, et égalité de tous, croyants et non-croyants ». A noter que l'imprégnation religieuse – la croyance – est encore présente dans la formulation qui semble en faire une référence (C'est en regard de la croyance que sont défini·es les « non-croyant·es »). La troisième partie traite « des points aveugles ou des impensés de cette République laïque, présumée porteuse de valeurs universelles et de progrès », du nationalisme guerrier, des « assouplissements, accommodements et arrangements obtenus par l'Eglise catholique depuis la fin des années 1950 », sans oublier un « dévoiement identitaire et autoritaire de la laïcité historique » plus récent ; une reconfiguration de laïcité support à la discrimination des populations considérées comme musulmanes…
Je souligne la différence entre sécularisation de la société et laïcisation de l'Etat, l'histoire particulière et la forte résistance de l'Eglise catholique, la loi de 1905 qui n'est pas ce que certain·es nous expliquent, l'actualité de la séparation des Eglises et de l'Etat.

Je choisis de mettre l'accent sur certains éléments et d'élargir les propos sur certains points (comme je l'ai précédemment fait sur la croyance) sans pré-juger d'accord ou non avec l'auteur.
Pour commencer la lecture, je propose de regarder du coté du débat sur le port de la soutane (page 43 et suivantes), de la pittoresque proposition de Charles Chabert d'interdir le port de la soutane. Comme le souligne Roland Pfefferkorn : « Par-delà la dimension pittoresque de l'argumentation développée par le député Chabert en 1905, le lecteur contemporain remarquera aisément qu'il suffit dans les propos précédents, de remplacer le mot soutane par voile ou foulard pou retrouver, presque mot à mot, les arguments mobilisés par les partisans de l'interdiction du fameux « foulard » ». Chacun·e pourra s'interroger sur les liens supposés entre les vêtements, les parures, les habitudes vestimentaires (dont les contraintes fortement sexuées) des citoyen·nes et la séparation des Eglises et de l'Etat !

Par ailleurs, comme l'indique l'auteur, « Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, le processus de sécularisation a primé celui de la laïcisation. Ce fut l'inverse en France » Il me semble aussi bien utile de revenir sur les processus de sécularisation d'hier et d'aujourd'hui, processus toujours en cours à travers le monde, alors que l'attention est trop souvent mise sur la religiosité, à ne pas confondre avec les choix politiques de fondamentalistes au pouvoir ou voulant conquérir le pouvoir. Et cette sécularisation n'est pas réductible au triomphe de l'individualisme néo-libéral et au fétichisme de la marchandise généralisée. Elle est aussi construite par des combats sociaux pour l'égalité et la liberté…

Une longue marche vers la sécularisation et la laïcisation
Roland Pfefferkorn aborde, entre autres, l'histoire de la Réforme aux Lumières, la perte du monopole religieux en Europe, le modèle catholique d'intolérance, l'affirmation de liberté de conscience en matière religieuse, l'apparition d'une morale profane, la sécularisation des sociétés européennes, l'affaiblissement « voire la perte de pertinence sociale » des univers religieux, l'apport et les contradictions des Lumières, la volonté de « limiter les prétentions des Eglises à régir les sphères intellectuelles, politiques et civiles », les ruptures construites par la révolution de 1789 et leurs limites, la tradition gallicane, l'invention de l'entité abstraite qu'est la nation, les registres d'état civil, le mariage civil devenant la forme légale du mariage (à noter qu'encore aujourd'hui, certains Etats considérés comme démocratiques ne connaissent pas ces institutions civiles), le droit au divorce, les écoles, le concordat de 1801 et le second empire, « le concordat marque un coup d'arrêt au processus de la laïcisation issu de la Révolution » (une oeuvre du « bien aimé » et néanmoins sanguinaire Napoléon), l'emprise catholique sur l'enseignement, la Loi Falloux de 1850, « La Loi Falloux renforce considérablement l'emprise de l'Eglise catholique sur l'enseignement primaire et secondaire », le renouveau de l'anticléricalisme, les radicaux et les républicains modérés, « Les deux s'accordent cependant sur l'enseignement laïque qu'ils défendent et qu'ils souhaitent développer et ils sont plutôt favorables à la séparation de l'Eglise et de l'Etat »…

Vers la liberté de conscience et la séparation des églises et de l'Etat
L'auteur nous rappelle les décisions de la Commune, « La Commune de Paris insurgé avait proclame la séparation des Eglises et de l'Etat et interdit l'enseignement confessionnel le 2 avril 1871 ». Il analyse les lois scolaires de la fin du XIXe siècle, « l'aboutissement d'une exigence ancienne et de luttes qui dépassent le cadre français », la laïcité « des programmes, des locaux et des personnels », la différence entre la « puissance publique » et les élèves, le contexte international et national de la Loi de 1905.

Roland Pfefferkorn souligne, entre autres, la montée de la sécularisation de la société, la déchristianisation du mouvement ouvrier, les effets de l'affaire Dreyfus. « La loi adoptée en décembre 1905 est le résultat d'un compromis entre différents projets républicains de séparation ».
Si nature du compromis et sa validité historique peut-être discuté, si des actualisations de la laïcité auraient du être débattues, si d'autres lois auraient pu – non restreindre la séparation mais en modifier les contours, prenant en compte les effets de la sécularisation – il me semble important d'insister sur le mot et l'idée de compromis et la dynamique possible de ceux-ci. L'idée principale reste la liberté de conscience et la séparation des pouvoirs institutionnels des églises et de l'Etat. Ce qui ne dit rien sur les pratiques religieuses, privées et publiques. L'Etat et ses institutions n'ont aucun droit de regard sur les fonctionnements des instances religieuses « non délictueuses » (la pédocriminalité relève des tribunaux de justice et non des organismes internes aux religions). En tant que citoyen·es, nous pouvons prendre position contre le séparatisme sexuel dans les instances relevant des religions ; mais l'Etat – par ailleurs bien mal placé sur ce sujet – ne doit pas intervenir sur les choix des communautés cléricales. Nous pouvons et devons combattre les prises de positions contre l'égalité et la liberté de maints ministres du culte et des religions instituées, mais les organismes d'Etat n'ont pas à s'immiscer dans la production des lignes « morales et politiques » de ces mêmes religieux, etc. Sans oublier que nous devons soutenir toutes les luttes des personnes contre les contraintes imposées, au nom de la foi, de la tradition, des coutumes, etc.

Donc indépendance réciproque entre les Eglises et l'Etat, liberté de conscience intégrant la liberté religieuse, « y compris dans sa dimension collective et publique », libres expressions des convictions religieuses « dans les limites du droit commun ». L'auteur indique que la Loi de 1905 anticipe des exigences conventionnelles contemporaines, « L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme, précise que le droit à la liberté de religion implique « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement » en public et en privé ». La laïcité a instauré une rupture dans une logique politique libérale, « Elle est conçue comme un dispositif visant la liberté (de pensée, d'opinion, de culte) et l'égalité (égalité de traitement de toutes et tous indépendamment des croyances de chacun) ». C'est dans ce développement que l'auteur revient sur les débats sur le port de la soutane que j'ai précédemment évoqué.

Les représentants de l'Eglise catholique furent et restent souvent hostiles à Loi de 1905. Pour eux, la loi commune ne saurait dépendre des choix démocratiques. Dit autrement, ces représentants auto-proclamés de dieu, exigent que leurs choix soient imposés, y compris par la force du goupillon sans oublier l'aide du sabre. le propre de ces entreprises fortement masculinistes et élitaires, n'est clairement pas la démocratie. Mais ce prononcer contre la démocratie ou pour sa limitation est une chose, exiger des appareils d'Etat de contribuer à son effacement en est une autre…
Il ne faut pas oublier le régime des cultes dans les colonies était en contradiction à la Loi de 1905, c'est un « des points aveugles de la politique laïque de la 3e République »

Impensés, catho-laïcité et tournant identitaire
Je me souviens de ces dames avec des cornettes qu'il fallait nommer « ma soeur » dans un hôpital, de cet aumônier dans un lycée public qui ne supportait pas que je l'appelle « monsieur », de ces écoles primaires non mixtes que j'ai fréquenté, de l'interdiction du port du pantalon pour les filles, des cloches qui me cassaient les oreilles au gré des messes de certain·es. Je n'oublie pas ces fêtes non chômées parce que n'étant pas chrétiennes, que cela soit Kippour, l'Aid ou le Nouvel an chinois, etc.
Dans la troisième partie, Roland Pfefferkorn aborde, entre autres, les points aveugles de la politique laïque de la 3e République, la non inscription de cette politique « dans une perspective d'émancipation humaine plus large », le suffrage masculin baptisé universel, « La laïcité scolaire est corsetée par une double, voire triple, séparation, filles/garçons, primaire/secondaire-supérieur, enfants de colons/enfants d'indigènes », l'absence de laïcité dans les colonies (et qu'en est-il aujourd'hui dans les poussières de l'empire ?), la défense par Jules Ferry ou Paul Bert de l'expansion coloniale et de l'inégalité raciale (que des institutions scolaires portent encore leurs noms est un scandale), la scolarisation des filles à part sans oublier que « La filière réservée aux filles dans le secondaire ne prépare pas à la poursuite d'études dans le supérieur », le déni des droits des femmes dans de nombreux domaines (toujours actuel et non une spécialité réservée aux organismes religieux), l'occultation et le maintien de la domination de classe, la hiérarchisation des scolarités, « A l'école, l'idéal laïque qui s'inscrit dans les rapports de classe existants ne vise pas à les remettre en cause », la religion de la patrie, la Loi Lalouette et le « régime de séparation évolutif », le renoncement à étendre les loi scolaires laïques et la Loi de 1905 à l'Alsace-Moselle, les privilèges maintenus ou accordés à certains cultes, « Ces statuts non laïques sont des objets juridiques dérogatoires au droit français qui contreviennent au principe de l'égalité des citoyens devant la loi », et, cependant l'accélération de « la déprise religieuse ».

L'auteur insiste à juste titre sur la construction par des lois d'une « catho-laïcité », le nouveau rituel politico-religieux mis en place, la législation favorable à l'enseignement privé, l'obligation de participer à son financement, la Loi de 2004 et l'extension abusive de la « neutralité » aux usager·es, le glissement sémantique du foulard au « voile » puis au « voile islamique », les ré-élaborations d'un sens national conservateur, l'exhibition de l'islamophobie sur la scène publique, la fabrication d'une version identitaire et communautaire de la laïcité, les récits mythiques et la laïcité falsifiée, la construction « d'une altérité déviante qui s'étend à l'ensemble des musulmans », sans oublier la néo-laïcité excluante de la droite extrême…

Pour conclure. Une rupture identitaire et discriminatoire avec la laïcité historique
Si la Loi de 1905 « avait une visée de liberté, d'égalité et d'apaisement du conflit séculaire entre Etat et religion », ce n'est pas le cas de différentes autres lois, en particulier depuis 2004. Roland Pfefferkorn discute des campagnes « anti-voile », de l'islamophobie décomplexée, de la construction de la parole « de l'homme blanc déculpabilisé », de la soi-disant « invasion migratoire » (mais il ne s'agit pas des plus de deux millions de français·es vivant à l'étranger), de la criminalisation des militant·es antiracistes, des entraves au droit d'association, des actes de police administrative, de la loi « séparatisme », de la négation de fait de la laïcité historique, du contrôle étatique sur les cultes musulmans, du renforcement de la proximité de l'Etat avec l'Eglise catholique, de la remise en cause de l'idée même de laïcité…

Un petit livre très utile pour situer les débats, comprendre les différences entre sécularisation et laïcité, analyser les constructions historiques et institutionnelles, s'armer contre les pouvoirs envahissants des Eglises et des fondamentalistes religieux divers ou les lectures excluantes et liberticides des évangélistes néolibéraux ou identitaires. le combat pour l'égalité et la liberté, pour l'émancipation, ne saurait faire l'impasse sur la liberté de conscience, ici et ailleurs – et sur les nécessaires aménagements sociaux ou les accommodements raisonnables pour y parvenir. Il suffit de constater l'argumentation répétée sur la complémentarité des sexes contre l'égalité des personnes, l'acharnement de certains gouvernements et du pape des catholiques, par exemple, contre les droits sexuels et reproductifs des femmes (dont le droit à l'avortement) au nom de dieu, pour comprendre que le combat pour la laïcité n'est point clos (je n'oublie pas la main mise de l'église catholique sur de nombreux lieux d'enseignement sur le territoire français) mais aussi que la laïcité n'est pas ce que certain·es voudraient nous faire « croire »…


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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Par-delà la dimension pittoresque de l’argumentation développée par le député Chabert en 1905, le lecteur contemporain remarquera aisément qu’il suffit dans les propos précédents, de remplacer le mot soutane par voile ou foulard pou retrouver, presque mot à mot, les arguments mobilisés par les partisans de l’interdiction du fameux « foulard »
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Un retour sur la construction historique de la laïcité permet de mesurer à quel point on a assisté, au cours des dernières décennies, à un grand renversement : l’aspiration émancipatrice initiale, certes inaboutie, s’est métamorphosée en son contraire : une laïcité identitaire et discriminante.
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L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme, précise que le droit à la liberté de religion implique « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement » en public et en privé
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séparation des Églises et de l’État et neutralité des pouvoirs publics en matière religieuse ; liberté de conscience, y compris religieuse, et égalité de tous, croyants et non-croyants
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Elle est conçue comme un dispositif visant la liberté (de pensée, d’opinion, de culte) et l’égalité (égalité de traitement de toutes et tous indépendamment des croyances de chacun)
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