Cet ouvrage recueille 16 conférences de
Karl Popper, et offre l'accès à un contenu très accessible, y compris pour les non-initiés à la pensée du philosophe autrichien. Nécessité de l'examen critique, du pluralisme, de la tolérance, d'une lutte contre le relativisme tout autant que contre les prophètes du déclin : autant de thèmes centraux chez cet auteur qui sont ici présentés d'une manière toujours claire, conformément à la nécessité, rappelée plusieurs fois par l'auteur, que les intellectuels abandonnent toute volonté de "grandiloquence" ou de "grandes phrases" dans leur écriture.
L'ouvrage permet de disposer d'une vue synoptique des différentes idées majeures de la pensée de
Popper. La première conférence dont il reproduit le texte, "Connaissance et modelage de la réalité" (qui est d'ailleurs sans doute la plus difficile et la plus intéressante de l'ouvrage), montre que l'exigence de critique constitue, au sein de l'espèce humaine, la continuité tout comme le dépassement des séries de sélections opérées biologiquement au cours de l'évolution. Continuité car c'est en sélectionnant de nouvelles niches écologiques que le vivant a toujours évolué ; dépassement car la capacité à créer et à choisir le meilleur peut, grâce au langage humain, se faire aujourd'hui sans violence physique aucune.
S'ouvre ainsi la possibilité d'un "sens de l'histoire", non pas en tant que dessein caché du devenir historique, mais, comme l'indique la douzième conférence, en tant que capacité humaine à défendre avec de plus en plus de réussite les valeurs de liberté, de tolérance, d'émancipation par le savoir, que prônaient déjà les philosophes de l'Aufklärung (dont
Kant est ici le plus éminent représentant), et qui deviennent effectives dans un Occident au sein duquel
Popper ne voit par conséquent pas le moindre déclin.
L'ouvrage n'est toutefois pas sans défauts : en tant que compilation de conférences, il tend à se répéter très fortement d'un chapitre à l'autre. Plus embarrassant sans doute, il peut avoir tendance, au mépris des idéaux pourtant invoqués par
Popper, à rester assez vague dans la critique qu'il formule de certains courants philosophiques manifestement peu appréciés de l'auteur. Ainsi, s'il est sans doute pertinent de critiquer la "soupe hégélienne" qui infuse dans toutes sortes de philosophies, il l'est peut-être moins d'expédier la philosophie de Hegel lui-même en quelques phrases, sans qu'on comprenne trop exactement en quoi il est aussi relativiste que ce qu'en dit
Popper.
De même, on comprend, dans la conférence "Comment je conçois la philosophie", que
Popper n'adhère pas à ce qu'elle est pour Wittgenstein, mais on ne saisit absolument pas ce qu'il a à lui répondre. Affirmer que "la tâche essentielle de la philosophie, telle que je la vois, consiste à méditer de manière critique sur l'univers et notre place en lui, ainsi que sur la dangereuse puissance de notre savoir et le pouvoir bénéfique et maléfique qui est le nôtre" (p. 251) constitue tout de même une définition assez vague de l'activité philosophique.