Un des constats que l'on peut établir à la lecture de cet ouvrage, c'est la grande modernité de son propos. Bien que publié en 1985, presque tous les points qu'aborde l'auteur sont intéressants à confronter à notre société actuelle. On mesure pourtant le fossé immense que représentent ces trente dernières années en matière de communication et de médias: l'apparition d'internet a tout changé, et la télévision elle-même s'est vautrée allégrement dans un vide bêtifiant qui aurait sans doute dépassé l'imagination des producteurs les plus cyniques des années 80.
Disons ensuite que cet ouvrage n'appartient pas à la catégorie des chefs d'oeuvres littéraires (malgré une écriture fluide et précise), ni des pavés universitaires destinés à un public de quelques dizaines d'individus, mais bel et bien à celle des livres de salubrité publique.
Une personne normalement éduquée peut suivre l'ensemble des analyses qui y sont fournies, et ce en dépit du fait que l'auteur ne prétend s'attaquer qu'à la télévision telle qu'elle est (était) aux États-Unis.
On s'aperçoit pourtant que les rouages qu'elle utilise sont les mêmes partout; et surtout que le monde que Postman annonce comme la réalisation de la prophétie d'
Aldous Huxley est bel et bien arrivé: il soulignait que le danger n'était pas que le pouvoir ne force les gens à entrer dans un univers contrôlé et censuré comme Orwell le dépeignait dans "1984", mais que les gens créeraient de leur plein gré cet univers en étant aveuglés par le divertissement.
Ce livre intellectuellement honnête est le socle d'un raisonnement d'une réelle finesse, et son ampleur est abondamment soulignée par un souci constant de confronter son analyse à l'histoire.
Ajoutons enfin qu'
il est extrêmement regrettable que Postman n'ait pas vécu jusqu'à l'âge d'internet (
il est mort au début des années 2000), qui lui aurait fourni un matériau d'étude aussi passionnant qu'effrayant, à n'en pas douter.