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EAN : 9782708942011
209 pages
Privat (13/06/2002)
4/5   2 notes
Résumé :

Sommes-nous des mangeurs libres, conscients, rationnels ou irrationnels ? À travers des portraits, des récits de fêtes et de situations de partage alimentaire, cet ouvrage nous fait pénétrer d'emblée au plus intime de notre relation avec nos nourritures. Jean-Pierre Corbeau donne à voir - et souvent à entendre de la bouche même des mangeurs - les cheminements de la pensée qui mènent à ces arbitra... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
En parlant de l'alimentation, les deux sociologues Jean-Pierre Corbeau et Jean-Pierre Poulain espèrent pouvoir parler de l'humain par l'alimentation. L'acte alimentaire, qu'ils définissent comme un acte « bio-psycho-anthropologique » mêle en effet différents niveaux d'interactions et génère des symboliques fortes qui opèrent souvent à l'insu de ceux qui le réalisent. Comment mettre en évidence ces processus ? La sociologie de l'alimentation n'est pas encore une discipline très institutionnalisée et les recherches sont encore relativement balbutiantes. Pour défricher le domaine, de nombreux entretiens prolongés ont été réalisés avec des « mangeurs » et une quarantaine d'entre eux sont proposés à l'analyse du lecteur. le regard du sociologue intervient pour mettre en évidence les discordances qui peuvent intervenir entre les propos et la pratique véritable de l'interrogé, contradictions significatives car elles illustrent l'intégration d'un « modèle » idéal duquel cherche à se rapprocher –parfois sans y parvenir- le mangeur. Parce que les comportements alimentaires dépendent également d'un nombre important de paramètres, les individus sont observés dans des contextes différents : on peut tirer des analyses plus fines de leur rapport à la nourriture en entrecroisant des observations issues de leur comportement en individuel, au sein de la famille, dans la « tyrannie de l'intimité » ou encore dans un contexte festif.


Ainsi, dans ces portraits, analyse du sociologue et propos rapportés de l'interrogé s'entrecoupent et finissent par dresser les contours de trois grandes catégories de mangeur : les « complexés du trop », les tenants du « nourrissant consistant » et les tenants du « nourrissant léger ». A ces éthos, particulièrement valables dans les années 80, les sociologues jugent utile de faire intervenir une nouvelle catégorie : celle des « gastrolastress ».


« En inventant le mot gastrolastress, nous souhaitions exprimer trois idées. D'abord celle de gastrolâtrie : individualisme mêlé à un refus de ritualiser les absorptions alimentaires en se laissant porter par les réactions de son « ventre », ses « besoins », si possible une digestion sans problème, caractéristiques valorisées par l'alimentation « déstructurée » (particulièrement sous forme de « grignotage »), susceptible de prendre des formes multiples selon des lieux et des temps sociaux différents. Ensuite, l'idée de stress intrinsèque à l'acteur urbain contemporain, qui « rationalise » et accélère son temps productif, rompt avec un lien social de commensalité et de convivialité pour se nourrir de « nutriments agréables », accentuant son individualisme, signe de son « efficacité sociale ». Enfin, la combinaison des deux noms qui sonne comme le féminin du vieux mot rabelaisien gastrolâtre au moment où la société s'unisexualise et où le corps doit être surveillé en tant qu'outil de représentation par les hommes mais aussi par les femmes, au moment où la fonction de « production » déclenche les mêmes « contrôles de soi » que la fonction de reproduction. »


Le lecteur pourra en juger, les caractéristiques de ce nouvel éthos s'imprègnent de l'idéologie des années 2000 et des contraintes imposées par un mode de vie sensiblement différent de celui de la décennie précédente. Culture, société et comportements alimentaires montrent leurs premiers liens. Cette imbrication étroite du domaine de l'alimentaire et de nombreuses autres facettes de la société sera analysée plus en détails au sein des chapitres suivants. L'alimentation est un jeu qui fait intervenir l'alea (le hasard), l'agôn (la compétition), le mimicry (le simulacre), l'ilinx (le vertige), la païdia (l'improvisation) et enfin le ludus (le jeu) ; quel exemple plus révélateur que les mises en scène qui structurent l'organisation d'un repas ? Recevoir un hôte, accepter une invitation, mettre une table en place, choisir des plats connotés (exotiques, endotiques, familiaux, recherchés…), instaurer un rythmer à la succession des plats, une orientation à la conversation… qu'est-ce d'autre, sinon un rituel codifié, vecteur d'une quantité d'informations que le langage ne saurait exprimer à lui seul ?
A l'opposé de ces réunions commensales et parfois cordiales, les sociologues effectuent un détour auprès des comportements alimentaires solitaires qui, en refusant cette communication implicite, révèlent des oppositions de plusieurs natures.


Mais que l'acte alimentaire soit convivial ou solitaire, l'horizon du mangeur est toujours celui de la quête d'un sens et implique à la fois rationalité et irrationalité.


« Pour l'alimentation, les horizons de la rationalité en finalité sont multiples. Il est possible de les formuler avec les propositions suivantes :
- Je décide de manger ou de ne pas manger ceci pour grossir ou ne pas grossir ;
- Je décide de manger ou de ne pas manger ceci parce que c'est bon ou ce n'est pas bon pour la santé ;
- Je décide de manger ou de ne pas manger ceci parce que c'est cher ou ce n'est pas cher :
- Je décide de manger ou de ne pas manger ceci parce que c'est bon ou ce n'est pas bon pour mon âme ;
- Je décide de manger ou de ne pas manger ceci parce que cela convient ou non à mon goût… »


On le voit, l'incorporation alimentaire n'est pas un acte anodin et même si, avec les progrès de l'industrie alimentaire, les risques d'intoxication alimentaire sont moins élevés que dans le passé, manger constitue encore un facteur de risque réel, symbolique ou social.


Dans une dernière partie de leur essai, les sociologues reviennent sur le rapport entre nature et culture en revisitant les contributions de Lévi-Strauss sur la cuisine française au cours de son histoire. En mettant en évidence certaines limites de l'analyse admises par l'ethnologue, et en s'accordant sur les difficultés inhérentes à la définition d'un domaine aussi complexe que celui de la cuisine et de sa technologie, les auteurs de ce livre mettent en avant la richesse d'un comportement naturel investi par le domaine du culturel.


Intéressant et à la portée de n'importe quel lecteur intrigué par le sujet, cet ouvrage illuminera certains aspects de nos comportements quotidiens et, au-delà, parviendra également à nous communiquer quelques observations significatives sur notre société. Même un déjeuner pris sur le pouce à la sandwicherie du coin est évocateur d'une certaine façon de penser et de considérer le monde…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Un enfant naît dans un « espace social alimentaire » déjà constitué, il apprend à manger en se socialisant ou, plus précisément, il se socialise en apprenant à manger. Il apprend ce qui est sa place dans la famille, celle des hommes, celle des femmes, ce qui est propre et ce qui est sale, les moments qui conviennent pour manger et ceux qui ne conviennent pas… Les réponses à ces questions de choix et de procédures sont fournies d’emblée au mangeur par le modèle alimentaire du groupe social où sa naissance l’a placé. Il apprend à aimer les produits qu’on lui offre et qu’il voit mangés et appréciés autour de lui, même si parfois il en préfère certains. Il apprend à manger selon des rituels précis, parfois longs à maîtriser, comme l’usage d’un couteau et d’une fourchette ou d’une paire de baguettes. Ses rythmes physiologiques sont façonnés par les rythmes de sa société.
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Au-delà de l’importance matérielle des pratiques alimentaires, des actes culinaires s’y associant et des décisions d’achat les précédant, soulignons que manger, préparer les nourritures, c’est aussi et surtout se faire comprendre, parler un langage, parler le même langage… « Nous ne mangeons pas n’importe quoi, avec n’importe qui, ni à n’importe quel moment de la journée ou de notre vie, ni de n’importe quelle façon. » Nous nous inscrivons tous dans ces codes intrinsèques à notre condition d’omnivore ; condamnés à la diversité, nous devons à ce titre la gérer selon des représentations sociales variables d’un groupe à l’autre.
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Trois univers distincts apparaissent : l’univers des aliments végétaux, l’univers des aliments d’origine animale ne demandant pas la mort de l’animal et enfin l’univers des aliments d’origine animale nécessitant le meurtre. Ces distinctions ne sont pas en fait une nouveauté, elles sont toujours plus ou moins existé ; ce qui est nouveau, c’est le durcissement de leurs frontières. Dans le domaine des matières grasses, ces grandes catégories permettent de comprendre la survalorisation dont les corps gras d’origine végétale sont l’objet et comment le gras animal, à l’inverse, est l’objet d’une véritable satanisation. Les matières grasses laitières échappent partiellement à ce processus par leur position particulière à l’égard du meurtre alimentaire. Ces représentations sont à l’œuvre au-delà des qualités nutritionnelles objectives, que ce soit la charge énergétique ou la qualité des acides gras qui composent ces différentes matières grasses.
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Le sens commun retient, avec Léo Moulin, que « nous mangeons 100 000 fois environ au cours de notre vie. Nous engloutissons ainsi plus de 5000 quintaux de nourriture. Nous buvons plus souvent encore. Et nous consacrons à ces activités de 40 000 à 60 000 heures de notre existence –sur les 700 000 que le professeur Jean Fourastier nous accorde. Quant à la ménagère, qui prépare les repas trois ou quatre fois par jour, elle sacrifie, à le faire, de 45 000 à 60 000 heures, sans compter la vaisselle et le rangement. »
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Deux axes paradigmatiques du manger émergent alors, qui supposent des comportements opposés de l’acteur social. Le premier recoupe l’idée d’une manducation, d’une dégustation et d’une incorporation conçues comme un moyen de découverte d’un monde environnant, de connaissance de l’extérieur, d’autrui, du différent, du surprenant. Ce manger est indissociable d’un partage, d’une communication conviviale ou commensale. Ce premier paradigme n’est qu’ouverture… Nous lui opposerons l’autre, l’enfoncement du mangeur qu’évoque Frédéric Lange : « Ici, l’ingestion collabore avec la pesanteur pour enfoncer le mangeur… le mangeur a la sensation d’une immersion dissolvante par laquelle il cesse d’être soi, là. Manger prend alors l’allure d’un aveuglement partiel ou total, d’une tentative d’abrutissement, une perte de conscience ou d’intérêt pour soi et le monde. » Ce second paradigme du manger signifie alors le repli, l’enfermement. Consommer l’aliment n’entraîne plus la curiosité intellectuelle, l’acuité et la mobilisation des sens pouvant décoder, reconnaître, apprécier, mémoriser l’émotion gustative et les plaisirs ressentis, constructeurs de métalangages. Ici, consommer l’aliment équivaut à se fermer, se boucher…
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Videos de Jean-Pierre Poulain (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jean-Pierre Poulain
Colloque de rentrée 2020 : Civilisations : questionner l'identité et la diversité Conférence du vendredi 23 octobre 2020 : Food studies, civilisations et identités
Intervenant(s) : Jean-Pierre Poulain, Université Jean-Jaurès, Toulouse
Qu'est-ce que l'approche de l'alimentation par les sciences humaines et sociales (food studies) doit aux concepts de civilisation et d'identité ? Pour tenter de répondre trois mouvements veines scientifiques seront explorés (1) le « processus de civilisation » de Norbert Elias et ses enracinements théoriques dans la sociologie allemande qui distingue « culture » et « civilisation », (2) les « influences entre civilisations » de Maxime Rodinson et leur place dans les controverses entre l'islamologie mystique et le marxisme des années 1960, enfin (3) « l'entrecroisement des civilisations » de Roger Bastide et ses relations à l'anthropologie française.
Outre les enracinements théoriques sera questionnée la place de l'alimentation dans le rapport à l'empirie au sein de ces trois veines, les traités de bonnes manières et les appareils de normes sociales pour Elias, les livres de cuisine et les pratiques culinaires pour Rodinson ou les aliments dans les rituels afro-brésiliens et les systèmes symboliques pour Bastide. Enfin, l'analyse des relations entre le(s) concept(s) d'identité et de civilisation permettra de voir les contributions de la sociologie de l'alimentation et des food studies qui tentent de dépasser les tautologies du culturalisme en posant les modèles alimentaires comme lieu de lecture, d'entretien, de transmission et de (re)construction des identités sociales.
Retrouvez la présentation et les vidéos du colloque : https://www.college-de-france.fr/site/colloque-2020
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