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sur 150 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Pourquoi n'avais-je jamais ouvert un livre de Jean-Bernard Pouy ? Il n'en est pas à son premier pourtant ! Et quel délice, quelle langue! Bon, allez, autant le dire tout de suite, je me suis régalée.
Si vous avez certainement entendu parler de la ZAD du barrage de Sivens et de Notre-Dame-des-Landes (au fait, ZAD signifie Zone d'Aménagement Différé, devenue Zone À Défendre pour les zadistes), vous ne connaissez peut-être pas encore celle de Zavenghem (Hauts-de-France) où un projet de plateforme multimodale est prévu pour accueillir les innombrables conteneurs venant du port de Dunkerque. Cela signifierait aussi l'ouverture d'usines, des camions et, bien évidemment, du bétonnage en veux-tu en voilà...
Adieu les salamandres, les crapauds et les fleurs des champs !
J'oubliais... les fermes et les familles qui y vivent depuis belle lurette.
Et ça tombe mal parce que la ferme de Camille est précisément à cinq kilomètres de ce lieu, et même si, au début, il a milité gentillet, comme ça, pour voir… maintenant, il se sent vraiment plus utile auprès des zadistes qu'ailleurs.
Que je vous présente Camille Destroit : il bossait (oui car ça, c'était avant la ZAD), il bossait donc à l'hyper Écobioplus de Cassel où il était « responsable des achats frais » - il cherchait des fournisseurs locaux et bio de préférence - mais il s'est fait virer parce qu'il a eu des ennuis avec la justice (à cause de la ZAD). Quarante balais, plus de boulot, plus de nana (Marie est partie), on a mis le feu à sa grange et en plus, il vient de se faire tabasser par des crânes rasés : bref, le moral est totalement en berne.
Or, il va rencontrer Claire, une zadiste, qui va l'aider à retrouver un semblant de sens à son existence et à reprendre la lutte contre l'ennemi juré : la famille Valter, Valter & frères, l'entreprise de BTP qui doit construire la fameuse plateforme multimodale (propriétaires aussi de l'Écobioplus, si vous voyez ce que je veux dire…)
Et puis, Camille a le coeur qui bat pour Claire. Elle pourrait lui demander la lune, il irait la chercher. Et… c'est bien ça le problème….
Quelles sont les vraies motivations De Claire ? Camille n'est-il pas en train d'être manipulé par cette belle rousse qui le trouble de plus en plus ? Qui est cette fille et d'où vient-elle ?
Comme je vous le disais, j'ai vraiment beaucoup aimé Ma ZAD : le personnage de Camille, plutôt tourmenté, particulièrement attachant, et celui De Claire qui demeure longtemps assez mystérieux. Il y a un très bon suspense qui tient le lecteur jusqu'au bout du roman (qu'on lit d'une traite!) Et … la langue : Jean-Bernard Pouy est un jongleur : les mots volent, les expressions fusent, tout est poésie dans ce texte. Métaphores, jeux de mots, gouaille populaire, références culturelles se mêlent et s'entremêlent sur un rythme effréné et bien sûr, ajoutez à cela, une bonne dose d'humour, et des envolées perso contre tout ce qui énerve l'auteur au plus haut point ! En un mot : c'est JUBILATOIRE !
Et les dernières pages vous laissent sur le cul, le ventre noué ! Vrai !
Allez, je vous laisse avec Camille et son chat Glütz.
Je les adore tous les deux. Vraiment !
Un polar social et engagé qui donne envie de lever à la fois le poing et .. le coude !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Rien ne saurait empêcher la venue de ce phénomène saisonnier, pas même les dérèglements climatiques, où l'on observe durant cette période printanière l'apparition des magazines hors-série consacrés à la littérature noire. On saluera l'effort même si l'actualité du polar ne s'arrête pas à cette période de l'année dont on pourra évaluer toute son ampleur annuelle avec des revues spécialisées dans le domaine, comme l'Indic ou 813 qui vous épargneront les sempiternelles réflexions sur un genre qu'il faudrait considérer à part entière dans le monde littéraire. C'est par le biais de ces publications que vous découvrirez tout au long de l'année, des nouveautés, qui ne bénéficient pas toujours d'un éclairage médiatique aussi important qu'elles seraient en droit de mériter, mais également des personnalités qui ont contribuées, bien avant son avènement, au rayonnement du roman policier à l'instar d'une figure comme Jean-Bernard Pouy créateur avec Serge Quadrupanni et Patrick Raynal de la série le Poulpe qui a la particularité d'être rédigée pour chaque épisode par un auteur différent. Mais outre ce personnage emblématique du polar français, Jean-Bernard Pouy, conteur hors-pair, est l'auteur d'une cinquantaine de romans et d'un nombre incalculable de nouvelles et d'essais qui revient sur le devant de la scène avec Ma ZAD, un roman noir qui colle à l'actualité du moment dans le contexte de l'abandon du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes et des évacuations qui s'ensuivent.

Ca ne va pas fort pour Camille Destroit, responsable des achats du rayon frais d'un grand supermarché, qui a trop fricoté avec les zadistes occupant le site de Zavenghem où se situe la ferme héritée de ses parents. Lors de l'évacuation de la ZAD, ce quadragénaire, plutôt rangé est interpellé par les forces de l'ordre pour être placé en garde à vue. Et comme si cela ne suffisait, pas, Camille constate à sa sortie de détention que sa grange où il sotckait du matériel, destiné aux activistes a été incendiée, que son employeur l'a licencié et que sa copine l'a quitté. Pour couronner le tout, il est agressé par une équipe de crânes rasés n'appréciant guère son engagement. Blessé, le moral en berne, Camille peut compter sur les sympathisants qui logent chez lui. Parmi eux, Claire, une fille superbe qui le persuade peu à peu de reprendre la lutte et de faire face aux Valter, initiateurs du projet industriel de Zavenghem. Mais les intérêts De Claire sont-ils bien similaires aux convictions de Camille ?

Roman libertaire à l'image de son auteur, Ma ZAD prend l'apparence d'un récit foutraque, émaillé de traits d'humour, où les digressions en tout genre côtoient quelques répliques saillantes et jeux de mots plus ou moins foireux, finissant même par devenir parfois un peu agaçants. Emprunt d'une grande culture au sens populaire du terme, Jean-Bernard Pouy peut intégrer dans son texte des références telles que Philipe K Dick, Manet, les Rolling Stone, et même de Daniel de Roulet, puisqu'une partie l'intrigue, dont quelques péripéties se déroulent d'ailleurs en Suisse, s'inspire du parcours de l'écrivain genevois, responsable de l'incendie d'un chalet inhabité, appartenant à un magnat de la presse allemand, et dont il a révélé les circonstances dans un roman intitulé Un Dimanche A La Montagne (Buchet-Castel 2006). Voici donc un bel inventaire à la Prévert auquel l'auteur rend également hommage. Mais il ne faut pas s'y tromper, car au-delà de cette apparence chaotique, Jean-Bernard Pouy possède un solide sens de la narration nous permettant de suivre, au gré d'un texte vif et acéré, la fuite en avant de Camille, un homme aveuglé par une sourde colère qu'alimente une femme qui va se révéler fatale, mais également un environnement qui se disloque peu à peu sous les coups de boutoir d'une société de plus en plus avide. Mais loin d'être pompeux ou moraliste, Ma ZAD se révèle être un pur roman noir qui emprunte les codes classiques du genre pour le transposer à la périphérie du thème qu'il aborde, car acculé, dans ses derniers retranchements, la ZAD de Camille Destroit va s'incarner dans sa personnalité et ses convictions qu'il tente de préserver à tout prix.

Magnifique roman déjanté et fulgurant, à la fois grave et joyeux, Ma ZAD nous offre, sans jamais se prendre trop au sérieux, une vision aiguisée et pertinente d'une société alternative que les gaz lacrymogènes ne sauraient faire disparaître.



Jean-Bernard Pouy : Ma ZAD. Editions Galimard/Serie Noire 2018.

A lire en écoutant : One Way Or Another de Blondie. Album : Parallel Lines. Capitol Records 1978.
Lien : http://monromannoiretbienser..
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Un quadragénaire, Camille Destroit, se fait licencier de l'hypermarché bio où il travaillait.
Il est victime de son engagement aux côtés des zadistes contre un projet de barrage à Zavenghem qui détruirait la faune et la flore du site.

Il habite une petite ferme, héritée de ses parents décédés dans un accident de la route.

Des hommes de main incendient un bâtiment de sa ferme, il se fait casser la gueule par des activistes d'extrême droite.

Il n'en peut plus. Il se met au vert chez son ami de toujours, militant breton et basque, et il réfléchit.

Puis c'est la rencontre avec Claire et tout ce qui s'en suit que je vous laissé découvrir.

C'est pétillant, gai et nerveux. Ce récit aère les "boyaux de la tête".

De l'action et de l'utopie.
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Trois mois entre la sortie du livre et sa lecture, trois mois encore entre la première lecture et la chronique. Bof, l'occasion de sortir encore une expression toute faite sans intérêt comme chi va piano va sano.

Entre Octobre 1917 et Mai 68, nous avons déjà eu l'occasion de se pencher sur les liens entre littérature noire et événements historiques. Ma ZAD de Jean-Bernard Pouy nous plonge cette fois dans l'actualité brûlante. Hasard du calendrier, le livre est sorti en librairie quelques jours après l'annonce de l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-Des-Landes, et donc la victoire, sur ce sujet, de la Zone A Défendre la plus emblématique de France ce qui lui donne un côté Nostradamus de la Série Noire: victoire sur l'abandon du projet, l'État qui s'en sert de prétexte pour déloger tout le monde, les occupants qui décident de rester, les bleus qui cognent et les cognes qui distribuent bien pire que des bleus… JB ne fait même pas dans l'histoire du temps présent mais dans l'histoire du temps futur, c'est en fait son premier roman de SF.

ZAD et politique

Évidemment, toute ressemblance avec des situations ou des personnes existantes ou ayant existé ne peuvent être de simples coïncidences. Cependant, pour écrire ce roman, Jean-Bernard Pouy s'est surtout inspiré d'une autre ZAD, contre un autre GPII (Grand Projet Inutile et Imposé), celle de Sivens dans le Tarn, contre un projet de barrage impliquant la destruction de la zone humide du Testet, rendue tristement célèbre par la mort de Rémi Fraisse, tué par la gendarmerie mobile. Bien que documenté et très réaliste sur le sujet, Ma ZAD n'est pas un livre sur les ZAD, mais bien un roman avec une ZAD (enfin, même plusieurs) pour cadre. Il ne faut donc pas chercher à décortiquer ce que dit l'auteur des ZAD comme on le ferait d'un essai sur le sujet. La ZAD et le militantisme sont plus la toile de fond du livre que son sujet, et tant mieux !

Vu ce qui occupe mon esprit et par voie de conséquence ce blog, certain·e·s pourront être surpris·es par ce « tant mieux », mais je répondrai « justement », ce qui, j'en conviens, n'apporte qu'un éclairage très partiel. Justement, parce qu'intéressé par les questions militantes, je crains de les croiser dans un livre. Même quand l'auteur n'a pas un point de vue idéologique si éloigné que ça du mien, il est rare que leur traitement ne m'agace pas quand ce n'est pire. L'expérience avec Pouy s'est déjà présentée au travers de Nus qui suit un groupe anarchiste (et ponctuellement nudiste). Les approximations, incohérences ou manques de réalisme de l'auteur, les conceptions antagonistes, le manque de capacité du lecteur pisse-froid que je peux être à accepter de voir tourner certaines choses en dérision… Tout cela fait que j'ai gardé une impression très mitigée de Nus (le seul livre de JB Pouy, me semble-t-il, ou alors j'ai oublié et encore une fois : « tant mieux ») et que j'avais une pointe d'appréhension en apprenant la sortie de Ma ZAD.

A tort, totalement. Les descriptions et considérations militantes et politiques ne m'ont à aucun moment gêné dans Ma ZAD, certaines m'ont plu, d'autres m'ont amusé, d'autres laissé indifférent, mais aucune ne m'a détourné du plaisir procuré par bien d'autres aspects de ce roman.

L'histoire, histoire de dire

Mais alors qu'est-ce qu'il raconte le bouquin? C'est vrai que mes cons-génères qui babillent littérature sur un coin de web commencent généralement leurs chroniques par un résumé, j'ai tendance à ne pas le faire. Déjà, puisque les autres blogs le font, puisque l'éditeur le fait, puisque les sites de vente en ligne le font, je ne vois pas à quoi ça sert que je m'emmouscaille à vous recopier la quatrième de couverture. Je préfère vous dire ce qui importe pour moi, ce qui fait que j'aime le livre, ce qui m'a marqué durant la lecture. Or, c'est rarement le scénario, ici en tous cas ce n'est pas le cas. Mais je voudrais pas qu'on m'accuse de manquer à mes devoirs, et puis, je suis un faux anticonformiste.

Alors on a un prolo en milieu rural dans le nord de la France qui bosse dans une grande surface. Il s'appelle Camille, prénom épicène choisi collectivement par les zadistes pour s'anonymiser et éviter que l'on puisse personnaliser la lutte autour d'individu·e·s sorti·e·s du lot. le Camille en question soutient la ZAD voisine, sans en être un occupant à temps plein, il se définit comme un zadiste périphérique. Je soupçonne l'auteur de ne pas pouvoir le piffer – sûr qu'en le nommant Camille Destroit, il s'est retenu d'écrire Camille Demesdeux – vu qu'en quelques pages, il le créé orphelin et divorcé, puis lui fait perdre son boulot, son hangar et les stocks contenus victimes d'un incendie criminels, son intégrité physique, sa compagne … Il lui offre en compensation des emmerdes avec les flics et les fachos au service du grand patronat et des combats brumeux dans lesquels enjeux personnels et collectifs se mêlent, des rencontres pas toutes bienveillantes. Ses pérégrinations le mènent un peu partout en France, en Bretagne et en Europe… Il croise le chemin de pêcheurs, d'une sorcière, d'industriels, d'un peintre, de militants autonomes… Il est question d'histoires de famille, des grandes questions environnementales et économiques, d'amour, d'illusions et de désillusions, de bouffe… Sans compter tout ce que j'ai déjà cité plus haut et que je ne vais pas répéter (nota (comme Nicole): suite à un déplacement du paragraphe, ce qui était plus haut est maintenant plus bas alors merci de lire en faisant le poirier parce que j'ai la flemme de modifier, par ailleurs, comme c'est maintenant plus bas et que bêtement vous lisez de haut en bas histoire d'être sûr de toujours vous enfoncer plus bas dans mes conneries, vous ne l'avez pas encore lu, mais moi je l'ai quand même déjà écrit, donc le remettre ici serait bien me répéter, un genre de répétition par anticipation, tout un concept) et tout ce que je vous laisserai découvrir en lisant. Bref, en moins de 200 pages il y a vraiment de quoi s'occuper.

100% pur Pouy

Quand on est fan de Pouy, on a deux avantages. le premier c'est que l'auteur étant vivant, on continue à avoir le droit à de nouveaux bijoux régulièrement. le deuxième c'est qu'il est très prolifique (on n'est pas au niveau de stakhanovisme d'un GJ Arnaud, mais quand même, il est courant qu'il sorte trois livres la même année), il n'y a donc jamais à attendre longtemps avant la prochaine sortie. Pourtant ces dernières années, les bonnes nouvelles se faisaient plus rares sur ce front. le dernier roman inédit paru sous le nom de Jean-Bernard Pouy date de 2013 avec Calibre 16mm, soit cinq ans de disette ! Certes, depuis nous avions eu le droit pour patienter à une novella dans la collection Les petits polars du Monde, à la réédition de cinq de ses romans regroupés sous le titre de Tout doit disparaître, et surtout à un coup à la Boris Vian avec Le Merle, sensé être écrit par un certain Arthur Keelt et traduit par Pouy (même si l'imposture Keelt a fait moins long feu que celle de Vernon Sullivan). Certes, mais quand même. Avouons-le, les symptômes du manque devenaient ingérables.

Pour le coup, avec Ma ZAD, nous avons notre dose de Pouy. Car ce roman pourrait servir de support de formation pour un cours sur son auteur, tant il en a toutes les caractéristiques. A croire qu'il s'est dit « vous voulez du Pouy, ben je vais vous en donner moi, du Pouy! ». On retrouve tout ce qu'on a pu apprécier chez l'auteur par le passé sur le fond comme sur la forme, et, le cas échéant, même ce que vous n'auriez pas été capables d'apprécier.

Les thématiques

Bien sûr, j'exagère, toujours. Parce que perpétuellement outré, je n'existe que par l'outrance. Cependant, les principales thématiques sont bien là. A son habitude, JB Pouy, nous donne envie de Bretagne. Bien que le principal rôle non humain soit cette fois donné à un chat répondant au doux nom de Glütz, il nous délivre quelques mots d'amours à ses vaches adorées (comme « n'oublions pas que la vache est notre seconde maman »). Questions transports, et je parle de moyens de locomotions, pas seulement d'amour, il est vrai que le narrateur utilise à peu près tous ceux existant (il voyage à pince, en camionnette, en tramway, en avion, en ferry, en métro, en bus, en téléphérique… il ne manque que le vélo, pourtant cher à l'auteur, mais peut-être est-ce trop lent pour ce livre à 200 à l'heure, 200 pages j'entends, car chacun sait qu'à bicyclette, ça ne va vite que dans un sens : si en descente les méchants bourrent vils, c'est plus compliqué au retour, tel Yves, montant, qui comme Charles trainait), le fait qu'il prenne à le train à plusieurs reprises n'est donc pas parlant. Beaucoup plus significatif, le fait que le père du narrateur travaillait à la SNCF et créait des acrostiches autour de ces quatre lettres, une habitude que les lecteurs assidus connaissent bien, voir attendent impatiemment.

Les personnages

Les personnages sont des personnages de Pouy, point à la ligne. Avec un quadra un peu au bout du rouleau mais dont l'errance finale ne se fera pas sans laisser d'empreinte, avec la sempiternelle contrainte du handicap, le personnage principal qui a une relation ambigüe avec une jeunette qui pourrait être sa fille (un jour j'en parlerai de cette relation récurrente dans l'oeuvre de Pouy et qui est « problématique » comme on aime bien dire aujourd'hui), des salops vraiment salops et des pas salops pas vraiment pas salops, des champions du monde de levage de coude à la langue bien pendue mais au verbe haut…
L'ambiance et la philosophie

L'ambiance mariant sans difficulté la mélancolie et l'humour, l'impression de fin d'un monde qui n'en finit pas de finir et un rythme malgré tout soutenu est aussi au rendez-vous. L'ambiance, chez Pouy, c'est de loin ce que je préfère. Les jeux de mots rigolos, c'est sympa, la qualité d'écriture c'est important, mais ce n'est pas l'intérêt central de ses livres. Entre les faits racontés et les réflexions disséminées, certains propos tenus par les personnages, certains termes utilisés, les lieux, météos et autres éléments de description… il y a un truc dans ce livre comme dans a peu près tous les Pouy qui serre la gorge, qui noue l'estomac, envape la cervelle dans un vague-à-l'âme certain. Dans le même temps cette noirceur ne nie pas les plaisirs de la vie, elle trouve au contraire un équilibre parfait avec l'humour, la culture, le cul, la bonne bouffe, le bon vin, les vrais potes… Ma ZAD nous offre une livraison de Noir haut en couleur, typiquement Pouyesque. A de rares exceptions près, je referme un Pouy un peu comme je sors d'une manifestation antifasciste réussie mais due à un progrès des fachos, sans savoir si je suis plus boosté et enthousiaste ou plus démoralisé, mais toujours modifié, impacté émotionnellement par ma lecture. Ce fut encore le cas en fermant Ma ZAD.

Personnellement, je n'arrive pas à dissocier l'ambiance de la philosophie générale de l'oeuvre. Ou, peut-être, moins pompeusement, à la dissocier de la grille de lecture de la vie qui y transparait. On retrouve ici un narrateur totalement accablé par les événements, typique du roman noir. Mais il ne se laisse pas totalement porter par ces événements jusqu'à une fin inéluctable comme dans d'autres bouquins du genre (notamment chez certains auteurs américains) et son combat ne se résume pas à précipiter cette fin inéluctable ou à partir en beauté comme les personnages d'auteurs plus nihilistes (je pense notamment à Fajardie). Il compose avec ce que lui réserve la vie – bien obligé – mais il lutte pour malgré tout exister (à différencier de la lutte pour vivre ou survivre, qu'on retrouve dans d'autres types de romans noirs), ce qui est très bien résumé par le narrateur lui-même:

Encore un truc en moins. Après mon boulot, mon hangar, ma copine, mes illusions tout ça… A ce tarif là, dans un an, j'allais être réduit à l'état de spectre désincarné…

Mais à ce moment, on sait déjà qu'il ne va pas accepter son sort, sa spectralisation programmée (ce néologisme de mon cru ne sert à rien, mais je le trouve trop beau pour ne pas l'utiliser) car il a déjà précisé plus tôt:

« Mon problème à moi, (…) c'était d'accepter ou non de m'être fait aplatir, rabioter, tondre. (…) Parce que j'avais des perspectives. Ma ZAD, ma zone à défendre, la mienne. (…) C'était maintenant à moi de prouver.

Ce combat existentialiste ne se borne pas à être, le narrateur se donne encore le droit de choisir qui il veut être et d'en faire un choix réfléchi. Il parle régulièrement du besoin de réfléchir, de déconnecter « avec remise en marche pré-programmée », et encore plus explicite « comme un putain de Tibétain, je cherchais toujours la Voie » et surtout « Je n'allais pas, comme Dylan, m'asseoir au bord de l'eau et regarder la rivière couler ». Mais chaque fois le ton décalé, l'ironie utilisée vient nous prévenir (pour ma part me rassurer), on n'aura pas affaire à un long et barbant roman introspectif sur une quête initiatique à la mord-moi le mormon.

Pour ne pas finir comme un spectre désincarné et continuer d'exister, pour trouver sa voie, le narrateur n'a qu'une possibilité, se battre. Une jeune fille le lui dit d'ailleurs clairement « Toi, t'as besoin de dureté. Pour que tu sois content, il faut que tu te radicalises. » Et quelques lignes plus loin, le narrateur d'admettre « ce qui voulait dire qu'elle avait, bien sûr, raison. » Alors pendant toute l'histoire, les combats politiques de Camille, ses combats personnels, les combats personnels de tierce personne qu'il endosse plus ou moins volontairement, se mêlent, se croisent, s'enchevêtrent voir se confondent, mais c'est avant tout parce que peu importe, tant que ce sont des combats, ils remplissent leur rôle.

Le style, inimitable, inimité.

Surtout, la finesse d'écriture est toujours inégalable; les calembours, le détournement caractéristique de sigles et acronymes, les néologismes et métaphores hautes en couleur qui rendent le texte si vivant, les exhumation de beaux mots trop rares, le mélange joyeux des registres de langage du plus familier au plus soutenu, les changements de rythmes (je ne vais pas tout spoiler, même d'un point de vue stylistique, mais le dernier chapitre… wah!), les figures de styles dans toute leur variété… Ce n'est pas pour rien que comme le Barthélémy de Fred, je suis tombé dans le Pouy quand j'étais jeune et ne pense jamais qu'à y retourner. N'oublions pas, dans la plus pure tradition oulipienne, une série de jeu sur les chiffres à faire passer deux pour un nombre premier.

Il y a par ailleurs des zigs et des gisquettes qui opposent dans ce livre « culture » et « populaire », « finesse » et « potache ». Je les emmerde. Encore que ce soit inutile, car en débitant une telle diarrhée (si je voulais faire dans la subtilité je parlerais de logorrhée, mais je ne veux point), ils n'ont pas besoin de moi pour être merdeux. Chez Pouy, c'est la culture qui est populaire, il n'y a pas de contraste entre les deux. Les jeux de mots les plus bruts, voir lourds, sont drôles. La qualité d'écriture vient justement de sa diversité, de son amplitude. Il n'y a pas du lourd et du fin, il y a du fin parce qu'il y a du lourd. La légèreté potache nourrit la gravité, les grossièretés font partie de la richesse de l'écriture…

La bonne confiture maison se mange à la cuillère

Les auteurs qui saturent leurs écrits de références culturelles sont parfois très indigestes (même si, contrairement à beaucoup, je suis plutôt bon public pour ces références, je trouve qu'une ambiance s'illustre bien avec quelques morceaux de musique, les personnages se découvrent bien quand on sait ce qu'ils lisent ou regardent). Il y en a bien un ou une d'entre vous qui ne manquera pas de remarquer à voix basse (ou haute si vous êtes insupportables) que la culture, c'est comme la confiture, moins t'en as et plus tu l'étales. Et bien, désolé mais le bon sens populaire est parfois très con ! Si tu n'as pas beaucoup de confiote, il faut être stupide pour l'étaler sur un kilomètre de pain au point de ne pas en sentir le goût. Mieux vaut en déposer une bonne couche sur un coin de crouton pour bien en profiter et manger le reste de la miche au beurre demi-sel. Ou c'est que vous mangez de la mauvaise confiture, et alors le problème ne vient pas de la faible quantité, mais de la piètre qualité. Et en fait, le noeud du problème est là, ce n'est pas la quantité mais la qualité qui importe, quand c'est bon on ne compte pas les calories, la culture on en accepte trois centimètres d'épaisseur sur l'ensemble de la baguette.

Je pense n'avoir jamais lu un aussi court roman avec autant de références culturelles. Romans, films, tableaux, photos y sont cités par dizaines. Et pas étalés pour moins en sentir la saveur. Non, le JB y va à la louche, te faisant parfois un paragraphe entier de livres ou de tableaux à la suite. Et bien, ça doit être de la bonne culture, bien distillée, parce qu'on apprécie de bien en sentir le goût. Il y a presque un aspect testamentaire, comme si il voulait nous indiquer ce qui vaut le coup d'être lu ou vu, mais sans jamais sombrer dans le listing puéril, chaque oeuvre citée étant associée à une émotion, une anecdote, une blague, quelque chose d'intéressant qui fait qu'elle est à sa place. Et ce qui n'en vaut pas le coup, car il ne se gène pas pour égratigner quelques sommités quand l'envie lui en prend. de la même manière, on a le droit; renforçant cette impression de lègue, à un véritable guide de voyage, nous conseillant plein de coincetaux qui valent le coup d'être vus avant de casser sa pipe. Parce que non seulement le narrateur voyage pas mal (Nord de la France, Finistère, Belle-ile, Landes, Lettonie, Lübeck, Hambourg, Paris, Suisse…) mais en plus il nous donne des conseils sur ce qu'il y a à voir à plein d'autres endroits, nous chante les louanges de tel château des Pyrénées, de tel ville ou village de France, du Vercors ou de tel lac de l'Aubrac, nous indique les principaux points d'intérêts des différentes capitales d'Europe… Tout ça ne m'a absolument pas écoeuré ni lassé, au contraire, j'ai vécu cette lecture comme un constant tourbillon enivrant.

Le fashion faux pas

Il fallait que je trouve une critique à formuler, si je ne veux pas passer pour un fanboy acritique. J'aurais pu parler de questions de fond, comme une déjà citée dont la récurrence dans l'oeuvre de Pouy a de quoi interpeler et sur laquelle il y a à dire. Sauf qu'il faut être honnête, ça aurait été une réaction à froid, analytique. Sur le moment, en pleine lecture, ce qui me gêne se trouve souvent dans les détails.

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Licencié pour cause d'accointance trop visible avec les zadistes locaux qui luttent contre l'implantation d'une plateforme multimodale, Camille Destroit subit derechef tracasseries administratives, tabassage en règle et incendie du hangar de sa fermette près de Saint-Omer (Pas-de-Calais). Il n'en faut pas plus pour réveiller le vieil anar et les bétonneurs ont vraiment du souci à se faire. Pas étonnant que le mouvement zadiste ait inspiré J-B Pouy, l'éternel rebelle du roman noir français qui s'en donne à coeur joie, multipliant digressions amusantes, références artistiques et considérations spirituelles.
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Ça commence vraiment très fort, comme ce qui se passe sur une zone à défendre et qui n'est pas banal. D'ailleurs, la ZAD est devenue un nom commun comme l'évoque le titre du nouveau polar social de Jean-Bernard Pouy « Ma ZAD ».
C'est l'histoire de Camille Destroit qui s'est acoquiné avec les zadistes du site de Zavenghem. Il travaillait à l'hyper Ecobioplus et avait fait en sorte de le rendre utile en développant une politique d'approvisionnement auprès de petits producteurs bio du coin. Pourtant, il va se faire licencier suite aux magouilles des patrons qui ont des intérêts dans le projet de construction du pôle multimodal de la ZAD. C'est auprès de son pote breton activiste qu'il va se ressourcer. En rentrant, il va s'attacher à la jeune Claire, camarade de lutte. Ils vont devenir proches et tenter de soigner ensemble leurs propres traumatismes, développer leurs résistances, leur ZAD à eux en quelques sortes. Mais ce n'est pas parce qu'on semble être du même bord que l'on peut forcément se faire confiance. Il va donc y avoir quelques rebondissements…
Jean-Bernard Pouy écris là un superbe roman a suspens qui à la force de l'actualité. Au moment où les derniers zadistes de Notre-Dame-des-Landes sont en train de se faire déloger par la force, le livre s'ouvre sur une attaque de CRS à l'aube. C'est assez fort quand même. Mais ce polar et surtout très drôle et j'aime beaucoup l'humour de son auteur. Ce qui m'a le plus impressionner c'est la fin, que je ne raconterai pas précisément, mais qui a la forme d'un monologue halluciné à couper le souffle.


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Un nouveau Jean-Bernard Pouy est nécessairement une bonne nouvelle.

Comme toujours, l'auteur n'est jamais très loin de l'actualité sociale, et c'est presque sans surprise, mais avec un infini plaisir, que nous le retrouvons aux alentours des ZAD, ces Zones A Défendre occupées, souvent pour des raisons écologiques, par des personnes qui refusent de baisser les bras devant les lois du fric.

Un type d'un certain âge, militant mais sans en faire des caisses, se radicalise devant nous. Il s'appelle Camille Destroit, et ce n'est évidemment pas un hasard. Camille, comme le pseudo androgyne adopté par toutes et tous les zadistes lors des contrôles de police ou les interview données à la presse. Destroit, un mix entre destroy, réference au punk, et Détroit, la ville sacrifiée (et ces habitant(e)s avec) au nom du fric et du profit et qui se relève dans la débrouille et l'entraide (même si les prix sacrifiés de l'immobilier attirent toujours les même vautours, Amazon en premier).

Derrière les incontournables joutes verbales et les références culturelles dont Jean-Bernard Pouy s'est fait une spécialité, c'est un récit plein d'humanisme et d'engagement que nous offre l'auteur. La radicalisation, dans ce livre, retrouve une certaine noblesse, après avoir été souillé par les actualités. La radicalisation n'est pas toujours une pulsion de mort. Loin de là.

Creusant inlassablement le sillon du roman noir social, à l'instar de Patrick Raynal, Didier Daeninckx, Patrick Pecherot (et j'en oublie tant …), Jean-Bernard Pouy ne pouvait que s'intéresser aux ZAD, dans son style au plus près d'un monde qui vibre et se révolte, d'une écriture reconnaissable entre toute, entre humour et gravité, jeux de mots capillotractés et espoir chevillé au corps.

J'ai une infini tendresse pour Jean-Bernard Pouy depuis toujours. Une tendresse née dans une affinité d'idées, posté tous les deux du même coté de la barricade.
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Allez, j'ose contribuer avec mon petit commentaire personnel. J'ai presque honte après avoir lu les critiques hyper professionnelles déjà postées. Alors, moi aussi j'ai aimé le cadre inhabituel de l'histoire, le"héros" malchanceux pour qui forcément on éprouve de l'empathie, l'originalité du scenario et alors le style, bien sûr. La coexistence des blagounettes potaches et des références culturelles et effectivement ce dernier chapitre qui prend aux tripes parce que à force de ne pas respirer, on comprend que lire peut aussi donner mal au ventre. J'ai lu ce roman dans le train. Quand je l'ai refermé, j'étais triste, pour ce héros que j'aimais bien, pour tous les autres Camille, pour mes enfants... Bref, c'est le genre de bouquin qui me remue les tripes autant que les neurones. Après, il me faut un certain temps avant d'en commencer un autre. Bravo Monsieur Pouy de nous secouer ainsi ; ça fait mal mais ça fait du bien aussi.
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Un roman noir de Jean Bernard Pouy qui ne manque pas d'humour, de subversion et de spontanéité. Il traite du thème d'actualité des Zones A Défendre. La référence à la musique de Sham 69 nous entraine dans les bas-fonds des « kids auxquels nous ne pouvons pas être unis, quand il porte des dock martens à lacets blancs". le protagoniste, Camille, enquête sur ce skin qui a levé sa main sur lui. Il se révèle être l'homme de basse besogne d'un industriel, Jérôme Valter qui veut exproprier les fermes de la ZAD, pour faire construire un ouvrage de logistique gigantesque, pour faciliter la circulation des containers, au mépris de la préservation de l'équilibre écologique. Une certaine Claire qui a été victime d'un viol, lui a tapé dans l'oeil et le motive dans son enquête. On appréciera les remarques incisives de Jean Bernard Pouy, dans l'usage répété et insensé de locutions, dans les prises de parole de ces contemporains. A lire
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Jubilatoire. Révoltés du monde entier debout.
Un dernier chapitre d'anthologie
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