Le vertige nous prend quand on ne s'y attend pas, reste la possibilité de se laisser tomber, alors un conseil, accrochez vous, cette lecture va vous tourner la tête, mais faites bien attention de ne pas vous heurter à ses quelques aspérités !
Empire Falls Building est une bande dessinée sur l'architecture, mais c'est surtout une réflexion sur l'Art et sur la création.
Son graphisme est austère, froid, presque glaçant, les lignes vertigineuses s'imposent, les espaces paraissent parfois exigus, parfois infinis, les personnages peu expressifs par leur visage, le sont par leur silhouette, leur posture, les personnage déambulent entre les surfaces des murs, parfois la verdure apparaît et enveloppe tout. Edgar
Whitman, le jeune architecte, a un air coincé, comme une certaine innocence face au monde qui l'entoure. Il a des idées préconçues sur son métier. Au contact du richissime commanditaire, Kosmo Vassilian, il va devoir revoir sa vision des choses, et au contact de l'épouse de ce dernier, il va découvrir l'émotion et les sentiments. Edgar devra aller chercher au plus profond de lui-même pour se confronter à son nouveau défi, reprendre et améliorer l'
Empire Falls Building, une monument où déjà un certain nombre d'architecte s'y sont succédé, une oeuvre à l'image du monde, totale, universelle, à jamais inachevée, et à l'image de son propriétaire, excentrique, mystérieuse. Vassilian, c'est le monde ou même l'univers, tel qu'il nous échappera toujours, son épouse, c'est ce à quoi on s'accroche, une illusion de la stabilité, si fragile en fait. Et Edgar, l'artiste qui veut atteindre les sommets, découvrir les mystères universels, créer l'oeuvre suprême, c'est-à-dire éternelle.
Comment prolonger cet édifice, quelles directions prendre. On s'y perd, tout comme Edgar qui errera dans le labyrinthe de son imagination : mégalomanie de la création, grandeur péremptoire ou étalage de la culture et des savoirs ? Notre duo d'auteurs nous offre une leçon complexe sur le sujet de l'art, dont la clé n'est absolument pas dans ces deux options précédentes, c'est de l'ordre de la souffrance, de l'expiation, de la rédemption, au point de côtoyer la folie.
Dans un drôle de huis-clos où les perspectives se perdent dans l'infini, Edgar, Kosmo et Silma nous embarquent dans une quête impossible, est-ce celle de l'art, où l'oeuvre totale est inatteignable. Edgar, c'est Dédale et Icare en même temps, il se brûlera les ailes sur ce projet, c'était écrit d'avance, le préambule nous avait mis en garde.
Il faut prendre le temps de réfléchir sur cette bande dessinée, cette lecture n'est pas facile à aborder, les auteurs ne nous ménagent pas : fin abrupte, considérations assez floues sur les objectifs des personnages, mais c'est ce qui justifie le sujet, qui n'est pas qu'une simple histoire d'artiste que devient fou, d'ailleurs, pas sûr qu'il le soit devenu, pas plus que les auteurs s'en soient sortis indemne. J'adore me faire surprendre de la sorte par une bande dessinée, le graphisme énigmatique est à la hauteur du récit, ainsi qu'à la profondeur, et l'histoire nous ouvre sur de multiples horizons. C'est juste une réflexion sur ce qu'est l'Art, intelligente, mais totalement vertigineuse.
Vertigineuse !