Des guerres civiles du XVIe siècle à nos jours : Usages et enjeux des mémoires

D’abord, elle démontre l’existence d’une mémoire transnationale des guerres civiles qui s’insère dans une culture politique blanche transnationale qui, pour être limitée socialement, n’en est pas moins une réalité. Ensuite, elle souligne la prégnance des phénomènes mémoriels dans les processus d’engagement, ainsi que la diversité des formes de transmission qui fonctionnent à un moment donné. Enfin, elle permet de dépasser le paradoxe apparent entre internationalisme et guerre civile en montrant que chaque guerre civile nationale est considérée, dans cette vision du monde, comme la partie d’un plus grand tout, à savoir une guerre civile globale entre Révolution et Contre-Révolution.

Dès lors, elle invite à poursuivre la réflexion sur la façon dont s’agencent, au point de vue idéologique, mais également d’un point de vue social, des mémoires des guerres civiles à plusieurs échelles, du local au global, qui font l’objet d’appropriations différenciées selon les individus et les groupes et qui produisent des imaginaires parfois très différents au sein d’une même culture politique.

Cela s’explique par l’influence majeure du souvenir de la guerre d’indépendance espagnole de 1808-1814, qui fut tout autant une guerre civile qu’une guerre contre les Français, et qui construisit un modèle dans lequel la guerre civile constituait une expérience qui soudait la communauté politique, cohésion périodiquement renouvelée par la répétition de cette expérience.

Le caractère ambigu de la guerre d’indépendance renforça par ailleurs l’assimilation de l’adversaire politique à l’étranger, et par là même le caractère patriotique de la guerre civile. En témoignait le refrain de la marche d’Oriamendi, qui devint au début du XXe siècle l’hymne carliste par excellence : « Pour Dieu, pour la patrie et pour le roi, nos pères ont combattu ; pour Dieu, pour la patrie, pour le roi, nous combattrons nous aussi.

Que des puissances esclavagistes comme l’Angleterre et les États-Unis aient fourni aux insurgés un support logistique (armes, poudre, renseignement militaire et même la couronne de l’empereur Dessalines) ?

Toutes ces considérations troublantes, que quelques historiens ont su mettre en évidence, montrent que les oppositions furent d’autant plus enchevêtrées qu’elles étaient sous-tendues par des intérêts divergents, des ambitions personnelles et plus généralement par les profondes ambiguïtés sociales et raciales charriées par un siècle et demi d’oppression.