Marianne et Connell.
Connell et Marianne.
Moi, je les ai trouvés émouvants, poignants.
Sensuels. Incandescents.
Et ce malgré ce style un peu plat, terriblement dépouillé; malgré cette écriture clinique, si loin de tout ce que j'aime habituellement et qui parvient avec une implacable précision à dire toutes les nuances du désir et de l'amour, toute sa complexité quand la difficulté d'être soi et de se construire s'en mêlent, quand le doute et la fragilité sont là.
"
Normal People" est un roman troublant, intense et fulgurant, terriblement clairvoyant, doux-amer, et dont la force réside justement dans le contraste entre le dépouillement de l'écriture, si froid, et la brûlure du propos.
Marianne et Connell.
Connell et Marianne.
Ils se sont connus au lycée, dans la petite ville d'Irlande dont ils sont originaires.
Lui est un beau gosse, doux et taiseux, sportif et apprécié de tous. le jeune homme a ce quelque chose du quaterback de ces séries américaines avec lesquelles on a poussé dans les années 2000... L'amour des livres et le manque de confiance en plus.
Elle est arrogante et n'a pas d'amis, elle n'est pas très jolie non plus. Rebelle, weird, asociale…
Parce que la mère de Connell fait des ménages dans la demeure cossue de la famille de Marianne, les deux adolescents en viennent à se fréquenter. Rapidement, un sentiment qui ne dit pas son nom les pousse dans les bras l'un de l'autre et c'est ensemble qu'ils font l'apprentissage du désir et de la sexualité, avec une rare intensité. Leur liaison demeure néanmoins secrète, à la demande de Connell qui n'assume pas vraiment cette histoire, attaché comme il l'est à sa réputation au lycée.
Les mois passent, le lycée aussi: c'est l'heure de l'université et de Trinity College où nous retrouvons les deux personnages qui s'y retrouvent eux-mêmes. Comme par un effet du destin, les rôles s'inversent à Dublin: alors que Marianne s'épanouit et embellit dans ce nouvel environnement, Connell est en marge, rongé de mal-être et de solitude. Leurs retrouvailles, l'amitié amoureuse qui en résulte sont, pour un temps, la seule lueur qui perce le gris de son horizon, jusqu'au prochain coup de théâtre, car au fil des mois et des années, Marianne et Connell ne se quitteront jamais vraiment, embourbés dans une relation indéfinissable où désir et émulation intellectuelle se cherchent et se répondent sans jamais se comprendre vraiment… Un jeu du chat et de la souris où chacun apaise les démons de l'autre avant de disparaître happé par d'autres bras, d'autres rêves; où le timing n'est jamais le bon, surtout…
Dans cette histoire d'amour impossible, pétrie de grâce et de douleur ,de rendez-vous manqués et qui hésite entre désespérance et romantisme infuse aussi une bonne mesure de pessimisme, à peine éclairée par une fin qui fait battre le coeur un peu plus vite, sans mièvrerie aucune. Une fin qui n'en ai pas une.
C'est un voyage beau et éprouvant ce "
Normal People", qui semble tendre un miroir à notre société désenchantée pour la mettre face à toutes ses contradictions, pour lui faire réfléchir à ses amours, ses doutes, ses rêves et ses fragilités. Pour lui dire que ça vaut peut-être le coup d'être soi, et d'y croire encore aussi. Malgré tout.
Et quelle acuité dans la réflexion de la part de
Sally Rooney, quelle intelligence, quelle modernité aussi dans cette manière de détricoter sentiments et schémas de pensées… le texte en acquiert presque une dimension salvatrice en plus de sa beauté et ce, grâce à deux personnages d'une rare complexité dont les failles et la vulnérabilité constituent sans doute la plus belle part.