Cyrano
Et bien ! écrivons-là,
Cette lettre d'amour qu'en moi-même j'ai faite
Et refaite cent fois, de sorte qu'elle est prête,
Et que mettant mon âme à côté du papier,
Je n'ai tout simplement qu'à la recopier.
(Acte II scène 3)
Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances.
Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet,
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet ;
Je ne sortirais pas avec, par négligence,
Un affront pas très bien lavé, la conscience
Jaune encor de sommeil dans le coin de son œil,
Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché d’indépendance et de franchise...
Je crois qu'elle regarde...
Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde (il lève son épée.)
Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! non ! C'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
- Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là ? - Vous êtes mille ?
Ah je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ? (Il frappe de son épée le vide.)
Tiens, tiens ! - Ha ! ha ! Les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !... (Il frappe.)
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! - Ah, te voilà, toi, la Sottise !
- Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ;
N'importe : je me bats ! Je me bats ! Je me bats ! (Il fait des moulinets immenses et s'arrête haletant.)
Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tâche,
J'emporte malgré vous, (Il s'élance l'épée haute.)
et c'est... (L'épée s'échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.
Roxane, se penchant sur lui et lui baisant le front.)
C'est ?...
(Cyrano, rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant.)
Mon panache.
CYRANO […] : Pourquoi t’en vas-tu, toi, de ce pas qui traîne ?
LE CADET : J’ai quelque chose, dans les talons, qui me gêne !...
CYRANO : Et quoi donc ?
LE CADET : L’estomac !
CYRANO : Moi de même, pardi !
LE CADET : Cela doit te gêner ?
CYRANO : Non, cela me grandit.
Ce Silène,
Si ventru que son doigt n’atteint pas son nombril,
Pour les femmes encor se croit un doux péril,
Et leur fait, cependant qu’en jouant il bredouille,
Des yeux de carpe avec ses gros yeux de grenouille !...
Et je le hais depuis qu’il se permit, un soir,
De poser son regard, sur celle… Oh ! j’ai cru voir
Glisser sur une fleur une longue limace !
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles, si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles
Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais ! Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès ! Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile !
DEUXIÈME MARQUIS
Les beaux rubans ! Quelle couleur, comte de Guiche ?
Baise-moi-ma-mignonne ou bien Ventre-de-biche ?
DE GUICHE
C'est couleur Espagnol malade
PREMIER MARQUIS
La couleur
Ne ment pas, car bientôt, grâce à votre valeur,
L'Espagnol ira mal, dans les Flandres !.
Le Bret :
Tu pleures ?
Cyrano :
Ah ! non, cela, jamais ! Non, ce serait trop laid,
Si le long de ce nez une larme coulait !
Je ne laisserai pas, tant que j'en serai maître,
La divine beauté des larmes se commettre
Avec tant de laideur grossière ! … Vois-tu bien,
Les larmes, il n'est rien de plus sublime, rien,
Et je ne voudrais pas qu'excitant la risée,
Une seule, par moi, fût ridiculisée ! …
Juste un mot : magnifique