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4,09

sur 1323 notes
De cette plongée dans l'Amérique héroïque de l'après-guerre et en s'attardant largement sur les années 60, Philip Roth fait émerger une force poétique pour dénoncer un monde d'illusions qui se désagrège.

Il peint un méticuleux tableau moral disséquant l'Amérique, pointant ses contradictions et lui donnant une inflexion historique, pour se pencher sur quelques-uns des grands moments de crise de la gauche américaine.

La toile de fond est la trajectoire ascendante d'immigrants de la classe moyenne juive qui avaient comme valeurs principales la force du travail et obéissaient aux règles et préceptes, obligations et interdictions envers et contre tout.
Ils étaient jeunes, beaux, et croyaient au rêve américain.

Les contes de fées finissent mal en général…

Le personnage principal, le géant aux pieds d'argile voit tout dégringoler autour de lui, ses certitudes, ses valeurs et sa morale. Sa vie explose littéralement lorsque sa fille pulvérise les normes commettant l'inimaginable mais il se bat pour continuer à paraître tout lisse dehors même si est totalement tourmenté dedans.

Culpabilité, remords, obsessions, déchéance, la dégringolade sera lente mais puissante.

Philip Roth évite la tragédie larmoyante pour se concentrer sur les questions de morale et de l'échec du rêve américain et compose un récit à son image. 

Entre regard sur l'intime et l'analyse de la société, ce roman a un grand potentiel subversif et dérangeant.


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Il a été salué d'un prix Pulitzer, ce grand roman qui nous parle des fractures de l'Amérique, dans une époque marquée par la guerre du Vietnam, et des émeutes raciales .

Philip Roth nous raconte l'effondrement du rêve américain presque comme un journaliste, avec l'histoire particulière de Seymour Levov, dit le Suédois, et sa fille devenue terroriste qui illustre celle plus globale de la génération 68 . C'est sa manière de nous parler de conflit de génération et de rupture historique. Comme toujours chez lui, fiction et réel sont extrêmement proches.

C'est Nathan Zuckerman, le double de fiction de Roth qui recueille les paroles et porte pour nous cette douloureuse histoire d'une famille frappée de plus qu'un deuil, celui d'avoir une enfant qui porte la mort au nom d'une idéologie, rejetant toutes les valeurs auxquelles son père est attaché.

Roth ne se contente pas de la surface des choses. Il fouille et analyse chacun des membres de cette famille, comme s'ils étaient des voisins, des parents ou des amis. On peut lire des pages magnifiques sur l'amour paternel, la vie idyllique à la campagne, un artisanat minutieux. On touche du doigt les fêlures de chacun d'entre eux, puis le délitement des relations à l'épreuve du pire. Que faire lorsque celui ou celle qu'on aime est un bourreau...

C'est déchirant, parfois insoutenable, car toute tentative d'explication échoue sur le mur d'une réalité complexe qui se dérobe sans cesse. Il y a un peu de Kafka dans cette quête au bout du sordide de la fille perdue, criminelle, folle peut-être, pour la sauver d'elle même et de ses démons, la ramener dans le troupeau.

Si ce roman nous touche aussi, c'est qu'au delà du contexte local, il y a dans le personnage du Suédois , le mythe plus ancien de l'homme qui défie trop les dieux, en voulant être créateur de sa vie . Il préfigure sans doute le personnage de Coleman Silk, qui dans « La Tache » assume pleinement ses transgressions avec son isomorphisme . Dialogue compliqué entre apparence, identité et enracinement ...

Ce n'est pas une lecture facile, mais la prose magnifique, les dialogues incisifs de Philip Roth nous emmènent assez loin dans mille et unes nuances de la douleur .

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1968, Merry Levov, jeune fille de 16 ans fait exploser une bombe dans la poste locale de Newark et tue un homme, un acte terroriste pour manifester son rejet de la guerre du Viêt-Nam. Après l'attentat Merry s'enfuit et entre dans la clandestinité, ses parents n'auront plus de nouvelles d'elle pendant 5 ans.
Merry est issue d'une famille juive parfaitement ancrée dans les bonnes moeurs de l'Amérique, son père Seymour, un patron respecté et droit, incarne le modèle de réussite. Il est marié à Dawn une très belle irlandaise, catholique, ancienne Miss New Jersey. Tout semble idéal, la famille Levov représente le cliché du « rêve américain » alors qu'est-ce qui amène cette adolescente à bousculer ce tableau idyllique en commettant cet acte terroriste…
Le père essaie de comprendre pourquoi sa fille à basculer dans l'extrémisme. A-t-elle été manipulée, influencée, ou est-elle perturbée, Seymour ne peut imaginer que sa fille chérie soit une terroriste, une militante engagée prête à tuer.
Seymour est profondément atteint par l'acte de Merry, la culpabilité le gagne, il cherche à savoir quelle faille a-t-il commis dans l'éducation de sa fille. Mais cet événement le sort de sa naïveté et de son conformisme, il ouvre les yeux et découvre un autre horizon de l'Amérique, il porte également un regard interrogateur sur sa vie si parfaite. Seymour prend conscience de l'hypocrisie de la société américaine, de ses amies et de ses relations.
Tous les codes moraux de Seymour Levov sont entachés, « sa pastorale » est brisée et devient un paradis perdu.

Philipp Roth donne la parole au narrateur écrivain Nathan Zuckerman. Tout le roman est construit sur le point de vue de ce narrateur qui analyse la société américaine des années 1940 à 1970 et dissèque la psychologie de Seymour personnage central du roman. Un livre qui effleure le militantisme, mais Philipp Roth ne prend pas position, et visite avec réserve les travers d'une Amérique divisée.
Un grand coup coeur.
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Ce premier livre de la Trilogie Americaine de Roth est une chronique de la fracture du reve americain, fin des annees 60 du siecle dernier. Son principal protagoniste, Seymour Levov, dit “le suedois", est le symbole de ce reve. Grand athlete blond admire de tous, ce petit-fils d'immigrants juifs d'Europe de l'Est est un modele pour tous ses congeneres de Newark. Bon fils, prospere directeur de la fabrique de gants qu'il a herite et qu'il a fait fleurir, marie avec heur (bon) a une Miss New Jersey catholique, habitant en campagne une ancestrale et solide maison en pierre, bon pere pour son unique fille, Merry. “Le suedois" est l'epicentre d'une certaine mythologie americaine: la preuve par neuf que deux generations de travail acharne peuvent mener au firmament de la societe; que l'Amerique est la terre de toutes les opportunites.


Et puis un jour, sans preavis, tout s'effondre. Ou plutot tout explose. Ses certitudes, ses convictions, sa confiance en soi et en autrui, sa suffisance, le microcosme qu'il s'etait bati et le macrocosme alentour. Avec l'explosion du magasin du coin que sa propre fille, sa petite fille choyee de 16 ans, a fait sauter a la dynamite, tuant une personne. Parce qu'elle s'opposait a la guerre au Vietnam? Pour protester contre le systeme capitaliste americain? Pour s'elever contre une societe injuste? Parce qu'elle haissait ses parents et ce qu'ils representaient? Comment comprendre son acte? Comment le supporter? Comment elle en etait arrivee la? Comment avait-elle ete indoctrinee? Et par qui? Pour “le suedois" c'est la descente aux enfers, bien qu'il essaye de n'en rien laisser paraitre.


Je laisse la parole a Roth: “…survient la fille perdue, la fille en cavale, cette Américaine de la quatrième génération censée reproduire en plus parfait encore l'image de son père, lui-même image du sien en plus parfait et ainsi de suite… survient la fille en colère, la malgracieuse, qui crache sur son monde et se fiche éperdument de prendre sa place dans la lignée Levov en pleine ascension sociale, sa fille, enfin, qui le débusque comme un fugitif, qui le pousse la première dans la transhumance d'une tout autre Amérique ; sa fille et ces années soixante qui font voler en éclats le type d'utopie qui lui est cher, à lui. Voilà la mort rouge qui contamine le château du Suédois, et personne n'en réchappe. Voilà sa fille qui l'exile de sa pastorale américaine tant désirée pour le précipiter dans un univers hostile qui en est le parfait contraire, dans la fureur, la violence, le désespoir d'un chaos infernal qui n'appartient qu'à l'Amérique”.

Et plus loin: “Pour elle, être américaine, c'était haïr l'Amérique. Mais, lui, il ne pouvait pas plus cesser d'aimer l'Amérique que cesser d'aimer père et mère, ou abandonner tout code de conduite. Comment pouvait-elle détester un pays alors qu'elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il était ? Comment sa propre enfant pouvait-elle s'aveugler au point de vouer aux gémonies le « système pourri » qui avait donné toutes les chances de succès à sa famille ? Comment pouvait-elle traîner dans la boue ses « capitalistes » de parents comme si leur fortune était le produit d'autre chose que de trois générations industrieuses et tenaces ? Trois générations d'hommes, dont lui, qui avaient trimé dans la crasse et la puanteur d'une tannerie. Elle avait débuté dans une tannerie, aux côtés des derniers des derniers, cette famille qu'elle appelait désormais les « chiens capitalistes ». Il n'y avait pas grande différence, et elle le savait, entre haïr l'Amérique et les haïr eux-mêmes. Il aimait l'Amérique qu'elle haïssait, tenait pour responsable de toutes les imperfections de la vie, et voulait renverser par la violence ; il aimait les prétendues « valeurs bourgeoises » qu'elle abhorrait, ridiculisait et voulait subvertir ; il aimait la mère qu'elle détestait, et qu'elle avait failli faire mourir en commettant l'acte qu'elle avait commis. Petite salope ignare!”


C'est la fin d'un monde pour le suedois. Avec lui Roth decrit les fractures de l'Amerique au dernier tiers du XXe siecle. Aux anciennes et non resolues fractures raciales se sont rajoutees des fractures politiques importantes qui ont ranime les latentes fractures economiques et sociales. Mais Roth n'est pas un sociologue, il est romancier, et son roman, qui eclaire une periode de crise, m'a fait surtout vivre le cauchemar d'un homme, sa decomposition face a l'ecroulement de tous ses criteres. Pas seulement comprendre, mais accompagner, vivre avec son personnage son desespoir. Roth est un tres grand ecrivain, et cette Pastorale un grand livre. Une page d'histoire, brillamment romancee. le naufrage d'un homme, profondement rendu.

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Philip Roth, récemment décédé, est reconnu comme l'un des grands romanciers américains de notre temps. Publié en 1997 et salué par de nombreux prix littéraires, Pastorale américaine est considéré comme l'un de ses chefs d'oeuvre. Dans ce livre de quatre cent cinquante pages, l'auteur se penche sur le mythe de la famille américaine idéale, pour en montrer la vanité, la superficialité et la fragilité.

En le voyant, qui pourrait penser que Seymour Levov est le petit-fils d'un modeste immigrant juif installé à Newark, banlieue de New York ? Dès l'adolescence, sa belle gueule de grand athlète blond aux yeux bleus lui vaut le surnom de « Suédois ». Sportif de haut niveau au comportement exemplaire, le Suédois est l'idole de ses camarades universitaires. Plus tard, il dirige la prospère entreprise familiale de fabrication de gants, conscient de ce qu'on appellerait aujourd'hui sa responsabilité sociétale. Avec son épouse Dawn, une reine de beauté, il forme un couple parfait, aux valeurs morales irréprochables. Ils habitent une grande maison traditionnelle en pierre, entourée de cinquante hectares de terrain, où Dawn élève des bovins. Bref, une famille modèle, des riches bobos, ou plutôt, puisque nous sommes en Amérique, l'image de ce que le narrateur préfère appeler des pionniers d'opérette.

Leur fille unique, Merry, est la prunelle de leurs yeux. Ses grands-parents en sont gâteux. Mais voilà qu'à l'adolescence, Merry se rebelle contre ses parents, la société capitaliste américaine et sa sale guerre du Vietnam, dans un crescendo qui l'amène à poser une bombe dans un endroit public... Boum ! La poste et le magasin général sautent, un homme est tué. Merry disparaît... C'était l'année 68.

Le paradis du Suédois vole en éclat. Sa confiance en lui aussi. Purgatoire de l'incompréhension, du déni et de l'absence. Lorsqu'il faut bien se rendre à l'évidence, enfer de l'auto-culpabilisation. Quelle faute a-t-il commise ? Quand a-t-il péché pour mériter cela ? Qu'a-t-il fait pour que sa fille ait ainsi « le diable en tête » ? Tout part en vrille…

Comment Philip Roth construit-il son roman ? Il confie la narration à Nathan Zuckerman, son avatar. Comme lui, Zuckerman est un romancier sexagénaire. Comme lui, il a vécu dans les quartiers juifs de Newark. Mais ce n'est qu'un personnage de fiction. Il raconte que dans son enfance, cinquante ans plus tôt, il avait admiré les exploits de Seymour le Suédois, personnage de fiction lui aussi. Revoyant le Suédois en 1995, Zuckerman retrouve chez lui la même superbe que dans sa mémoire, mais marquée d'une superficialité lisse qui pourrait dissimuler une blessure profonde. Lors d'une soirée d'anciens étudiants, il découvre la nature du drame familial vécu par le Suédois près de trente ans auparavant. A partir de ces quelques données, le narrateur va construire la biographie complète de Seymour Levov dit le Suédois, et imaginer le détail des événements de l'époque. Imperceptiblement, on passe dans un second récit, celui de la pastorale américaine proprement dite.

Pour donner tous les éléments de compréhension au lecteur, l'auteur multiplie les retours en arrière et les longues digressions, au risque parfois de l'égarer. Lorsque j'avais lu Pastorale américaine, il y a une vingtaine d'années, j'en avais trouvé la lecture difficile, parfois pesante, notamment dans la première partie. Cette fois-ci, j'ai pris beaucoup de plaisir à redécouvrir le livre et à me laisser promener avec patience dans ses méandres : ils ne sont que littérature. Et à partir de la deuxième partie, on reste suspendu aux événements dramatiques vécus par Seymour et sa famille.

L'écriture est directe, empreinte d'une ironie et d'une autodérision lucides. Mais quand le narrateur, Zuckerman, se place dans la subjectivité des personnages, il parle avec leurs mots pour exprimer leurs pensées, leurs souvenirs, leurs troubles, leurs angoisses, leurs désespoirs. Les phrases viennent par flots, personnelles, spontanées, parfois rabâchées, comme nous nous y laissons aller lorsqu'un sujet nous obsède, ou quand nous nous imaginons en train de nous justifier auprès d'une personne dont nous pensons qu'elle pourrait nous juger. Ainsi l'extraordinaire dialogue fantasmé que Seymour le Suédois rêve avoir avec Angela Davis, la redoutable et médiatique militante des Black Panthers !

Vingt ans après sa publication, Pastorale américaine est d'une actualité étonnante. 1968 avait été l'année de la révolte de la jeunesse un peu partout dans le monde. Les réquisitoires prémâchés, vomis par Merry et ses camarades contre le capitalisme et la société blanche occidentale, sont identiques, au mot près, à ceux que l'on entend de nos jours. Même sentiment lorsque le paradis construit par le Suédois achève de s'effondrer en 1973 : la famille Levov suit à la télé les retransmissions des auditions du Watergate devant le Sénat. Des millions d'Américains prennent conscience qu'ils ont reconduit à la Maison-Blanche un homme douteux qui leur fait honte.

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Qu'étaient venus chercher tous ces immigrants qui débarquaient aux portes de New York au début du vingtième siècle ou même un peu avant ? Quels espoirs les habitaient quand ils foulaient, pour la première fois, le sol américain ? Au terme d'une traversée périlleuse et dans des conditions innommables, ils demandaient à travailler, à subvenir aux besoins des familles, à ne plus connaître la misère, à manger à leur faim et à vivre sans peur, sans persécutions, sans être victimes d'une race, d'une religion, d'une origine...
Si l'on garde cela en tête, la "Pastorale américaine" est une lecture percutante qui vous met à terre.

En un cliché - au sens photographique du terme - , Philip Roth nous dit l'histoire d'une famille sur quatre générations, du premier pas de celui qui a choisi cette terre porteuse d'espoirs, en 1890, jusqu'à la fin des années soixante, années de questionnements et de chaos, années de bouleversements et d'affrontements, années terribles desquelles le pays ne se remettra véritablement jamais.
Car la bombe que la jeune Merry pose au nom d'une idéologie, entre manifestations pacifistes contre la guerre du Vietnam et heurs autour de la réalité des Droits civiques, en dynamitant le coeur vital du bourg d'habitation, anéantit, avec une onde rémanente, les fondements de cette famille qui croyait avoir atteint la félicité.
Merry qui cherche une place dans une société qui se révèle incapable d'englober toutes ses différences, toutes ses pensées, toutes ses convictions.


Je ne serai pas trop bavarde, bon nombre de très belles critiques permettent de découvrir le livre, déjà, mais peut-être ne vaut-il mieux pas trop lire d'avis avant d'entamer la lecture, et décider de se laisser guider par l'écrivain et accepter d'être bousculé par les différents virages du récit.

Par la façon dont Philip Roth introduit le récit, en faisant intervenir son "double", le personnage de Nathan Zuckerman, sorte de "reflet littéraire dans les mots", je n'ai pu m'empêcher de penser à un autre écrivain américain qui fait aussi référence à son "double littéraire"- écrivain comme lui, dans certains de ses livres : Paul Auster que j'ai lu davantage.
Et le lieu où se déroule la "Pastorale américaine" ainsi que le milieu dans lequel elle prend place ne pouvaient pas ne pas évoquer cet autre grand écrivain.
Là où Paul Auster témoigne de la bienveillance à l'égard de ses personnages, les guidant vers la lumière, les aidant à trouver la sérénité, Philip Roth donne l'impression de laisser glisser un regard froid dénué d‘émotion sur les siens. Il ne les embellit pas, ne leur cherche pas d'excuses, ils sont bourrés de défauts, ils ont tant de manquements et on a l'impression que Philip Roth n'attend rien de la nature humaine à la différence de Paul Auster qui espère encore.
Cela fait du récit un tableau comme passé au scalpel, tranchant, dur, sans atermoiements. Les personnages se débattent mais on comprend très vite qu'il n'y pas d'issue heureuse….
C'est assez désespérée comme vision.

C'est brillant, le lecteur est comme aimanté, comme attiré par les phrases, le rythme du récit. En même temps, la lecture devient, par moments, nauséeuse entre la situation sociale qui ne trouvera aucune solution d'apaisement et l'intimité feinte dans son bonheur des personnages, on se sent mal à l'aise, on se sent voyeur d'un désastre, de l'effondrement d'une famille qui avait rejoint les nantis, de l'effondrement d'une société qui peine à trouver une place pour tous, qui peine à écouter chacun.
On est obligé de poser le livre un moment, et de le reprendre ensuite, on reprend son souffle…
C'est l'Histoire qui s'immisce dans une famille, qui s'y incarne même, L Histoire et le destin de cette famille comme en miroir l'une de l'autre, dans une narration romancée. C'est l'antithèse du Rêve américain.
C'est extrêmement captivant, à la fois le récit et l'écriture.


C'était ma première rencontre avec l'écriture de Philip Roth, je l'avais longtemps repoussée, parce qu'appréhendée, ne me sentant pas à la hauteur… C'est la gentillesse d'une amie babéliote sollicitée – larmordbm – qui m'a convaincue d'entrer dans cet univers, qu'il me soit donc permis de vous remercier, Dominique, pour m'avoir conseillée et m'avoir guidée pour ce premier choix.
J'ai découvert un écrivain que je vais lire, et relire, en espaçant les lectures pour profiter longtemps et pleinement.
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Lire Pastorale américaine, c'est (re)découvrir l'Amérique (lire ici les Etats-Unis) du 20e siècle. À l'aide, à travers quelques personnages, surtout de la famille Levov, l'auteur Philip Roth nous dresse un portrait de cette société qui pourrait sembler idéale, parfaite au premier coup d'oeil mais que, en tant qu'observateur attentif, il a réussi à trouver les fissures et les failles qui ne feront que s'aggrandir et dévoiler les faillites du rêve américain.

La première partie est narrée par Nathan Zuckerman. Écrivain, on le retrouve aussi dans quelques uns des romans de Philip Roth, c'est le double de l'auteur lui-même. Ce Zuckerman se rend à une réunion des anciens élèves de son lycée. le cinquantième, je crois. J'adore ces romans où des personnages jètent un regard critique sur leur entourage et se remémorent le passé. Quand un tel personnage est écrivain, sa capacité d'analyse et d'introspection est encore meilleure. Et quand il est d'origine juive, ça apporte une dimension supplémentaire. Mais voilà que les souvenirs d'enfance de Zuckerman se portent plutôt sur «le Suédois», de son vrai nom Seymour Levov, un autre élève de son école plus âgé de quelques années. Blond, athlétique, intelligent, courageux (il s'est engagé dans les Marines), le plus américain de tous les juifs. Un héros, l'idole de tous, quoi !

Les deux autres parties du roman se concentrent sur la vie adulte de Seymour Levov. Les affaires prospères de son père (une compagnie de confection de gants), son éloignement de la communauté juive, son mariage avec une irlandaise catholique qui battera de l'aile, ses difficultés avec sa fille révoltée, etc. Ainsi donc, sa famille qui aurait pu paraître parfaite ne l'est pas. Tout n'est qu'une illusion ? Peut-être est-ce un concept qui n'existe pas dans la vraie vie. En effet, plusieurs des événements secouant sa famille font écho à des faits marquants de l'histoire des Etats-Unis, comme les tensions raciales, la Révolte de Newark de 1967, la Guerre du Vietnam et les manifestations contre ce conflit, des attentats à la bombe, le Watergate, la révolution sexuelle, etc. Finalement, les Américains ne sont pas meilleurs ni plus heureux qu'ailleurs. Adultère, chirurgie esthétique, spiritualité et sectarisme, tous cherchent quelque chose qui leur échappe. C'est un peu long par moment mais je suis preneur.

Ainsi donc, la vie idéalisée par tous, cette Pastorale américaine, n'est qu'un rêve. La réalité n'est qu'un chaos auquel on essaie de se raccrocher en se faisant croire que tout va bien. Quand on y pense réellement, on ne comprend personne et personne ne nous comprend non plus. Nous sommes seuls. Et, une fois qu'on s'en rend compte, le retour en arrière n'est plus possible. C'est un peu démoralisant quand on y pense. Mais bon, la vie de Seymour Levov est assez exceptionnelle. Et que dit le dicton ? The higher you climb, the harder you fall. Ce qui aide à faire passer le tout, c'est l'écriture de Philip Roth, un des meilleurs écrivains américains, selon moi. Je me suis laissé emporter par son histoire et, surtout, ses personnages, plus grands que nature. Ces derniers sont tellement complets, complexes… vivants. Il faut dire que ça aide quand quelques uns, à commencer par Seymour, sont inspirés de personnes réelles. Dans tous les cas, son récit prenait des airs de biographie.
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Et me voilà venue à bout de Pastorale américaine !

Il m'aura fallu un certain temps - pour ne pas dire un temps certain ... - pour m'y habituer. Cela s'explique d'abord par le fait que c'est une lecture imposée (dur de conjuguer lecture imposée et plaisir de lire dans la même phrase!).

Bien sûr, Philip Roth est un pilier de la littérature américaine contemporaine. Et oui, difficile de ne pas passer par l'étape Roth aujourd'hui. Surtout si on parle de lettres américaines juives. Alors dans ce cas-là ne pas connaître Roth est impardonnable. C'est qu'il doit faire partie des Dix Commandements de la littérature américaine du 20ème siècle - de la deuxième moitié du moins.
C'est pour cela qu'il faisait partie de ma PAL. J'aurai voulu commencer par un autre, mais tant pis, en fin de compte il n'y a rien à regretter !

Etant donné le nombre de critiques déjà postées je ne vais pas faire un énième résumé de l'histoire. Histoire, plutôt une fresque familiale pour être exacte.

La première moitié du livre a été très pénible à mon goût, en grande partie à cause des descriptions sans grand intérêt qui s'y trouvent. Par contre la deuxième moitié, ... celle-là je l'ai dévoré !
Certes vous penserez sans doute - à juste titre - que ça fait beaucoup pour finalement apprécier un livre, mais très sincèrement, la 2ème moitié est tellement forte tant par son contenu que par la façon dont elle est écrite que j'en ai quasiment oublié le dur périple que j'ai dû endurer au départ !

Pour apprécier ce roman, il m'a aussi fallu le comprendre. En effet, je n'en ai pas vu l'intérêt instantanément.
En réalité, Pastorale américaine, c'est l'Histoire de l'émergence de l'Amérique moderne vue à travers la famille Levov. Famille d'immigrants juifs qui parviennent grâce aux valeurs chères à nos amis américains (persévérance, économie libéraliste et travail) à réaliser et vivre pleinement le rêve américain dans toute sa splendeur.
Mais c'est surtout le revers de ce rêve, la déchéance et l'anéantissement de la famille Levov qui est au coeur du récit. Et la façon dont Roth a construit son récit est en quelque sorte une anatomie de ce désastre ; dont les flashback incessant traduisent un côté presque obsessionnel à cette recherche de sens.

C'est donc un portrait quasi cauchemardesque que Philip Roth dresse du fameux Rêve Américain ici déchu- d'où la référence au poème de John Milton "Paradise Lost" qui guide la construction des 3 parties du roman.
Ce Rêve qu'on nous vend alors sans cesse à la télévision, dans les film,... ne serait-il qu'un piège ? Une abîme dans laquelle ceux qui y rentre sont amenés à sombrer ?
Beaucoup de questions auxquelles l'auteur ne répond pas, même si les dernières conclusions et portraits sont tirés au vitriol...

Je ressors donc totalement convaincue par cet écrivain dont le style est agréable et le propos pertinent. Alors pourquoi pas la 5ème étoile ? A cause de ces fameuses descriptions !!!!
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Un très grand roman sur le rêve américain et son échec.

Cette fiction fait partie de la "trilogie américaine" de Roth, où l'auteur, relativement méconnu dans son pays, essaie de composer une symphonie du malaise américain, et de la faillite d'un rêve universaliste de bonheur, d'intégration et de réussite mis à mal par la guerre du Vietnam et les remises en cause qui en ont découlé.

C'est l'histoire d'un drame humain et familial que semble nous narrer ce roman. Loin de l'autofiction, il met en scène, non un narrateur centré sur sa propre histoire, mais une légende vivante, Seymour Levov surnommé "the Swede", le "Suédois", un bel athlète qui a fait les grandes heures de son lycée de Weequahic - celui de la communauté juive de Newark - dont il est devenu le mythique champion de basket, de base-ball et de football. Issu d'une famille d'immigrants juifs d'Europe de l'est, qui en deux générations ont réussi à bâtir une entreprise florissante de confection de gants, il en représente l'aboutissement, l'apogée, il est l'image même de l'intégration aux valeurs américaines, grand, blond, sportif, bien élevé, travailleur, bon époux, bon père, entrepreneur de talent. En bon citoyen, il s'est engagé dans les Marines avant la fin de la guerre, s'y est fondu dans le moule national, et s'est même payé le luxe d'épouser Miss New Jersey, une reine de beauté issue d'un milieu modeste d'immigrants irlandais catholiques, faisant fi du communautarisme et acceptant le défi d'un mariage mixte, sous le signe des valeurs de la réussite individuelle venue couronner ceux qui acceptent de travailler dur et de respecter les règles.
Mais ce rêve se fissure et la faille apparue avec le bégaiement de la fille unique du couple, Merry, une fillette aimante, vive, intelligente et gracieuse, va se creuser à l'adolescence. Malgré - ou à cause des tentatives de traitements psychothérapeutiques de sa dyslexie, la jeune fille devient progressivement agressive et rebelle, se passionne et s'emballe contre la guerre du Vietnam (en dépit de l'assentiment de sa famille), crie, insulte ses parents, va seule à New York fréquenter des opposants à la guerre.
Puis c'est le drame, et l'acte terroriste qu'accomplit Merry, seule ou avec des complices, peu importe, puis sa disparition, annoncent la descente aux enfers de ses parents et du trop parfait "Swede".
Ce roman du bonheur et de la réussite se transforme en une douloureuse introspection, celle de tous les parents lorsque leur enfant déraille et s'engage dans une voie sans issue. Où ai-je failli, quelles erreurs avons-nous faites, comment tant d'efforts d'équilibre, de compromis, de succès, d'amour parental, ont-ils pu mener à un fiasco si terrible ? Comment comprendre l'incompréhensible ? Mais le Suédois n'est pas au bout de son calvaire, car sa rencontre avec sa fille déchue et méconnaissable est une épreuve insoutenable, aux antipodes de tout ce qu'il avait souhaité pour lui et les siens.
La dernière partie couronne cette faillite, avec la découverte de trahisons inimaginables qui achèvent de frapper le Suédois dans ce qu'il a de plus cher.

Une composition impeccable en trois parties, qui s'inspire du Paradis perdu de Milton, et avec cette fresque de la chute aux enfers, la peinture d'un rêve brisé, celui du melting-pot, de l'assimilation, de la réussite américaine brassant les communautés et les réconciliant autour de la dinde de Thanksgiving. Roth se livre à un constat pessimiste, la société fondée après la victoire de 1945 n'a pas mené à l'épanouissement de tout citoyen méritant et à l'effacement des communautés issues des diverses immigrations. le rêve idyllique d'un bonheur et d'une réussite ouverts à tous, pour peu qu'ils s'en donnent la peine, la pastorale américaine, la symphonie optimiste et bucolique d'une terre partagée par tous et leur offrant ses richesses, était une cruelle illusion.

L'évocation du bonheur perdu, de la beauté du corps innocent et gracieux de la fillette Merry, de l'harmonie avec la nature campagnarde où elle a grandi et dont elle connaissait toutes les plantes et les fleurs, donne lieu à de poignantes complaintes élégiaques.

Toutefois malgré la sincérité de la douleur paternelle, et malgré les doutes et interrogations du Suédois, le plus poignant reste son incapacité à comprendre les autres - ce qu'il admet lui-même à la toute fin du récit - leur motivations et leur altérité. Il a beau se torturer à essayer de comprendre le pourquoi de ses souffrances, cette intelligence-là lui sera à jamais refusée car il vit dans ses certitudes et ses préjugés, ses valeurs d'une Amérique phare du monde, que l'histoire a mis à mal. le rêve parfait d'une harmonie entre classes sociales (sous le signe du paternalisme patronal) et communautés diverses s'écroule car il n'était qu'un leurre auquel le Suédois a eu la naïveté de se laisser prendre. Il masquait mal une réalité violente et multiforme qu'il se refuse à voir, dans sa bonne conscience tourmentée mais intacte. En ce sens son itinéraire individuel devient emblématique de toute une société, de toute une nation.

Lu en V. O. ce qui n'est pas sans mérite, car l'écriture de Ph. Roth est riche et complexe, tant par sa syntaxe que par son vocabulaire.
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Arriver au bout de Pastorale américaine de Philippe Roth – traduit par Josée Kamoun - aura été particulièrement compliqué pour moi… Alors pondre une chronique qui tienne la route le sera davantage encore. Effet collatéral de la covi-morosité ambiante ? Incompatibilité avec ce monument de la littérature américaine ? Peu importe, mais cette première rencontre est une rencontre manquée.

Et pourtant, quel style ! Quelle langue ! Quelle approche intelligente et creusée de tous ces personnages qui flottent ou plutôt dérivent sur les ballotements de leur rêve américain qui n'est plus que chimère. Quel magnifique héros aux petits pieds que ce Seymour Levov, ce « Suédois » auquel rien n'a résisté sauf sa fille. Et ses rêves. Et sa femme. Et ses amis. Et ses illusions…

Mais que c'est long, tortueux, complexe, exigeant pour une période qui se prête plus au « ready-read » qu'à l'exploration de cette explosion politique de l'Amérique de l'après-guerre.

Je retenterai Philippe Roth. Mais « après »…
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