Qu'étaient venus chercher tous ces immigrants qui débarquaient aux portes de New York au début du vingtième siècle ou même un peu avant ? Quels espoirs les habitaient quand ils foulaient, pour la première fois, le sol américain ? Au terme d'une traversée périlleuse et dans des conditions innommables, ils demandaient à travailler, à subvenir aux besoins des familles, à ne plus connaître la misère, à manger à leur faim et à vivre sans peur, sans persécutions, sans être victimes d'une race, d'une religion, d'une origine...
Si l'on garde cela en tête, la "
Pastorale américaine" est une lecture percutante qui vous met à terre.
En un cliché - au sens photographique du terme - ,
Philip Roth nous dit l'histoire d'une famille sur quatre générations, du premier pas de celui qui a choisi cette terre porteuse d'espoirs, en 1890, jusqu'à la fin des années soixante, années de questionnements et de chaos, années de bouleversements et d'affrontements, années terribles desquelles le pays ne se remettra véritablement jamais.
Car la bombe que la jeune Merry pose au nom d'une idéologie, entre manifestations pacifistes contre la guerre du Vietnam et heurs autour de la réalité des Droits civiques, en dynamitant le coeur vital du bourg d'habitation, anéantit, avec une onde rémanente, les fondements de cette famille qui croyait avoir atteint la félicité.
Merry qui cherche une place dans une société qui se révèle incapable d'englober toutes ses différences, toutes ses pensées, toutes ses convictions.
Je ne serai pas trop bavarde, bon nombre de très belles critiques permettent de découvrir le livre, déjà, mais peut-être ne vaut-il mieux pas trop lire d'avis avant d'entamer la lecture, et décider de se laisser guider par l'écrivain et accepter d'être bousculé par les différents virages du récit.
Par la façon dont
Philip Roth introduit le récit, en faisant intervenir son "double", le personnage de Nathan Zuckerman, sorte de "reflet littéraire dans les mots", je n'ai pu m'empêcher de penser à un autre écrivain américain qui fait aussi référence à son "double littéraire"- écrivain comme lui, dans certains de ses livres :
Paul Auster que j'ai lu davantage.
Et le lieu où se déroule la "
Pastorale américaine" ainsi que le milieu dans lequel elle prend place ne pouvaient pas ne pas évoquer cet autre grand écrivain.
Là où
Paul Auster témoigne de la bienveillance à l'égard de ses personnages, les guidant vers la lumière, les aidant à trouver la sérénité,
Philip Roth donne l'impression de laisser glisser un regard froid dénué d‘émotion sur les siens. Il ne les embellit pas, ne leur cherche pas d'excuses, ils sont bourrés de défauts, ils ont tant de manquements et on a l'impression que
Philip Roth n'attend rien de la nature humaine à la différence de
Paul Auster qui espère encore.
Cela fait du récit un tableau comme passé au scalpel, tranchant, dur, sans atermoiements. Les personnages se débattent mais on comprend très vite qu'il n'y pas d'issue heureuse….
C'est assez désespérée comme vision.
C'est brillant, le lecteur est comme aimanté, comme attiré par les phrases, le rythme du récit. En même temps, la lecture devient, par moments, nauséeuse entre la situation sociale qui ne trouvera aucune solution d'apaisement et l'intimité feinte dans son bonheur des personnages, on se sent mal à l'aise, on se sent voyeur d'un désastre, de l'effondrement d'une famille qui avait rejoint les nantis, de l'effondrement d'une société qui peine à trouver une place pour tous, qui peine à écouter chacun.
On est obligé de poser le livre un moment, et de le reprendre ensuite, on reprend son souffle…
C'est l'Histoire qui s'immisce dans une famille, qui s'y incarne même,
L Histoire et le destin de cette famille comme en miroir l'une de l'autre, dans une narration romancée. C'est l'antithèse du Rêve américain.
C'est extrêmement captivant, à la fois le récit et l'écriture.
C'était ma première rencontre avec l'écriture de
Philip Roth, je l'avais longtemps repoussée, parce qu'appréhendée, ne me sentant pas à la hauteur… C'est la gentillesse d'une amie babéliote sollicitée – larmordbm – qui m'a convaincue d'entrer dans cet univers, qu'il me soit donc permis de vous remercier, Dominique, pour m'avoir conseillée et m'avoir guidée pour ce premier choix.
J'ai découvert un écrivain que je vais lire, et relire, en espaçant les lectures pour profiter longtemps et pleinement.