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Un livre magnifique, lumineux, débordant d'amour et de vie, une vie pourtant rendue bien amère et misérable par le manque d'eau. Il commence dans le deuil et finit par un deuil annonciateur pourtant du retour à la vie, une vie nouvelle, dans la réconciliation.

A son retour de Cuba, où il a passé 15 ans, Manuel fils de Bien-Aimé et Delira découvre que le village de Fonds Rouge et les habitants de cette terre qu'il avait hâte de retrouver sont plongés dans une profonde misère. La beauté des souvenirs qu'il en avait sont désormais enfouis sous la poussière due à la sécheresse. La source qui donnait la vie est tarie et avec elle la division en deux clans et la haine qui existaient déjà entre les villageois s'est exacerbée, le lien communautaire entre les villageois, pourtant tous cousins, semble irréversiblement rompu.

Manuel ne peut supporter ce qu'il voit et entend, et surtout pas la résignation douloureuse de tous ceux qu'il retrouve, résignation entretenue par l'emprise que veulent garder sur « les pov' nègres » les autorités, le hougan vaudou et le prêtre catholique en les maintenant dans la peur et l'ignorance.

Dialogue entre Laurélien :
« Icitte, il faut se gourmer dur avec l'existence et à quoi ça sert ? On n'a même pas de quoi remplir son ventre et on est sans droit contre la malfaisance des autorités. le juge de paix, la police rurale, les arpenteurs, les spéculateurs en denrées, ils vivent sur nous comme des puces. »
et Manuel : « ...nous sommes misérables, c'est vrai. Mais sais-tu pourquoi, frère ? À cause de notre ignorance : nous ne savons pas encore que nous sommes une force, une seule force : tous les habitants, tous les nègres des plaines et des mornes réunis. Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous lèverons d'un point à l'autre du pays et nous ferons l'assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle. »

Persuader qu'il est possible de trouver une autre source il va partir à sa recherche d'autant plus enthousiaste qu'il a rencontré l'amour en la personne de la sensuelle mulâtresse Annaïsse qui fait partie du clan ennemi.
Elle l'encourage, le soutient : « Oui, tu le feras. Tu es le nègre qui trouvera l'eau, tu seras le maître des sources, tu marcheras dans ta rosée et au milieu de tes plantes. Je sens ta force et ta vérité. »
Il va découvrir cette autre source, guidé par un vol de ramiers vers un lieu où se trouve un vieux figuier, « le gardien de l'eau », et faire tout son possible, malgré la haine et la jalousie que lui voue Gervilen, lui-aussi amoureux d'Annaïsse, pour convaincre les « cousins » ennemis d'unir leur force afin que l'eau de la source nouvelle irrigue et revivifie le village de Fonds Rouge.

Ce livre, qui n'est pas sans rappeler le mythe de Roméo et Juliette, a aussi des accents bibliques et irradie une grande poésie. La langue savoureuse mélange de français et de créole rend les échanges entre les différents protagonistes cocasses et truculents. La nature est magnifiée, personnifiée et sacralisée par les habitants qui vivent en symbiose avec elle.
A mes yeux un livre inoubliable qui fait désormais partie des livres que j'emmènerais sur une île déserte car il redonne force, chante la primauté de la vie et nous dit que malgré l'apparence « l'amour est plus fort que la mort »

« La vie, c'est la vie : tu as beau prendre des chemins de traverse, faire un long détour, la vie c'est un détour continuel. Les morts, dit-on, s'en reviennent en Guinée et même la mort n'est qu'un autre nom pour la vie. le fruit pourrit dans la terre et nourrit l'espoir de l'arbre nouveau. »
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La première fois que j'ai lu ce roman remonte à environ dix ans. de lui, je me rappelais la silhouette fine d'une femme qui remontait un sentier, une jarre sur la tête.
Je me rappelais une histoire d'amour, tendre et simple. Je me rappelle qu'après l'avoir refermé, j'avais soupiré et je m'étais dit "quelle belle histoire"

J'ai ressenti à peu près la même chose à cette deuxième lecture, mais ai été plus sensible à la force et à la poésie de ce récit.

L'histoire se passe en Haïti.
Dans la commune de Fonds-rouge, les temps sont durs. La sécheresse fait rage, et d'elle découle la pauvreté, les habitants étant dépendants des fruits de la terre pour subsister.
Manuel revient de Cuba, après des années d'exil, pour retrouver une terre qu'il ne reconnaît plus. L'eau y a disparu, et l'unité d'antan avec elle. Des rivalités entre familles et une haine dont on a oublié la raison font rage.
Sur son chemin, Manuel rencontre Annaïse. A deux ils décident d'entreprendre un projet : ramener l'eau à Fonds Rouge et rassembler un peuple désuni.

Plus qu'un roman, c'est un poème. C'est un chant qui raconte une histoire d'amour entre la terre et l'homme, entre l'homme et les siens, une histoire d'amour entre un homme et une femme.
L'écriture de Roumain enchante, tout en images et en métaphores.

Ce livre regorge de leçons de force, de courage et de solidarité.
Il parle de la condition de nègre à l'époque, mais ses messages ont encore place aujourd'hui et s'appliquent à tous, surtout dans un monde où l'homme cause tant de dommages à la terre, où l'eau devient une ressource rare, et où la division règne au sein des peuples.

Roumain était politiquement engagé dans le parti communiste quand il a écrit ce livre, et certains trouveront les messages politico / philosophiques trop évidents, mais ce livre se lit plus comme une fable qu'un roman.

Je le recommande à tous, pour ses messages forts, et pour la beauté du langage, surtout.
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« L'eau. Son sillage ensoleillé dans la plaine ; son clapotis dans le canal du jardin, son bruissement lorsque dans sa course, elle rencontre des chevelures d'herbes ; le reflet délayé du ciel mêlé à l'image fuyante des roseaux ; les négresses remplissant à la source leurs calebasses ruisselantes et leurs cruches d'argile rouge ; le chant des lessiveuses ; les terres gorgées, les hautes récoltes mûrissantes ».

Fable poétique, paysanne, écologique et militante, « Gouverneurs de la rosée » de Jacques Roumain a été publié en 1944 quelques mois avant la mort de son auteur, et constitue l'un des textes fondateurs de la littérature haïtienne. Elle narre dans une langue magnifique empreinte de poésie locale l'union des paysans contre l'adversité à savoir la grande sécheresse. le parler est celui de ce territoire, celui de cette époque, la poésie qui en jaillit tels des geysers est atemporelle, l'histoire d'amour narrée est universelle.

La sécheresse fait rage dans la commune de Fonds-rouge en Haïti. Les habitants dont la subsistance dépend essentiellement des récoltes sombrent dans une grande pauvreté. Superstitions, rites vaudou, prières sont les seuls moyens d'apporter un peu d'espoir à la misère. Manuel, fils de Délira et de Bienaimé, rentre de Cuba après quinze d'exil en tant qu'ouvrier agricole dans les plantations de sucre. Il retrouve une terre qu'il ne reconnait plus : en quinze la vallée luxuriante a laissé place à une terre craquelée, poussiéreuse, où « la colline arrondie est semblable à une tête de négresse aux cheveux en grains de poivre : de maigres broussailles en touffes espacées à ras du sol ». Avec la disparition de l'eau c'est également l'entente qui a volé en éclats, des rivalités farouches entre familles ont sapé la paix. Avec la belle Annaïse, d'une famille du camp adverse, ils décident d'entreprendre un projet fou : ramener l'eau à Fonds-rouge et rassembler de nouveau ce peuple éclaté. La conscience socio-politique acquise à Cuba chez les prolétaires de la plus grande île caraïbe va indéniablement servir à Manuel pour mener à bien ce projet, mobiliser et réunir les foules, et réussir. Malgré le malheur qui va s'abattre.

« Tu vois la couleur de la plaine, dit-il, on dirait de la paille dans la bouche d'un four tout flambant. La récolte a péri, il n'y a plus d'espoir. Comment vivez-vous ? Ce serait un miracle si vous viviez, mais c'est mourir que vous mourrez lentement. Et qu'est-ce que vous avez fait contre ? Une seule chose : crier votre misère aux loa, offrir des cérémonies pour qu'ils fassent tomber la pluie. Mais tout ça, c'est des bêtises et des macaqueries. Ce ne compte pas, c'est inutile et c'est un gaspillage ».

Les idées politiques de Jacques Roumain transparaissent clairement dans ce récit. Bien que mort prématurément à l'âge de 37 ans, ce fut un activiste, en particulier contre l'occupation américaine d'Haïti de 1915 à 1934 et un militant communiste (Il a même fondé le Parti Communiste haïtien en 1934 et sa vision communiste se retrouve dans ce texte de façon évidente, voire simpliste par moment, mais plus qu'un roman, se livre doit se voir comme une fable).

Mais avant toute chose, ce livre est un poème, un magnifique cri d'amour entre l'homme et la terre, entre les hommes, entre une mère et son fils et entre un homme et une femme, entre Manuel et Annaïse. Certaines descriptions sont à couper le souffle, certains sentiments sont troublants de beauté. le tout dans un langage caribéen, au moyen de métaphores délicieusement exotiques qui dépaysent complètement et apporte une poésie des éléments salvatrice.

« Sous les lataniers, il y avait un semblant de fraîcheur ; un soupir de vent à peine exhalé glissait sur les feuilles dans un long murmure froissé et un peu de lumière argentée les lissait avec un léger frémissement, comme une chevelure dénouée ».

De très beaux livres ont été écrits sur le thème de la sécheresse. Des fables qui racontent chacune à leur manière ce combat inégal et titanesque de l'homme contre les éléments. Ce fut le cas également avec le beau « Les jours, les mois, les années » de Lianke Yan. C'est le cas avec ce troublant « Gouverneurs de la rosée » d'une beauté créole inoubliable. J'aime beaucoup ce genre de livres marqués par leur époque, marqués par leur territorialité, et en même temps universels de par leur poésie et leur beauté...C'est coloré, vivant, dépaysant et permet de découvrir une réalité non pas en observateur avec notre langage mais avec des lunettes locales...Nous comprenons mieux pourquoi les écrivains haïtiens contemporains ont une plume si belle (Jean d'Amérique, Lyonel Trouillot, sa soeur Evelyne Trouillot, Makenzy d'Orcel, etc...) : ils sont les héritiers de grands auteurs à l'image de Jacques Roumain.

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Magnifique roman haïtien de l'union des paysans pauvres contre l'adversité et l'oppression.

Publié en 1944 dans une relative indifférence, quelques mois avant la mort de son auteur, à 37 ans, "Gouverneurs de la rosée", le troisième roman de l'activiste infatigable (en particulier contre la féroce occupation américaine des années 1915-1934) Jacques Roumain, est devenu depuis un grand classique de la littérature haïtienne moderne.

Sous la plume du fondateur du Parti Communiste haïtien, en 1934, des personnages et une histoire prennent rapidement forme et se donnent rapidement les moyens d'accéder à un statut quasi-mythique.

Lorsque le jeune Manuel revient de Cuba, où il a passé quinze ans comme ouvrier agricole dans les plantations de sucre, et participé de près à l'éveil d'une conscience socio-politique chez les prolétaires de la plus grande île caraïbe, il découvre son village natal haïtien au bord du gouffre, terrassé à la fois par une terrible sécheresse qui, ruinant les cultures vivrières des paysans pauvres, les met à la merci des riches marchands, qui rachètent leurs lopins à vil prix, et de leurs cohortes d'intermédiaires et fonctionnaires corrompus, qui les saignent de prêts usuraires et de tracasseries arbitraires, et par une sombre vendetta qui divise les forces vives des travailleurs de la terre, déjà amoindries, en deux clans apparement irréconciliables.

Il faudra toute l'abnégation de Manuel, arpentant inalssablement les mornes et les ravines à la recheche d'une source, et tout son amour partagé pour Annaïse, belle jeune fille du clan d'en face et complice de son rêve d'unité et de liberté, pour que, peut-être, les choses changent...

En forme de fable, dans une langue magnifique où les dialogues font mouche et tapent fort, où les personnages ne sont jamais caricaturaux, où les descriptions, pourtant tout en retenue, font vivre la beauté, où transparaît comme le souffle d'un Giono qui aurait disposé d'une conscience socio-politique, un très grand roman.

"Il touchait le sol, il en caressait le grain :
- Je suis ça : cette terre-là, et je l'ai dans le sang. Regarde ma couleur : on dirait que la terre a déteint sur moi et sur toi aussi. Ce pays est le partage des hommes noirs et toutes les fois qu'on a essayé de nous l'enlever, nous avons sarclé l'injustice à coups de machette.
- Oui, mais à Cuba, il y a plus de richesse, on vit plus à l'aise. Icitte, il faut se gourmer dur avec l'existence et à quoi ça sert ? On n'a même pas de quoi remplir son ventre et on est sans droit contre la malfaisance des autorités. le juge de paix, la police rurale, les arpenteurs, les spéculateurs en denrées, ils vivent sur nous comme des puces. J'ai passé un mois de prison, avec toute la bande des voleurs et des assassins, parce que j'étais descendu en ville sans souliers. Et où est-ce que j'aurais pris l'argent, je te demande, mon compère ? Alors qu'est-ce que nous sommes, nous autres, les habitants, les nègres-pieds-à-terre, méprisés et maltraités ?
- Ce que nous sommes ? Si c'est une question, je vais te répondre : eh bien, nous sommes ce pays et il n'est rien sans nous, rien du tout. Qui est-ce qui plante, qui est-ce qui arrose, qui est-ce qui récolte ? le café, le coton, le riz, la canne, le cacao, le maïs, les bananes, les vivres, et tous les fruits, si ce n'est pas nous, qui les fera pousser ? Et avec ça nous sommes pauvres, c'est vrai. Mais sais-tu pourquoi, frère ? A cause de notre ignorance : nous ne savons pas encore que nous sommes une force, une seule force, tous les habitants, les nègres des plaines et des mornes réunis. Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous lèverons d'un point à l'autre du pays et nous ferons l'assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle."
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«  Ce pays est le partage des hommes noirs et toutes les fois qu'on a essayé de nous l'enlever, nous avons sarclé l'injustice à coups de machette. »
«  Oui, mais à Cuba, il y a plus de richesses , on vit plus à l'aise .Icitte , il faut se gourmer dur avec l'existence et à quoi ça sert? »
On n'a même pas de quoi remplir son ventre et on est sans droit contre la malfaisance des autorités ».

Extrait du dialogue de Manuel, haïtien, fils de Bien-aimé et Délira avec son ami Laurelien, Manuel ,revenu de Cuba, dans son village natal : Fonds - Rouge, après quinze années passées en tant qu'ouvrier agricole, dans les plantations de sucre , auréolé de mystères et de légendes, lui un des « négres- pied - à terre ,, méprisés et maltraités ».
Bien-aimé et Délira vivent une vie difficile , la sécheresse les a envahis, tout dépérit : les bêtes, les plantes , du levant au couchant le vent ne pousse pas les nuages, c'est plutôt un vent maudit qui traîne la savate , il n'y a pas un seul grain de pluie dans tout le ciel..la terre est toute nue,,sans protection.

Manuel se rend compte que les eaux de pluie bienfaisantes n'arrivant pas, au sein de son cher village, règnent désormais la misère ,la sécheresse et la désolation...
Manuel est un homme généreux, face à la terrible sécheresse qui s'était abattue sur la campagne il s'aventure en cherchant une nouvelle source ,taille , coupe dégage à coups de machette l'enchevêtrement des plantes et des lianes , fouille avec rage l'ombre vénérable des malangas , trouve un trou dans la terre blanche comme craie ,soudain un bouillonnement jaillit ,l'eau ,la fraîche ,la bonne , il baise la terre ...
N'en disons pas plus.

Ce livre lumineux , enchanteur , débordant de vie, d'amour entre la belle négresse Annaïse et Manuel, l'amour filial exemplaire, des personnages hauts en couleur ,quasi symboliques ——les ronchonnements de Bienaimé ,la compassion pour la fatigue de la vieille Désira,——,le culte de l'amitié parfaite mais aussi le pardon sans réserve aux ennemis de Samuel et à ses assassins,—-les évocations généreuses , emblématiques du paysage haïtien ,—- publié en 1944 —-tient du grand poème populaire , sorte de fable attachante , touchante , mélangeant le français au créole,à l'écriture magnifique qui révèle la vie paysanne haïtienne , le mysticisme ,les coutumes ancestrales ,mais aussi l'union des paysans contre l'oppression et l'adversité sans oublier les haines, les jalousies féroces, et les moeurs tribales pas complètement liquidées .
Du début à la fin le lecteur est emporté par la force du message délivré , le réalisme symbolique et artistique de cette oeuvre inoubliable, rééditée dans la collection de poche des éditions Zulma .
Jacques Roumain est décédé à l'âge de trente - sept ans .
Le titre est magnifique comme le livre.
—— «  Oh sûr, qu'un jour tout homme s'en va en terre, mais la vie elle même ,c'est un fil qui ne se casse pas, qui ne se perd pas et tu sais pourquoi ?

Parce que chaque nègre pendant son existence y fait un noeud: c'est le travail qu'il a accompli et c'est ça qui rend la vie vivante dans les siècles des siècles : l'utilité de l'homme sur cette terre » ...
«  —- L'expérience est le bâton des aveugles et j'ai appris que ce qui compte ,puisque tu me le demandes , c'est la rébellion ,et la connaissance que l'homme est le boulanger de la vie » ....



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Jacques Roumain est un poète et intellectuel francophone, issu d'une grande famille haïtienne. Il achève ce roman en 1944, juste avant de mourir, à l'âge de trente-sept ans, en Haïti. Il est alors publié en France grâce à l'appui d'André Breton et d'Aragon.

Ouvrage peu connu, Gouverneurs de la Rosée raconte magnifiquement une histoire qui m'a touché, très évocatrice de la misère, du mysticisme et de la violence en Haïti.

Après quinze ans d'absence, Manuel est de retour chez ses parents âgés, à Fonds-Rouge, un territoire qu'il avait connu fertile, aujourd'hui desséché, presque calciné par un soleil de plomb. Pas une goutte d'eau depuis des mois. Une chaleur accablante.

« Un seul rayonnement aveuglant embrasait la surface du ciel et de la terre... les champs étaient couchés à plat sous le poids du soleil, avec leur terre assoiffée, leurs plantes affaissées et rouillées... les feuilles des lataniers pendaient, inertes, comme des ailes cassées. »

A Fonds Rouge, quand la terre ne produit pas, il n'y a rien à se mettre sous la dent. Dans le dénuement absolu, les habitants, des paysans presque primitifs, n'ont plus que la peau sur les os. Résignés, incapables de réagir, ils s'en remettent à Dieu et au Vaudou...

Pour Manuel, la résignation, le découragement sont inconcevables. Les conditions difficiles de sa vie à l'étranger lui ont forgé des convictions fortes sur le sens de la vie d'un homme face à l'adversité et sur l'utilité du rapport de forces contre l'adversaire, fût-il la nature.... « L'homme est le boulanger de la vie », dit-il... Son projet ? Trouver l'eau. Il est persuadé qu'elle coule à proximité. Une fois la source découverte, il faudra l'aménager, puis creuser le canal et les rigoles pour irriguer toutes les parcelles de Fonds-Rouge... Gouverner la rosée !

Une tâche herculéenne, impossible à mener seul, ni même à quelques uns. Il faudra mobiliser tous les paysans en « coumbite », une tradition ancestrale : l'union d'hommes mettant leurs forces en commun, agissant en cadence, s'auto-stimulant par des chants, pour venir à bout d'un travail physique difficile sous le soleil de plomb quotidien. C'est ainsi qu'ils récoltaient, naguère, quand les terres produisaient. Selon Manuel, c'est ainsi, tous ensemble, solidaires et fraternels, qu'ils réhabiliteront leur destin.

Mais le dessein de Manuel se heurte à la mémoire d'un événement passé qu'il ignore. Une bagarre meurtrière a coupé la communauté en deux clans ennemis, chacun attendant avec obstination l'heure de régler les comptes. Et pour quelques uns, la soif de vengeance ne peut s'étancher que par le sang...

Plus qu'un roman, Gouverneurs de la rosée est un conte. Les mythes qu'il évoque ne nous sont pas inconnus. L'impossible amour entre un homme et une femme appartenant à des clans ennemis. L'éternelle parabole du sacrifice du Héros, du Juste, – je ne sais trop comment l'appeler – offert pour la rédemption de son peuple. le livre s'achève par la vision d'un avenir radieux. Avec, dans un ventre de femme, la vie nouvelle qui remue...

Un très joli livre, dont la lecture m'a souvent ému. Jacques Roumain observe ses compatriotes déshérités avec une sorte de dérision affectueuse, qui n'empêche pas une lucidité sévère. Finement mâtinée de langage parlé local, l'écriture est précise, élégante. Une poésie simple, sans grandiloquence, qui se lit comme un souffle d'air frais...

... semblable à celui qu'accueille la fin d'une journée torride et aveuglante :

« le soleil maintenant glissait sur la pente du ciel qui, sous la vapeur délayée et transparente des nuages, prenait la couleur de l'indigo... là-bas, au-dessus du bois, une haute barrière flamboyante lançait des flèches de soufre dans le saignant du couchant.... Sous les lataniers, il y avait un semblant de fraîcheur, un soupir de vent à peine exhalé glissait sur les feuilles dans un long murmure froissé et un peu de lumière argentée les lissait avec un léger frémissement, comme une chevelure dénouée... »

Belle sera la nuit :

« Quel jardin d'étoiles dans le ciel et la lune glissait parmi elles, si brillante et aiguisée que les étoiles auraient dû tomber comme des fleurs fauchées. »

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Ô mon Pays si triste est la saison

Qu'il est venu le temps de se parler par signes

Je continue ma lente marche de Poète
A travers les forêts de ta nuit
Province d'ombre peuplée d'aphones

À quoi bon ce passé de douleurs et de gloire
Et à quoi bon dix huit cent quatre

Ô mon Pays je t'aime comme un être de chair
Et je sais ta souffrance et je vois ta misère

Et me demande la rage au coeur

Quelle main a tracé sur le registre des nations

Une petite étoile à côté de ton nom.
"Mon pays que voici"
Anthony Phelps

La perle des Antilles, elle est là
dans ce récit véritablement sublime !
Seul un poète, un auteur hors du commun, a le pouvoir d'ouvrir ainsi le coeur du lecteur, l'imprégner de cette puissance émotionnelle, délivrer ce magnifique message d'amour porté par une langue très belle, très colorée, vivante, par le battement des tambours.
Chaque ligne, chaque page est un ravissement!

Dès les premières pages, je me suis immergée dans la beauté de cette culture Haïtienne, dans ce village de Fonds Rouge, au plus près des habitants.
J'ai fait la connaissance de ce couple émouvant Délira et Bienaimé. Ils sont vieux, observent leur terre épuisée par des déboisements hâtifs, portent leur regard vers le ciel sans nuage, pas une goutte de pluie malgré les prières.
Une sècheresse dévastatrice !
Ils se rappellent ce temps où la terre les nourrissait : la récompense d'un dur labeur. Ils évoquent ces paysages d'antan, je les découvre.
Mais tout ça c'était le passé, il n'en restait qu'un goût amer.
Délira espère le retour de Manuel, son fils parti à Cuba couper la canne à sucre il y a une quinzaine d'années.
Cette femme a éveillé ma compassion, elle connaît la misère, tout son corps lui fait mal, son visage est froissé mais son rire est étonnamment jeune "elle n'a pas eu le temps de l'user !".
Bienaimé, il m'amuse, me fait rire : il ronchonne, il bougonne à la Bacri
mais il a bon coeur.
L'émotion les étreint tous les deux lorsque Manuel, sans prévenir, arrive. Alors les pleurs coulent ! Et le clairin circule à la ronde !...
Manuel ne reconnaît plus le paysage, ce village qu'il aime, cette terre qu'il a dans le sang.
Il mesure la souffrance et la misère des ses frères, compères, commères, cousins, cousines, amis, ennemis, tous enlisés dans la résignation.
Cet immobilisme dicté par les autorités car un peuple est plus facilement exploitable et manipulable lorsqu'il "crève" de faim. Et quand ils ont perdu courage et espoir, on leur rafle leurs terres.
Il est un paysan Haïtien très attaché à son terroir, parti en exil à Cuba. Il était plus proche de l'esclavagisme que du travail agricole. Cette expérience lui a apporté une conscience hautement révolutionnaire.
Il décide de lutter en rassemblant les hommes, animé par la passion du bien collectif.
Il part à la recherche de l'eau, sur son chemin il trouve l'Amour d'Annaïse, fille du clan ennemi.

La télégueule propage la nouvelle : Manuel a trouvé une source ! Alors les rêves viennent frapper à la porte de chaque case : relancer les plantations du village, manger à sa faim, se vêtir. Chacun entend le son de l'eau, son clapotis dans le canal du jardin.
"C'est la vie qui commande et l'eau, c'est la réponse de la vie."
Manuel veut profiter de cette aubaine pour faire cesser les rivalités entre familles, les réunir et relancer le coumbite, ciment de leur communauté.
J'ai aimé ce Manu des sources "le bon nègre qui pense profond" son sang bouillant, sa rage chevillée au corps et son coeur rempli d'amour pour ses semblables.

Ce livre est un coup au coeur.
J'y ai trouvé tout ce qui me fait vibrer : un cri d'amour, de dignité, de respect, de révolte et d'entraide.
J'ai beaucoup ri aussi ...

Je remercie l'ami sensible à ce pays Haïti, pour son conseil. Ce livre était sur ma liste depuis quelques temps et j'ignore pourquoi je ne l'ai pas lu avant !
Mais sans doute que ce voyage méritait cette attente...
J'envie maintenant tous ceux qui liront
"Ce chef-d'oeuvre"
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Ce roman est un classique de la littérature antillaise, puisqu'il a été écrit dans les années 40 par un Haïtien, Jaques Roumain et publié à titre posthume. C'était un militant politique de la liberté, des droits des plus pauvres et plus tard il fut diplomate avant de mourir jeune.
C'est cette envie de liberté, de droit et de vie au pays qu'on retrouve dans ce roman, qui n'a pas vieilli et que j'ai dévoré avec plaisir.
Manuel rentre de Cuba où il travaillait et a été formé à la lutte syndicale et retrouve ses parents en Haïti, où la terre est sèche et rien ne pousse. Il va lutter pour se faire accepter, pour mener les pauvres et les esprits face aux planteurs et pour se faire aimer de la belle Annaïsse. Son oeuvre sera de retrouver la source de la rivière qui empêche le village de vivre. Mais il aura aussi contre lui tous les opposants à ses idées et à son bonheur. La fin est inévitable mais je vous laisse la découvrir.
Il y a là tous les ingrédients pour faire un roman à l'eau de rose et pourtant, il y a toute l'âme d'Haïti chérie dans ce livre, avec des mots et expressions empruntées au créole et très couleur locale. Les descriptions, les réflexions des personnages, tout concourt à s'attacher aux personnages et en faire des amis. le texte est bien écrit, avec une langue châtiée telle qu'on pouvait l'utiliser dans certains cercles cultivés de l'époque.
Je ne sais pas si ce roman est réédité aujourd'hui mais il a été pour moi une bonne découverte et un réel plaisir de lecture.
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« Les gouverneurs de la rosée » c'est la poésie de la vie. Un hymne à la beauté de l'espérance humaine, à la hauteur de l'excellence de la langue. C'est la mémoire du petit colibri, c'est le premier livre des sources, l'ondoiement des mots dans la vérité de leurs corps. La défloraison des âmes dans la lumière de l'esprit. C'est l'engagement, la fraternité, la résistance. C'est la vérité d'une terre, de toutes les terres, où l'avidité du pouvoir maltraite, affame la chair. Mais c'est aussi la résurgence magnifique du partage, de la solidarité qui inonde un choeur d'hommes et de femmes, puis c'est le surgissement de ces notes, sublimes, dans le dénuement complet d'une nature, qui engage une parole au nom entier de tous. « Ce livre est sans réserve le livre de l'amour », et c'est juste.
« foule qui ne sait pas faire foule » écrivait le grand Césaire, et puis vint le jour où la source fit renaître l'océan des hommes.

Astrid Shriqui Garain
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Gouverneurs de la rosée est le plus beau roman d'amour que j'ai lu… »

Dany Laferrière


Il y a des livres avec lesquels on tombe littéralement en amour dès les premières pages. Gouverneurs de la rosée est de ces romans que l'on oublie jamais…

« Toutes ces années passées, j'étais comme une souche arrachée, dans le courant de la grand'rivière ; j'ai dérivé dans les pays étrangers ; j'ai vu la misère face à face ; je me suis débattu avec l'existence jusqu'à retrouver le chemin de ma terre et c'est pour toujours. »

Après plusieurs années d'exil, Manuel est de retour vers l'Haïti de son enfance. Il revient des champs de canne à sucre de Cuba où il a trimé dur du matin au soir. Il pourrait lui prendre l'envie de pleurer tant le spectacle qui s'offre à ses yeux est désolant : Fonds-Rouge, sa terre natale, est en train de mourir. Calcinés sous la chaleur de la Savane, les arbres sont morts, morts de soif. le canal est à sec et tout dépérit, les bêtes comme les plantes. Il n'y a plus rien à se mettre sous la dent, ni de riz-soleil, ni de pois-congo, pas même une goutte d'eau. le grand mal s'est emparé du village et par-dessus tout, la main de l'homme a tout déboisé…

« Tu as beau prendre des chemins de traverse, faire un long détour, la vie c'est un retour continuel. »

Les habitants sont amers. le serait-on à moins? À bout de nerfs, les enfants pleurent et les mères ont peur – elles ont peur pour eux. Toute cette haine, ces bavardages, ces querelles et vengeances engendrés par la misère. Mais ils ont la foi, c'est ce qui les maintient en vie. Les hounsi s'adonnent des nuits entières à des prières et rites vaudous, sacrifiant une bête en dansant sous les étoiles. Quelques uns trouvent une consolation salvatrice, bien qu'éphémère, dans les bouteilles de clairin haïtien, une eau-de-vie à 60% d'alcool. de quoi noyer, pour au moins quelques heures, la peur du lendemain.

“Le malheur bouleverse comme la bile, ça remonte à la bouche et alors les paroles sont amères. »

Alors Manuel s'est mis à chercher l'eau. Au-delà du courage, il avait trouvé l'amour dans le regard complice d'Anaïse. Un amour infini, fait de confiance et de rêves communs. Celui qui vous mène à franchir n'importe quels obstacles et dont les pires sécheresses n'arriveront jamais à faire mourir la soif de vivre. C'est ainsi qu'un jour il aperçut les malangas. Puis l'eau s'était mise à monter. Menant Anaïse au secret de la source, il lui fit l'amour pour la première fois, « et la rumeur de l'eau était entrée en elle »…

« Elle ferma les yeux et il la renversa. Elle était étendue sur la terre et la rumeur profonde de l'eau charriait en elle une voix qui était le tumulte de son sang. Elle ne se défendit pas. Sa main si lourde lui arrachait une douceur intolérable, je vais mourir. Son corps nu brûlait. Il desserra ses genoux et elle s'ouvrit à lui. Il entra en elle, une présence déchirante, et elle eut un gémissement blessé, non, ne me laisse pas ou je meurs. Son corps allait à la rencontre du sien dans une vague fiévreuse ; une angoisse indicible naissait en elle, un délice terrible qui prenait le mouvement de sa chair ; une lamentation haletante monta à sa bouche, et elle se sentit fondre dans la délivrance de ce long sanglot qui la laissa anéantie dans l'étreinte de l'homme. »

Il n'y aura désormais qu'une seule façon de faire de la nature qu'elle soit gonflée de pluie. Ne jamais oublier que dans la misère et l'injustice, l'entraide et le pouvoir de la réconciliation triompheront de tout. Et l'amour surtout - avant tout - celui d'Anaïse...

Le chant du coumbite sera celui de l'eau, des plantes, de la terre, de l'amitié et du courage. Et la mort, « le recommencement de la vie. »

« Si l'on est d'un pays, si l'on y est né, eh bien, on l'a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes : c'est une présence, dans le coeur, ineffaçable, comme une fille qu'on aime : on connaît la source de son regard, le fruit de sa bouche, les collines de ses seins, ses mains qui se défendent et se rendent, ses genoux sans mystères, sa force et sa faiblesse, sa voix et son silence. »

C'est sans aucun doute l'un des plus beaux romans que j'ai eu l'occasion de lire…
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