J’entre dans mon projet comme on entre en religion, avait-elle annoncé avec un rien d’ironie. Un tout petit rien. Comment peut-on à ce point s’abuser sur soi-même ? se demande-t-elle maintenant. Elle avait plus ou moins rêvé d’une sorte de vie monastique qui lui permettrait de se vouer à l’essentiel, loin des fureurs du monde. Ce n’était pas vraiment à l’érémitisme qu’elle aspirait, mais c’est là-dedans qu’elle s’est naïvement engagée, comme on va vers la Terre promise.
Dès que le soleil disparaît, elle se barricade et vérifie plusieurs fois que tout est réellement bien fermé, même s’il est évident que les verrous n’arrêteraient pas un malveillant : il n’y a pas un chat à des kilomètres à la ronde et il aurait tout loisir de défoncer la porte ou une fenêtre. Quand son imagination s’engage sur cette voie qui pourrait engendrer une panique irraisonnée, elle se dépêche d’évoquer l’image de Jean-Louis la serrant dans ses bras.
À la douleur vient se mêler de la colère. Il ne peut pas décider unilatéralement de ne plus faire partie de sa vie. Il doit s’expliquer, même s’il ne le veut pas. Il n’aime pas qu’elle téléphone à son bureau, mais il ne lui a pas laissé le choix. Demain, elle l’appellera. Toute la nuit, elle répète en boucle ce qu’elle va lui dire, le reformulant à l’infini. Pas de reproches. Pas de larmoiement. De la dignité
Quand il ne trouve pas ce qu’il lui faut en forêt, l’ours commence à sortir de sa zone forestière. Ce n’est pas par choix qu’il s’approche des humains. Le temps pluvieux a affecté la croissance des petits fruits dont il se nourrit principalement. En ce moment, les ours doivent manger pour accumuler des graisses. Ils cherchent de la nourriture vingt heures sur vingt-quatre.
Par temps couvert, ce ne sont que teintes douces et fondues. On ne distingue pas tout à fait les limites entre l’eau, le ciel et les montagnes, camaïeu de gris-bleu avec ici une touche de violet, là une nuance de brun. Quand il fait beau, les contours sont nets, les couleurs, franches. Le fleuve est sans mystère, presque banal.