Je n'avais pas été emballé par la lecture il y a peu du roman de
Jean-Marie Rouart intitulé -
le scandale - et vous en avais dit les pourquoi.
Ne voulant pas rester sur un ressenti déceptif et désireux de poursuivre l'amélioration de mes connaissances sur le racisme antinoir, l'esclavage et la ségrégation aux États-Unis, j'ai eu l'excellente idée " d'enchaîner " ( pas de mauvais jeu de mots,,,) très vite sur la lecture de l'excellent premier roman d'
Arnaud Rozan dont le titre est -
L'unique goutte de sang -.
Ce titre a une double raison ou double explication.
La première c'est la règle dite de la " one-drop-rule ". La règle de
l'unique goutte de sang s'inscrit dans le contexte des lois ségrégationnistes initiées par Jim Crow. C'est un principe social et juridique de classification raciale aux USA qui estime que toute personne ayant ne serait-ce qu'un seul ancêtre d'ascendance africaine sub-saharienne est considérée comme noire et traîtée en tant que telle.
" le Tennessee a adopté la règle de la goutte unique en 1910 et la Louisiane a rapidement suivi la même année. Puis le Texas et l'Arkansas en 1911, le Mississippi en 1917, la Caroline du Nord en 1923, la Virginie en 1924, l'Alabama et la Géorgie en 1927 et l'Oklahoma en 1931. Au même moment, Floride, Indiana, Kentucky, et l'Utah ont conservé les anciennes lois sur la «fraction de sang», mais ont modifié ces fractions («un seizième ou un trente-deuxième») pour qu'elles soient équivalentes à une goutte de facto. "
Notons au passage que cette règle ségrégationniste a fait partie des thèmes de nombreux romans, de quelques films, dont les protagonistes blancs de peau étaient obligés de dissimuler leur généalogie " métissée " pour échapper à la chasse aux sorcières qui leur était faite.
C'est le cas par exemple du professeur Coleman Silk dans le célèbre roman -
La tache - de
Philip Roth, dont Robert Benton a fait, sous le titre - La couleur du mensonge -, une adaptation cinématographique diversement appréciée avec dans les rôles principaux Anthony Hopkins et Nicole Kidman.
La seconde explication de ce titre donné à ce roman se trouve dans l'histoire même dudit roman.
Cette histoire se situe dans le Tennessee des années vingt.
Sydney, un jeune adolescent noir, se trouve pris au piège du mensonge de deux jeunes filles blanches, lesquelles vont accuser de viol celui dont elles avaient pris l'habitude d'admirer à son insu, son beau corps nu se baignant, à l'abri des regards, dans une rivière après une journée de labeur, et conduire de ce fait au massacre de son père, torturé à mort, de sa mère enceinte et à terme, violée, éventrée, de son bébé à naître, et du lynchage de ses deux soeurs cadettes.
Sydnée va échapper au sort que la foule " déchaînée " a réservé à sa famille grâce à l'intervention du shérif adjoint, un blanc, lequel va conduire Sydney dans un centre de soins de Memphis.
Les blessures physiques de Sydney ainsi que le choc post-traumatique consécutif aux horreurs vécues ont fait perdre à l'adolescent la mémoire.
Il va séjourner pendant deux ans dans ce centre, alité et en proie à une avidité de connaissances qu'il va commencer à satisfaire grâce à la bibliothèque privée du médecin dirigeant le centre.
Contraint de quitter l'établissement, Sydney va vivre une odyssée tragique qui va le mener de Memphis à Chicago puis en Arkansas et enfin à New York, à la recherche de ses racines et de l'énigme que constitue ce policier blanc salvateur... dont les racines baignent dans le même sang... d'où donc le titre plusieurs fois évoqué.
Le roman est séquencé en trois parties.
La première, le massacre de la famille, est d'une très grande intensité et prend vraiment " aux tripes ".
La seconde nous fait suivre Sydney dans son périple auquel vont être liés des situations et des personnages historiques ou pour le moins ayant existé.
La troisième, c'est la découverte de New York et plus spécifiquement de la naissance de Harlem, et c'est surtout la résolution de l'énigme, les retrouvailles avec ses racines.
Cette troisième partie est le pendant de la première... un final inattendu, très intense également, très " spectaculaire ", l'acmé tragique de ce roman écrasant mais duquel émerge une lueur d'espérance.
Contrairement à
Jean-Marie Rouart que j'avais trouvé superficiel, schématique, voire caricatural, ce premier roman d'
Arnaud Rozan m'a convaincu.
C'est fort, c'est tenu, l'action est maîtrisée, les personnages ont ce souffle de vie que seuls les bons auteurs sont capables de leur donner, c'est très bien écrit et c'est convaincant.
PS : l'auteur nous explique dans une interview que cette idée de roman lui est venue en admirant - American Gothic -, le tableau du peintre américain Grant Wood, dans lequel un couple de fermiers blancs ( le père et la fille ) se tiennent debout devant une maison aux rideaux tirés.
Arnaud Rozan en se demandant quelle énigme se cachait derrière ces rideaux tirés nous a offerts - L'ultime goutte de sang -...