A cette époque, je n'avais pas encore vu une aqua de Turner. Était-ce lourdeur d'esprit ou prudence, je continuais en toute tranquillité à copier les reproductions dans le volume de Rogers sans m'inquiéter même de savoir où étaient les originaux. Ils étaient enfouis au fond d'un vieux tiroir dans Queen Anne Street, aussi inaccessible pour moi que le fond de la mer; si je les avais vus, peut-être cela n'eût-il servi qu'à me gâter le plaisir que me donnaient les gravures. Mon indifférence à cet égard eut du bon, et plus je songe à mon manque de curiosité, dont ce n'est là qu'un exemple, Plus j'éprouve de reconnaissance et même de respect pour cette habitude, que j'ai conservée toute ma vie, de travailler avec résignation à ce que j'ai sous la main, tant que je peux le faire, et à regarder ce que j'ai sous les yeux tant que je peux le voir.
Quand mon père avait fait sa barbe, il me racontait une histoire dont l'aquarelle fournissait le sujet. Pure affaire de hasard, sans aucune préméditation de la part de mon père, la curiosité que m'inspirait ce pêcheur n'étant jamais satisfaite.
J'étais très différent, qu'on me permette de le redire encore une fois, des autres enfants, même de ceux qui me ressemblaient le plus, pas tant par la nature du sentiment que parle mélange et la diversité de ses éléments. Ma petite cruche d'argile débordait à la fois, si je puis dire, de la vénération de Wordsworth, de la sensibilité de Shelley, et de la précision de Turner.
La seule différence pour moi, entre ce jardin et celui du Paradis, tel du moins que je me le représentais, c'est que dans le jardin de Herne Hill, tous les fruits étaient défendus, et ensuite qu'il n'y avait pas d'animaux avec lesquels on pût lier amitié;mais, sous tous les autres rapports, ce petit coin était vraiment pour moi le Paradis; le climat (était-il plus clément alors?) me permettait d'y passer la plus grande partie de ma vie.
Je vois encore, au-dessus de la toilette, une aquarelle exécutée par mon père sous la direction de Nasmyth père, à l'École supérieure d'Édimbourg, je crois. Elle était faite dans la manière primitive que le Dr Munro enseignait à Turner au moment même où mon père était au«High school»; c'est-à-dire dans ces demi-teintes à base de bleu de Prusse ou d'encre ordinaire, et lavées en couleurs vives dans les lumières.
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
« Jusqu'à ce dernier ! », _in_ John Ruskin, _PAGES CHOISIES,_ avec une introduction de Robert de la Sizeranne, troisième édition, Paris, Hachette et Cie, 1911, pp. 256-257.
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