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EAN : 9782711619269
224 pages
Vrin (01/09/2007)
5/5   4 notes
Résumé :
The title essay of this collection suggests Bertrand Russell’s lifelong preoccupation: the disentanglement, with ever-increasing precision, of what is subjective or intellectually cloudy from what is objective or capable of logical demonstration. The first five essays he calls ‘entirely popular’: they include two on the revolutionary changes in mathematics in the last hundred years, and one on the value of science in human culture. The last fi... >Voir plus
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Héraclite, comme chacun sait, croyait à l’écoulement perpétuel des choses : le temps construit et détruit toute chose. Les quelques fragments qui nous restent de son œuvre ne nous renseignent guère sur l’origine de ses opinions, mais il y a quelques réflexions que l’observation scientifique paraît nettement avoir inspirées.

« Les choses qui peuvent être vues, entendues et apprises, dit-il, sont celles que j’estime le plus. » Ce sont là les paroles d’un empiriste pour qui l’observation est le seul témoin de la vérité. « Le soleil est chaque jour nouveau » dit un autre fragment ; et cette opinion, en dépit de son apparence paradoxale, est visiblement inspirée par l’observation scientifique, et devait sans doute, à ses yeux, résoudre la difficulté qui naît du fait que, pendant la nuit, le soleil fait son chemin sous terre d’occident en orient. C’est également une véritable observation qui a dû lui inspirer sa théorie fondamentale du Feu, seule substance éternelle, dont toutes les choses visibles ne sont que des états passagers. Dans la combustion, nous voyons les choses se transformer entièrement, tandis que leur flamme et leur chaleur s’élèvent et se dissipent dans l’air.

« Ce monde, qui est le même pour tous, dit-il, aucun des dieux ou des hommes ne l’a fait. Mais il a toujours été, il est et sera toujours un feu éternellement vivant, qui s’allume avec mesure et s’éteint avec mesure. »

« Les transformations du feu sont, en tout premier lieu, mer ; et la moitié de la mer est terre, la moitié vent tourbillonnant. »

Cette thèse a beau être rejetée par la science, elle n’en a pas moins un caractère scientifique. C’est encore la science qui a pu inspirer le fameux passage auquel Platon fait allusion :

« Tu ne peux pas descendre deux fois dans les mêmes fleuves car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi. » Mais on trouve aussi parmi les fragments subsistants cet autre aphorisme : « Nous descendons et ne descendons pas dans les mêmes fleuves ; nous sommes et ne sommes pas. »

La comparaison de cet aphorisme qui est mystique, avec celui que cite Platon, et qui est scientifique, met en lumière la relation intime qui unit les deux tendances dans le système d’Héraclite. Le mysticisme n’est, en fait, rien de plus qu’un sentiment d’une intensité et d’une profondeur particulières, qui colore les croyances concernant l’univers ; et ce sentiment inspire à Héraclite, qui se fonde sur la science, des pensées d’une remarquable profondeur sur la vie et le monde ; en voici quelques-unes :

« Le temps est un enfant jouant aux dames ; la puissance royale est celle d’un enfant ! »

C’est l’imagination poétique et non la science qui conçoit le temps comme le tyran du monde, avec toute l’irresponsable légèreté d’un enfant. C’est encore le mysticisme qui conduit Héraclite à affirmer l’identité des contraires : « Bien et Mal, dit-il, sont tout un », et encore: « Pour Dieu, toutes choses sont justes, et bonnes et droites. Mais les hommes tiennent certaines choses pour mauvaises, et certaines pour droites. »

Il y a beaucoup de mysticisme à la base de la morale d’Héraclite. Il est vrai que seul un déterminisme scientifique eût pu lui dicter cette pensée: « Le caractère de l’homme est sa destinée. » Mais c’est le mystique qui écrit : « Toute bête est poussée au pâturage par des coups. »

Et encore :

« Il est dur de combattre avec les désirs de son propre cœur. Tout ce qu’il aspire à obtenir, il le recherche aux dépens de l’âme. »

Et encore :

« La sagesse est une seule chose. Elle consiste à connaître la pensée par laquelle toutes choses sont dirigées par toutes choses[1]. »

On aurait pu multiplier les exemples, mais ceux que l’on vient de donner montrent suffisamment le caractère de l’homme : tels qu’ils lui apparaissaient, les faits scientifiques entretenaient le foyer de son âme ; et à sa lumière il lisait dans les secrets de la nature qui reflétait son feu subtil et ondoyant. C’est dans un tempérament de ce genre que l’on peut observer la véritable union du mystique et du savant — le plus haut degré d’excellence, à mon avis, qu’il soit possible d’atteindre dans le domaine de la pensée.
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Sa description de la caverne est un exposé classique de la croyance en une connaissance plus vraie, et en une réalité plus réelle que celle des sens :

Socrate. — Représente-toi maintenant l’état de la nature humaine par rapport à la science et à l’ignorance d’après le tableau que je vais faire. J’imagine des hommes renfermés dans une demeure souterraine, caverneuse, qui donne une entrée à la lumière dans toute la
longueur de la caverne. Là, dès leur enfance, ils ont les jambes et le cou enchaînés de telle sorte qu’ils restent immobiles et qu’ils ne voient que les objets qu’ils ont en face. Leurs chaînes les empêchent de tourner la tête. Derrière eux, à une certaine distance et une certaine hauteur, est un feu dont la lumière les éclaire ; entre ce feu et les captifs s’élève un chemin escarpé, le long duquel imagine un petit mur semblable à ces cloisons que les charlatans mettent entre eux et les spectateurs pour leur cacher les ressorts des figures merveilleuses qu’ils montrent. — Glaucon. — Je me représente tout cela. — Socrate. — Figure-toi des hommes qui passent le long de ce mur, portant des objets de toute sorte qui s’élèvent au-dessus du mur, des figures d’hommes et d’animaux en pierre ou en bois, et de mille formes différentes. Parmi ceux qui les portent, les uns s’entretiennent ensemble, les autres passent sans rien dire. — Glaucon. — Voilà un étrange tableau et d’étranges captifs.
Socrate. — Ils nous ressemblent pourtant de point en point…

Socrate. — Vois maintenant ce qui devra naturellement leur arriver, si on les délivre de leurs chaînes et qu’en même temps on les guérisse de leur erreur. Si un captif est délivré de ses chaînes et forcé de se lever sur-le-champ, de tourner la tête, de marcher et de regarder du côté de la lumière ; si, en faisant tous ces mouvements, il éprouve de grandes douleurs et que des éblouissements l’empêchent de distinguer les objets dont il voyait auparavant les ombres, que penses-tu qu’il répondrait dans le cas où on lui dirait que jusqu’alors il n’a vu que des fantômes ; qu’à présent,
plus près de la réalité, et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste ? Supposons enfin qu’en lui montrant chacun des objets qui passent on l’oblige à force de questions à répondre ce que c’est, ne penses-tu pas qu’il serait dans l’embarras et que ce qu’il voyait auparavant lui paraîtra plus vrai que ce qu’on lui montre ? — Glaucon. — Sans comparaison…
Socrate. — Ce n’est que peu à peu, si je ne me trompe, qu’ils pourront s’habituer à l’éclat de la région supérieure. Ce qu’il y aura le plus de facilité à distinguer, ce sont d’abord les ombres, ensuite les images des hommes et des autres objets qui se reflètent dans les eaux, enfin, les objets eux-mêmes. De là il portera ses regards vers les corps qui sont dans le ciel, et il supportera plus facilement la vue du ciel lui-même, s’il contemple pendant la nuit les astres et la lune, que pendant le jour, s’il veut fixer le soleil et sa lumière. — Glaucon. — Sans contredit. — Socrate. — À la fin, il pourra, je pense, non seulement voir le soleil dans les eaux et partout où son image se réfléchit, mais encore le contempler lui-même à sa véritable place, tel qu’il est. — Glaucon. — Nécessairement. — Socrate. — Après cela, se mettant à raisonner, il en viendra à conclure que c’est le soleil qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui est en quelque sorte la cause de tout ce qu’il voyait dans la caverne avec ses compagnons de captivité. — Glaucon. — Il est évident que, de degrés en degrés, il arrivera à toutes ces conclusions…
Socrate. — Voilà précisément, cher Glaucon, l’image fidèle et complète à laquelle il faut rattacher par comparaison ce que nous avons dit précédemment. L’antre
souterrain, c’est ce monde visible ; le feu qui l’éclaire, c’est la lumière du soleil ; ce captif qui monte à la région supérieure et la contemple, c’est l’âme qui s’élève jusqu’au monde intelligible. Voilà du moins quelle est ma pensée, puisque tu veux la savoir : Dieu sait si elle est vraie. Quant à moi, la chose me paraît telle que je vais dire. Aux dernières limites du monde intelligible est l’idée du bien qu’on aperçoit avec peine, mais qu’on ne peut apercevoir sans conclure qu’elle est la cause universelle de tout ce qu’il y a de beau et de bon ; que dans le monde visible elle crée la lumière et l’astre qui la donne directement ; que dans le monde invisible c’est elle qui produit directement la vérité et l’intelligence, et que par conséquent il faut avoir les yeux fixés sur elle pour agir avec sagesse dans les affaires publiques et privées[2]…
Mais dans ce passage, comme dans presque tout son enseignement, Platon identifie le bien et la réalité vraie ; et cette identification est entrée dans la tradition philosophique où elle joue un rôle important, même aujourd’hui. En donnant ainsi au bien une fonction législative, Platon a opéré entre la philosophie et la science une scission dont, à mon avis, toutes deux ont souffert depuis, et souffrent encore. Le savant, quels que soient ses désirs, doit les mettre de côté quand il étudie la nature, et, pour parvenir à la vérité, le philosophe doit en faire autant. Il n’est légitime de souffrir des considérations morales qu’une fois la vérité établie ; elles peuvent, elles doivent même, déterminer nos sentiments à l’égard de la vérité, et ordonner notre vie selon la vérité, mais non pas imposer une vérité qui les satisfasse.
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Parménide lui-même est à l’origine du courant mystique si intéressant qui traverse l’œuvre de Platon — ce mysticisme que l’on pourrait appeler « logique » parce qu’il fait partie intégrante de théories logiques. Cette espèce de mysticisme qui semble, tout au moins en ce qui concerne l’Occident, avoir pris naissance chez Parménide domine les raisonnements de tous les grands métaphysiciens mystiques jusqu’à Hegel et à ses disciples modernes. La réalité, d’après lui, est incréée, indestructible, immuable, indivisible ; « de lourdes chaînes la contraignent à l’immobilité ; elle est sans commencement et sans fin ; car nous avons écarté la naissance et la mort et la croyance véritable les a bannies. » Le principe fondamental de son investigation est exprimé dans une phrase que Hegel n’aurait pas désavouée : « Tu ne peux connaître le non-être — cela est impossible — ni même l’exprimer ; car ce qui peut être pensé et ce qui peut exister ne sont qu’une seule et même chose ». Et encore : « Il faut bien que ce qui peut être pensé et exprimé existe, car il lui est possible d’exister, et ce qui n’est rien ne saurait exister. » Ce principe conduit à affirmer l’impossibilité du changement ; car ce qui est pensé peut être exprimé, et, par conséquent, continue à exister.
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La philosophie mystique de tous les temps, et de tous les pays, est caractérisée par certaines croyances qu’illustrent les doctrines que nous venons de considérer.

Il y a d’abord la préférence donnée à l’intuition sur la connaissance analytique et discursive : la croyance en un mode de connaissance immédiate, profonde et qui s’impose, par opposition à l’étude lente et incertaine de l’apparence extérieure, par l’intermédiaire d’une science qui se fonde uniquement sur les sens. Ceux qui savent s’absorber dans une passion intérieure doivent connaître, parfois, ce sentiment étrange de l’irréalité des choses ordinaires, et cette rupture de contact avec les choses quotidiennes, qui fait perdre au monde toute stabilité, où il semble que ce soit l’âme, entièrement isolée, qui fasse sortir du plus profond d’elle-même une fantasmagorie déchaînée d’ombres qui, jusqu’ici, se sont montrées réelles et vivantes en elles-mêmes. C’est là l’aspect négatif de l’initiation mystique : le doute à l’égard de la connaissance ordinaire, qui prépare à recevoir ce qui semble une sagesse plus haute. Beaucoup d’hommes, à qui cette expérience négative est familière, ne vont pas plus avant ; mais, aux yeux du mystique, elle ne représente que le seuil d’un monde plus vaste.
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L’intuition mystique commence par le sentiment d’un mystère dévoilé, d’une connaissance cachée, brusquement devenue certaine, sans que le moindre doute puisse s’élever. Le sentiment de la certitude et de la révélation précède toute croyance bien définie. Les croyances définies auxquelles parviennent les mystiques proviennent de ce qu’ils réfléchissent sur l’expérience brute qu’ils ont connue dans un moment d’intuition. Souvent, des croyances qui n’ont aucun rapport avec ce moment sont ensuite absorbées par le noyau central ; ainsi, outre les convictions que partagent tous les mystiques, on trouve, chez beaucoup d’entre eux, d’autres convictions d’un caractère plus local et plus transitoire, qui, sans doute, s’amalgament à ce qui était essentiellement mystique, en vertu de leur certitude subjective. Nous pouvons négliger ces apports secondaires et nous borner aux croyances que partagent tous les mystiques.
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Vidéo de Bertrand Russell
Confrontée à la guerre, la philosophie semble intempestive, à contre temps. Elle se déploie quand la guerre n'est pas encore là, tentant de retenir tout ce qui pourrait prolonger la paix, ou quand la guerre n'est plus là, s'escrimant alors à penser la «réparation», panser les blessures, accompagner les deuils, réanimer la morale, rétablir la justice. Lorsque «la guerre est là», lorsque fusils d'assaut, bombes et missiles éventrent les immeubles, incendient fermes, écoles, hôpitaux et usines, rasent des quartiers entiers, laissant sur le sol carbonisé enfants, hommes et femmes, chiens et chevaux, lorsqu'on est contraint de vivre tremblant dans des caves, lorsqu'il n'y a plus d'eau potable, lorsqu'on meurt de faim et de douleur – eh bien la philosophie ne trouve guère de place dans les esprits. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle il n'y a pas une «philosophie de la guerre» comme il y a une «philosophie du langage» ou une «philosophie de l'art», et que le discours de la guerre renvoie plus aisément à la littérature ou au cinéma, aux discours de stratégie et d'art militaire, d'Intelligence, d'histoire, d'économie, de politique. Pourtant – de Héraclite à Hegel, de Platon à Machiavel, d'Augustin à Hobbes, de Montesquieu à Carl von Clausewitz, Sebald Rudolf Steinmetz, Bertrand Russell, Jan Patoka ou Michael Walzer – les philosophes ont toujours «parlé» de la guerre, pour la dénoncer ou la justifier, analyser ses fondements, ses causes, ses effets. La guerre serait-elle le «point aveugle» de la philosophie, la condamnant à ne parler que de ce qui la précède ou la suit, ou au contraire le «foyer» brûlant où se concentrent tous ses problèmes, de morale, d'immoralité, de paix sociale, d'Etat, de violence, de mort, de responsabilité, de prix d'une vie?

«Polemos (guerre, conflit) est le père de toutes choses, le roi de toutes choses. Des uns il a fait des dieux, des autres il a fait des hommes. Il a rendu les uns libres, les autres esclaves», Héraclite, Frag. 56) #philomonaco
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