Donatien-Alphonse-François de Sade, dit
Le Marquis de Sade, et même le « divin Marquis » ! Surnom a priori surprenant pour un être aussi sulfureux que cet écrivain.
Même tenu à deux mains, ce livre publié en 1795 procure pourtant un grand plaisir intellectuel au lecteur. D'où vient-il ?
Sur le fond, l'histoire n'offre pas grand intérêt : déroulement d'un rythme action – réflexion, par l'alternance de chapitres salaces (i.e. pornographiques) avec des séquences de méditation où l'on retrouve les thèmes de prédilection du Marquis. Sept dialogues pour évoquer la condition humaine, les grands principes du libertinage et la haine de tout gouvernement.
Le contraste est fort entre le propos et le style: des idées le plus souvent indéfendables moralement, voire nauséabondes assez souvent, sont mises en valeur, portées et magnifiées par un style élégant, alerte et fluide. Les raisonnements sont le plus souvent un enchaînement de sophismes et de syllogismes débouchant sur l'absurde.
Mais il convient surtout de relever la beauté de cette langue française du 18e que l'on trouve avec enchantement chez Rousseau, par exemple. Dans "
La Philosophie dans le boudoir", la parure étincelante de la langue recouvre une pensée rude et tranchée. Un chapelet d'irrévérences et d'idées révolutionnaires présentées dans un écrin de soie et de nacre…
Ce livre est l'occasion de découvrir des mots désuets que l'on ne risque guère de réemployer aujourd'hui sinon en plein contre-sens : le « vit », abondamment utilisé pour désigner le membre viril en pleine action, la « pollution » pour les écoulements spermatiques, la « propagation » pour le fait de se reproduire en accroissant l'espèce humaine, etc.
On aurait grand tort de se buter sur la morale et ne pas chercher à connaître les idées, en suivant les raisonnements de cet aristocrate débauché et en rupture de ban sur les grands thèmes de la liberté individuelle, de Dieu, des rapports hommes – femmes, de la peine de mort, etc. Des idées qui ont fortement agité la fin du 18e et annoncé les troubles révolutionnaires, fondements de la France moderne.
Ce n'est pas pour rien que ses oeuvres sont éditées dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Si les idées de l'auteur et leur caractère le plus souvent outrancier ne sauraient être partagées en tout point, l'écriture et le style nous aident à « faire passer la pilule » et nous font découvrir
Le Marquis de Sade plus aisément que ces autres oeuvres, plus « hard » et probablement moins nécessaires.
Après tout, il est tout aussi difficile de partager les thèmes de Rousseau sur le contrat social, où les individus consentiraient volontairement à renoncer à leur liberté individuelle. Ou sur l'homme à l'état de nature, qui serait naturellement bon et seulement perverti par la société. Et pourtant, la lecture de ses textes est un plaisir toujours renouvelé. Dans un genre bien à soi, certes très éloigné de la générosité et naïveté rousseauiste, et du politiquement correct de notre époque, «
La Philosophie dans le boudoir » offre un enchantement similaire.