Un grand merci aux éditions Seuil et à la masse critique de Babelio sans qui je n'aurais probablement jamais découvert cet ouvrage. Trêve d'ambages, parlons peu mais parlons bien, du moins vais-je essayer.
J'ai découvert les premières pages avec appréhension : j'avais nourri une toute autre idée de ce livre. Je m'étais imaginée à tord qu'il allait retracé l'histoire/la naissance des paradis fiscaux jusqu'à aujourd'hui. Un récit historique relaté sur un ton objectif.
Il m'a fallu un temps d'adaptation à accepter mon quiproquo et plonger dans les péripéties de notre narrateur qui, pour le coup, emploie un point de vue subjectif puisqu'il s'agit de son combat acharné de plus de quinze ans pour repousser le secret bancaire et l'évasion fiscale internationale.
Je suis une non-initiée. L'économie et la fiscalité sont des domaines aussi complexes que le sont pour moi la physique quantique et la pétrochimie. Je mentirais si j'annonçais que j'ai compris toutes les subtilités, subterfuges et explications de l'auteur qui, soi dit en passant, ne nous met pas la pression puisqu'à travers son récit on perçoit la complexité de la fiscalité internationale comme un sac de noeuds à s'arracher les cheveux de la tête (j'extrapole mais à plusieurs reprises j'ai eu le sentiment que lui et ses collaborateurs ont dû surchauffer des cellules grises jusqu'à lors inconnues du genre humain tant la difficulté de la tâche était immense).
J'ai dû mettre mon côté «anti-capitaliste» sous clé pour plonger dans ma lecture et découvrir avec effroi les coulisses (pas toutes mais bien assez) du monde technocrate, politique et diplomatique aussi effrayant que stressant et souvent ahurissant. Quand je pense que certaines décisions qui impacteront le sort de tout un pays et son peuple se sont jouées à un seul coup de téléphone entre deux amis…
Il m'est impossible de relater toutes les choses qui m'ont fait rire, m'ont choquées ou saisies, sinon cette critique finira en nouvelle improvisée.
Il est indéniable que ce témoignage est intéressant. Dense et exigeant, mais intéressant (que j'apprécierai d'autant plus lorsque je le relirai une seconde fois je pense). Par dense et exigeant j'entends le nombre hallucinants d'informations et de contexte requis pour appréhender les enjeux de ce combat mené par l'OCDE et les intervenants extérieurs qui ont contribué à une fiscalité internationale et au progrès d'une législation pour que les multinationales ne fuient plus leurs impôts qui se comptent en centaines de milliards d'euros/dollars.
Le stress épouvantable des négociations transpirait entre les lignes au point d'en être contagieux, surtout au début et à la fin avec les conflits d'intérêts et la numérisation de l'économie. La diplomatie est loin d'être une partie de plaisir. Si ce récit m'a ouvert les yeux sur quelque chose, c'est entre autres sur la difficulté sous-estimée de mettre des Leaders (tous dirigés par leurs intérêts privés qu'ils mélangent avec des intérêts soi-disant généraux) tous d'accord à signer des directives et de s'y appliquer.
La frustration est elle aussi immense. Entre décisions contradictoires, revers de veste, hypocrisie, première puissance mondiale qui dit aux autres nations ce qu'elles doivent faire en se passant de l'appliquer elle-même, corruption et luttes d'intérêts, il y a de quoi se demander si notre système, ce bateau troué, mérite vraiment le mal que ces technocrates se donnent pour colmater les fuites, au lieu d'envisager de construire un tout nouveau navire… mais comment la diplomatie, cette danse sulfureuse de compromis, pourrait convaincre ces oligarques de détruire le navire du capital et du profit sur lequel ils ont bâti leur empire ?
Je doute d'ailleurs que notre narrateur croit qu'une autre économie mondiale soit possible. Mais je ne vais y émettre aucune critique. Car il m'a fait reconnaître qu'un homme d'action ne peut pas être comparé à un homme de fervent discours.
Pascal Saint-Amans a agi, corps et âme (mettant jusqu'à mal sa santé), pour améliorer la fiscalité mondiale et à sa façon combattre les inégalités. Ce combat dure depuis la nuit des temps, ce qui me laisse craindre que cette lutte continuera à être de tous les instants. Il y a encore un long chemin à parcourir mais l'on peut espérer que d'autres technocrates prendront la relève…
Des avancées ont été accomplies mais je m'interroge sur cet argent taxé des multinationales reversé aux États… S'en servira-t-on pour l'intérêt du peuple ou grossira-t-il les poches d'autres riches ?
Et cette hausse des prix qui n'en finit pas actuellement, nous à qui on avait promis que l'augmentation des taxes des entreprises n'impacterait pas le consommateur. On peut toujours nous servir l'excuse de la guerre en Ukraine, mais l'on peut tout de même s'interroger si nous ne sommes pas plutôt les victimes de représailles des multinationales rancunières…
D'un côté je reste sceptique, de l'autre je reconnais avoir appris beaucoup de choses (sans que ce livre prétende vouloir faire de son lecteur un expert en matière fiscale et politique internationale).
Je ne peux cependant fermer la boucle sans m'épancher sur un sentiment qui m'a saisi au cours du début de ma lecture (l'introduction m'avait plongé dans un désarroi complet, heureusement qu'elle était courte!). Ces changements aussi louables soient-ils m'ont fait penser aux voitures électriques. Il n'est au fond pas question de résoudre le réchauffement climatique. Il s'agit de poursuivre notre train de vie et notre économie abusives en offrant une alternative au consommateur culpabilisé tout en maintenant la construction et la distribution de voitures carburant au pétrole. Pour le coup, les multinationales amassent un double bénéfice… tout en doublant l'impact écologique. L'extraction des minerais servant aux batteries (lithium et autre métaux rares), en plus d'aggraver la déforestation, empoisonnent les mineurs sous-payés. L'évacuation du traitement des métaux lourds s'infiltrent dans le sol (contaminant les cultures qui se retrouvent dans nos assiettes), les nappes phréatiques, rivières et océans, détruisant la faune et la flore que nous sommes supposés préservés… C'est ça la voiture verte ?
Je vais achever cette longue tirade toutefois par ce petit extrait qui m'a convaincu et me fait respecter les efforts déployés par l'auteur ainsi que ses nombreux collaborateurs fiscalistes et économistes de l'ombre, journalistes d'investigation, employés de banque et cabinets d'avocats spécialisés dans l'offshore qui ont risqué leur vie et leur carrière pour livrer des documents à la presse qui ont largement contribué au succès de ce bouleversement historique menacé par les tempêtes géopolitiques mais qui survivra tant que des gens avisés continueront de croire et de se battre pour lui.
«Il est sans doute plus facile d'adopter une posture critique, de dénoncer les injustices et de rejeter avec colère tout compromis, comme insuffisant. J'ai pris le parti de croire que les progrès étaient possibles, d'aider à les faire advenir. C'est un pari plus compliqué !
Molière ne s'y est pas trompé en donnant à Alceste le beau rôle, celui du Misanthrope. J'ai toujours quant à moi préféré celui, peut-être plus fade, de son ami Philinte qui, en acceptant la réalité, était plus à même de la changer.»