Maintenant je crois comprendre d'où vient chez
Milan Kundera son style "de flashes": J.D.Salinger l'utilise déjà, avec tout ce qui en est lié, comme une grande concentration verbale, le puissant contraste des images , l'immersion dans le mouvement secret des pensées et des sentiments de ses personnages.
J'ai déjà lu cet auteur par le passé, je relis maintenant ses
nouvelles. Je préfère celles avec les enfants et spécialement celle qui s'appelle "Pour Esmé avec amour et abjection."
La nouvelle est composée de deux flashes : le premier présente la rencontre entre un jeune Américain qui suit dans le Devonshire, en Angleterre, l'entraînement de pré- débarquement , et une enfant Anglaise de 13 ans.
(Ne pensez pas au mal, ce n'est pas le cas.)
Le 30 avril 1944, à 19 heures l'Américain doit partir pour rejoindre les divisions aéroportées mises sur pied pour le jour J. Il lui reste 3h 30' jusqu'à son départ, il marche dans les rues sous la pluie, entre dans une église où la répétition de la chorale a commencé à 15h15'.
C'est une chorale d'enfants de 7-13 ans, leurs voix ont une beauté mystique, l'homme regarde leurs visages angéliques, remarque celui d'une petite fille qui chante mieux que les autres.
La cantique terminée, l'homme quitte l'église, entre dans un salon de thé pour les civils, presque vide. Peu de temps après, la petite demoiselle y entre aussi, suivie de son frère de 5 ans et de sa gouvernante.
La petite choriste surprit le regard de l'Américain , le regarde à son tour, "avec ses yeux capables , très certainement , de vous faire un inventaire en moins de deux" et, soudain, lui sourit. "Le sourire était presque radieux, comme sont parfois les sourires de politesse".
En suivit une conversation, la petite demoiselle est pleine d'assurance et de la gracieuse gaucherie enfantine. Elle affirme que pour un Américain, il est très intelligent. Lui a conscience de poser un peu et de se tenir très droit sur la chaise.
Un ange passe .
A 16h15' la jeune fille part, après avoir noté le nom, le grade et les coordonnées de son interlocuteur et d'avoir annoncé l'intention de lui écrire. Et après lui avoir souhaité de revenir de la guerre "avec les facultés intactes".
Fin du premier flash.
Le deuxième flash s'ouvre sur un soldat en convalescence d'une très grande blessure. Il est presque hémiplégique, insomniaque, gravement dépressif . Il se trouve dans son logement américain et regarde avec dégoût l'amas de papiers et de lettres non ouvertes sur sa table. Son attention est attirée par une des enveloppes: elle l'a suivi plusieurs fois. Sur l'un de ses côtés il distingue trois de ses anciens secteurs postales. Il ouvre la lettre et la lit:
.."..J'ai très souvent pensé à vous et à l'après-midi extrêmement agréable que nous avons passé ensemble le 30 avril 1944 ,entre 3 h35' et 4h15', au cas où vous l'auriez oublié.
....Mon frère et moi nous faisons beaucoup de souci pour vous. Nous espérons que vous n'étiez pas parmi ceux qui ont donné le premier assaut dans la presqu' île de Contentin.
En étiez-vous? Je vous prie, répondez-moi aussi vite que possible.
Toute mon affectueuse amitié à votre femme.
Sincèrement vôtre
Esmé."
Il resta assis là un long moment. Et alors, brusquement,presque voluptueusement, il senti qu'il s'endormait. "Vos avez à faire, Esmé, à un homme bien endormi, et qui garde TOUJOURS une chance de redevenir un homme avec toutes ses FACULTES intactes."