Remarquable discours d'Andréï Makine qui évoque son profond attachement à la langue française mais s'interroge sur le sentiment de trahison à ses origines, à son essence propre, qui peut naitre chez un auteur étranger adoptant notre langue pour écrire. Sentiment qui a visiblement habité Assia Djebar dans le fauteuil de laquelle il s'installe, mais dont il semble avoir été préservé car la Grande Catherine de Russie "a laissé aux Russes un trésor inestimable : le privilège de parler français sans se sentir traitre à la patrie et la possibilité de communiquer en russe sans passer pour un patoisant borné, un inculte, un plouc." Et Makine de s'interroger finalement " Une sensibilité littéraire. Serait-elle la véritable clef qui permette de deviner le secret de la francité ?".
Une réponse de Dominique Fernandez non moins remarquable qui dit son émerveillement pour la beauté de la langue française maniée par Makine et se demande comment cette langue, parlée à plus de six mille kilomètre de sa ville natale, a pu le rejoindre et l'envouter au point de le décider à en acquérir une maîtrise qui nous remplit de stupeur et d'admiration.
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J'aime bien les discours de réception. Certains sont chiants comme leurs auteurs du reste. Mais quand une grande plume échange des amabilités avec une autre grande plume et qu'on voit le génie qui transpire, tout en sachant que c'est limité dans le temps, je suis preneur. J'ai des bons souvenirs de ceux de Camus et de Martin du Gard, il me plaît de les relire ; il y a des choses fondamentales là dedans qui renseignent à bon escient l'histoire de la littérature. Chaque auteur plébiscité sait très bien qu'il ne peut pas se louper, un peu comme un chanteur d'opéra à la Scala de Milan
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Si l'on me demandait maintenant de définir la vision que les Russes ont de la francité et de la langue française, je ne pourrais que répéter cela : dans la littérature de ce pays, ils ont toujours admiré la fidélité des meilleurs écrivains français à ce but prométhéen. Ils vénéraient ces écrivains et ces penseurs qui, pour défendre leur vérité, affrontaient l'exil, le tribunal, l'ostracisme exercé par les bien-pensants, la censure officielle ou celle, plus sournoise, qui ne dit pas son nom et qui étouffe votre voix en silence.
Charlotte, savoureusement ressuscitée dans le Testament Français, évoquait la visite de Nicolas II à Paris, les fêtes organisées en son honneur, ce qui vous jetait dans un grand trouble, car le mot "tsar" prononcé en russe dressait sous vos yeux de pionnier soviétique dûment endoctriné un tyran cruel et sanguinaire, alors que le même mot adouci en français, "tsar", s'emplissait pour vous de lumières, d'éclats de lustres, de reflets d'épaules féminines nues glissant dans le bal de l'Opéra.
Cette haute conception de la parole littéraire est toujours vivante en terre de France. Malgré l'abrutissement programmé des populations, malgré la pléthore de divertissements virtuels, malgré l'arrivée de gouvernants qui revendiquent, avec une arrogance éhontée, leur inculture. "Je ne lis pas de romans" se félicitait l'un d'eux, en oubliant que le bibliothécaire de Napoléon déposait chaque jour sur le bureau de l'Empereur une demi-douzaine de nouveautés littéraires que celui-ci trouvait le loisir de parcourir. Entre Trafalgar et Austerlitz pour ainsi dire.
Comme vous vous plaisez à le dire, les Français admirent les Américains qui les méprisent, et ils méconnaissent les Russes, qui les admirent.
Carte blanche aux éditions du Seuil
avec Olivier Bétourné, Gilles Heuré
A l'occasion de la parution de L'Esprit de la Révolution française, les éditions du Seuil proposent une rencontre avec Olivier Bétourné, historien et éditeur. Une enquête au coeur du mystère de "l'exception française" et de sa permanence, depuis les sources médiévales du débat philosophique autour de la souveraineté jusqu'à la construction des mythes fondateurs de la France contemporaine. Un récit nourri de portraits des acteurs de l'événement, qui changèrent le cours de l'histoire.