Cet ouvrage collectif dirigé par
Sebastian Santander de l'Université de Liège pose la question de la multipolarité de l'ordre mondial à travers six monographies consacrées à chacune des puissances émergentes du BRICSAM : Afrique du sud, Brésil, Chine, Inde, Mexique, Russie (présentées dans un ordre alphabétique prudent qui s'épargne une tentative de classification ordonnée qui aurait probablement été plus stimulante). On sait que le concept de BRIC a été forgé en 2003 dans un rapport de la banque d'investissement Goldman Sachs . le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine avaient en commun un vaste territoire, une population importante, d'abondantes ressources naturelles et une participation active dans le commerce mondial. le concept ne renvoyait à aucune entité institutionnelle existante. Pour les banquiers d'affaires, il s'agissait simplement d'identifier des économies en forte croissance riches de potentiel pour les investisseurs étrangers.
Mais l'expression a fait florès désignant à côté des "vieilles" puissances de la Triade – Union européenne, Etats-Unis, Japon – les puissances émergentes du XXIème siècle naissant susceptibles de remettre en cause l'hégémonie américaine et l'unipolarité de l'ordre mondial. le concept, à l'origine purement économique, était réinterprété dans un sens plus géopolitique. Les BRIC – élargis au Mexique et à l'Afrique du sud voire à l'Indonésie, au Nigéria ou à la Turquie – désignent des économies en forte croissance qui exercent un leadership régional et aspirent à un rôle global. Il n'est guère difficile – ce que l'ouvrage ne fait malheureusement pas –de questionner cette notion et d'en critiquer l'élasticité. La Russie et la Chine, puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité, relèvent-elles de la même catégorie que le Mexique ou l'Afrique du sud dont la puissance économique reste modeste et dont l'influence diplomatique peine à s'exercer dans leur « étranger proche » et a fortiori à façonner l'ordre mondial ?
Une critique plus radicale pourrait être adressée à cette suite paresseuse de monographies stato-centrées. Elles ne répondent pas à la stimulante question posée par le maître d'oeuvre de cet ouvrage collectif dans son introduction : l'émergence des pays du BRICSAM remodèle-t-elle l'ordre international ? le transforme-t-elle en système multipolaire ? La démarche analytique retenue permet certes un tour du monde de ces diplomaties en plein essor. On y glane quelques informations intéressantes sur l'« impérialisme jaune-vert » du Brésil (p. 86), l'« hyperréalisme » de la nouvelle politique étrangère chinoise (p. 109) ou la personnalité « bi-régionale » du Mexique (p. 190). Mais on n'y trouve pas la réponse à la question posée sinon dans la trop courte conclusion de
Sebastian Santander. Il y soutient que les puissances émergentes, loin de déstabiliser le statu quo le renforcent en redonnant aux clubs fermés qui leur ouvrent leurs portes (G7, OMC, Conseil de sécurité des Nations-Unies …) une légitimité qu'ils menaçaient de perdre. Pour être à contre-courant d'une pensée dominante qui surestime l'impact des BRIC sur l'ordre international, cette conclusion paradoxale n'en est que plus stimulante.