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sur 285 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Radiographie des mouvements intérieurs effleurant la conscience…

Ni roman, ni nouvelles, il aura fallu cinq ans à Nathalie Sarraute pour écrire ce court livre décomposé en vingt-quatre scènes indépendantes les unes des autres, vingt-quatre fulgurances, vingt-quatre sensations que nous touchons parfois du doigt sans pouvoir les nommer et les décrire, telle de l'eau que nous voudrions attraper avec nos poings.
Sans doute sont-elles trop intérieures, trop intimes pour pouvoir être saisies sur le vif…trop fugaces et oniriques pour pouvoir être appréhendées avec conscience alors que déjà, juste après la fulgurance, cette sensation part en lambeaux comme un rêve au moment du réveil…trop imperceptibles pour que ces vibrations soient mises en langage. Ils se situent en amont du langage.

Pourtant Nathalie Sarraute veut précisément mettre des mots derrière ces sentiments indicibles, étranges, confus, qui nous assaillent par moment, « mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de la conscience » anodins et insignifiants, invisibles, mais lourds de conséquences en réalité. Un effet papillon pouvant expliquer fuites, colères, dépressions, réactions incongrues, paroles inappropriées, gestes à priori inexpliqués…

Voilà une oeuvre éminemment originale, surtout en 1939 lorsqu'elle fut publiée. Il faut dire que pour Nathalie Sarraute, on « ne doit écrire que si l'on éprouve quelque chose que d'autres écrivains n'ont pas déjà éprouvé et exprimé ». C'est également souvent ce que recherche le lecteur, lire et éprouver quelque chose qu'il n'a pas éprouvé avec d'autres écrivains. C'est un pari en tout cas réussi de la part de l'auteure au point de devenir la figure emblématique de ce que nous avons appelé le « Nouveau roman ». Elle n'aura de cesse d'explorer ces tropismes qui, de livre en livre, apparaissent sous des formes diverses.

Tels des lambeaux de rêves capturés et interprétés, ces petits textes doivent être lus et relus pour que l'intraduisible soit traduit, pour fouiller la conscience et faire émerger l'inconscient. le tamis de Nathalie Sarraute est composé de mailles d'ironie froide, ou plutôt de neutralité, de lucidité, voire d'humour, léger ; ses mailles resserrées permettent de capter ces invisibles et frétillants fragments d'intériorité. Et c'est troublant car, parmi ces vingt-quatre tableaux le lecteur trouvera forcément une situation qui a été sienne un jour. Et lui permettra surtout de questionner ses propres vibrations internes.

Frénésie vestimentaire qui nourrit uniquement l'apparence, frénésie intellectuelle qui vise à figer et à absorber, gens médiocres à la psychologie figée, commérages incessants, frivolité, personnes qui usent de leur âge ou de leur sexe pour dominer, solitude, habitations sans âme, rôle à jouer et envie à réprimer selon les convenances sociales, obsession pour les choses…Paroles ou simple présence d'autrui, attitude, gestuelle…telles sont, entre autres, les éléments déclencheurs des tropismes.

« Et il sentait filtrer de la cuisine la pensée humble et crasseuse, piétinante, piétinant toujours sur place, toujours sur place, tournant en rond, en rond, comme s'ils avaient le vertige mais ne pouvaient pas s'arrêter, comme s'ils avaient mal au coeur mais ne pouvaient pas s'arrêter, comme on se ronge les ongles, comme on arrache par morceaux sa peau quand on pèle, comme on se gratte quand on a de l'urticaire, comme on se retourne dans son lit pendant l'insomnie, pour se faire plaisir et pour se faire souffrir, à s'épuiser à en avoir la respiration coupée… ».

Sensation d'enfermement, de panique, d'oppression jusqu'à la fuite pure et simple…

« Se taire ; les regarder ; et juste au beau milieu de la maladie de la grand-mère se dresser, et, faisant un trou énorme, s'échapper en heurtant les parois déchirées et courir en criant au milieu des maisons qui guettaient accroupies tout au long des rues grises, s'enfuir en enjambant les pieds des concierges qui prenaient le frais assises sur le seuil de leurs portes, courir la bouche tordue, hurlant des mots sans suite, tandis que les concierges lèveraient la tête au-dessus de leur tricot et que leurs maris abaisseraient leur journal sur leurs genoux et appuieraient le long de son dos, jusqu'à ce qu'elle tourne le coin de la rue, leur regard. »


Les tropismes sont les fruits de l'expérience et ce qui est fort dans ce petit ouvrage est le fait que Nathalie Sarraute arrive à nous les faire ressentir, à nous faire vibrer avec toute la gamme de ces sensations confuses entre impulsion et retenue. Des réminiscences troublantes pour le lecteur…Une lecture marquante qui parle à la part enfouie au plus profond de nous.
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C'est en 1932 que l'auteure a écrit le premier des 18 textes qui feront partie de la première édition de Tropismes parue en 1939 aux éditions Denoël. Il faudra cinq ans à Sarraute pour rédiger ces 18 brefs textes (« On ne peut pas imaginer la lenteur de ce travail » écrira-t-elle), et ensuite deux ans pour être éditée, allant de refus en refus, tant son oeuvre est atypique. Elle écrira entre 1939 et 1941 six nouveaux textes qui prendront place dans la nouvelle édition de l'ouvrage entreprise à la demande d'Alain Robbe-Grillet aux Editions de Minuit en 1957, un des textes de la première version a été en revanche supprimé, c'est cette édition que est considérée comme définitive et éditée en l'état actuellement. Cette genèse extrêmement longue montre l'importance de ce texte pour l'auteure : « Au fond, je n'aurai vécu que pour une idée fixe » déclare-t-elle à la fin de sa vie, tous ses textes poursuivant au fond la traque de ces tropismes.

Emprunté au vocabulaire de la biologie, la notion de tropisme est essentielle dans l'oeuvre de Sarraute. Elle traduit la démarche de l'ateure qui s'attache à saisir des manifestations infimes du moi, à transformer en langage les vibrations, les tremblements du « ressenti », les mouvements intérieurs produits sous l'effet d'une sollicitation extérieure, « des mouvements ténus, qui glissent très rapidement au seuil de notre conscience » et se déroulent comme de véritables « actions dramatiques intérieures ». Il s'agit de saisir le plus authentique, le plus véritable, l'essence des êtres, au-delà de l'anecdotique, d'un narratif convenu, les éléments originaires, les mécanismes de la conscience antérieurs à l'expression. Cela nécessite d'un travail particulier sur la langue, sur l'expression, sur la ponctuation. Chaque mot doit être signifiant et juste.

Tout cela peut sembler théorique, abstrait, froid, alors que c'est tout le contraire. Je ne sais trop comment traduire le plaisir euphorique et intense que ces textes m'ont procuré. La justesse des mots, le rythme des phrases, la densité des contenus : ces textes sont essentiels, rien n'est gratuit, rien n'est du remplissage, tout est là parce que cela signifie, capte quelque chose de fondamental, qui gît au fond de chacun d'entre nous. C'est comme une sorte de vibration à l'unisson de notre moi le plus profond.

Une des expériences les plus fortes que la littérature m'ait donnée.
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J'avais déjà lu ce livre en février 2012 et je l'ai relu avec un grand plaisir en 2021.
En 1939, Nathalie Sarraute a publié ses premiers textes exprimant son ressenti , ce qui lui a permis de décrire ce qui se passe dans son for intérieur. C'est avec les textes courts de ce recueil intitulé "Tropismes" que j'ai vraiment compris ce qu'était l'introspection.
S'il n'est pas facile de rentrer dans l'univers de Nathalie Sarraute, quand on écoute bien, la profondeur des propos apparaissent.
Ce sont des pensées du commun dont il s'agit. Elle y évoque par exemple ce qu'elle éprouve au cours d'un repas lorsqu'une personne est présente et qu'il faut éviter de dire certaines choses qui fâche en sa présence ou lorsque l'on souhaite quitter la table discrètement.
Ses pensées peuvent aussi vagabonder au cours de promenades ou de rencontres mais pas seulement car dans le monde intérieur de Nathalie Sarraute, la famille et surtout les enfants tiennent une grande place : on les devine donnant la main aux passages cloutés, regarder les vitrines, écouter avec fascination les grandes personnes se parler...
Mais plutôt que le contenu des textes c'est la façon dont elle expose les sujets qui est exceptionnelle dans ce livre excellent parce qu'unique et inclassable dans une catégorie littéraire.


Challenge Riquiqui 2021
Challenge XXème siècle 2021
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Ce qui n'a pas été souvent commenté à propos des écrivains du Nouveau Roman c'est le rythme. Bien sûr, il y a la voix de Marguerite Duras, sa ponctuation, ce "oui, c'est ça". Chez Nathalie Sarraute, aussi il y a un rythme profond particulièrement perceptible dans cette absence de trame qui laisse au langage tout l'espace pour s'étendre, se complaire et surtout se répéter, s'enrouler sur lui-même; rythme aussi dans cette impersonnalité où les pronoms martèlent le discours, rythme enfin dans ces tropismes qui ponctuent le désir ou la répulsion du lecteur.
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Le premier livre de Nathalie Sarraute publié en 1939 Tropismes (terme emprunté au langage scientifique qui signifie le déplacement ou la transformation d'un élément sous l'effet de stimuli extérieurs) composé de 24 textes dans la réédition de 1957 respirent les émotions de l'instant ,impalpables, invisibles, les pensées effleurent le temps, l'espace se rétrécit, nous glissons lentement vers la brièveté du moment, de l'éphémère, de l'imperceptible, une variation intérieur, des interrogations, des ils et des elles viennent , repartent, se croissent , s'aspirent au rythme de ces petits textes.
Dans la préface de L'ère du soupçonNathalie Sarraute écrivait
Mon premier livre contenait en germe tout ce que, dans mes ouvrages suivants, je n'ai cessé de développer. Les tropismes ont continué d'être la substance vivante de tous mes livres.
Seuls Jean-Paul Sartre, Max Jacob et Charles Mauron remarqueront les talents de l'auteure en lui témoignant leurs encouragements.
Tropismes sera considéré comme l'ouvrage fondateur du courant littéraire " Nouveau roman" .
Petites pensées figées dans mes humeurs de ces textes viennent en moi pour les écrire pour les figer dans ce présent .
-Regards sur les devantures des magasins.silence devant les vitrines.Passage d'un voisin au frontière des rêves, une onde passagère, un rêve.
-Paradoxe des pensées au supplice de l'incertitude vers cette relation de concupiscence des mots, de la parabole de la vie.
-Lorsque le silence habille le temps avec l'éclat d'un passage suspendu au creux de son regard dans l'espace de cet oasis, ce havre de paix, caresse la musique sourde de cet instant fragile mais joyeux le capte pour le fixer à jamais dans sa mémoire pour le revivre.
-Lorsque le matin s'accélère au rythme incertain obéissant au bonheur précipité de cette Maitresse amoureuse de l'ordre et de la rigueur-Le petit déjeuner s'offre à nous.
-Incertitude pour l'autre. inquiétude fausse, rassure pour une sécurité merveilleuse.
-Moment rare entre une grand-père et son petit fils traversant un passage clouté, arrêt sur ce tableau ou la mort prends la vie des souvenirs, l'enfant respire ce moment improbable.
-Questions intérieures, douceur de l'esprit face à la réalité physique, peur de cette vérité, se cachant derrière la logorrhée des mots...Trouver la parade; faire semblant. la distraire....
-Plaisirs de femmes, papotage mondain, des mots, des phrases, des histoires, désir sans fin de conversation, dit, redit, immuable papotages des salons de thés.
-Intellectualisation intense au nirvana du sophisme sublime-Être dans l'actualisation de tout instant.
-Le savoir de ces hommes qui rend la simplicité des choses.
-Faire des boutiques, chiner un vêtement, vire ces moments encore et encore, héritage, tradition utérine.
-Perdu dans l'errance des sentiments ou respire la pensée qui vous aspirent vers cette sublimation de l'instant.
-Emprise malsaine, moment distordu entre cette fille admiratrice de cet homme en proie à la folie de son passé vers cette contrainte physique et psychologique.
-Le temps passe, la vie s'écoule, l'esprit demeure, attendre son verre en terrasse.
-Vivre là prés d'eux, attendre, jouer, écouter mais rester là tout proche.
-Dans l'attende du thé, la maison respire, la vie coule, le thé arrive bientôt.
-Le doudou, l'aventure d'une enfance protectrice, d'une vie enfantine. à le dévorer, le prendre, le rouler, le faire vivre.
-Terreur nocturne, angoisse de s'endormir, vivre dans la peur-Toujours le réconfort.le rassurer.
-La vie s'effrite lentement, les femmes se remémore, les hommes s'angoissent d'enfanter par peur de la souffrance, rêverie d'une vie.
-Bribe d'enfance, resurgir dans ce présent, cette vieillesse dormante laissant l'enfance, le passé, caressant le présent qui s'effiloche vers les souvenirs.
Ce roman fût une source d'inspiration légères vers des émotions cachées suspendant mes mots comme un arrêt sur le temps ....
Bonne lecture à tous
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C'est une tentative ambitieuse (surtout pour 1939), qui m'a beaucoup touché. Sarraute fait dans la justesse et dans la minutie, et se donne les moyens de ses intuitions. C'est minimaliste et irréprochable. Il s'agit de lui faire confiance et de la laisser nous guider...
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Doucement, délicatement pour ne pas déranger, pour ne pas éveiller la vigilance de l'autre, celui qui rôde, qui nous épie et qui voit tout. C'est comme ça que j'ai ressenti l'écriture lumineuse de Nathalie Sarraute. Elle a cette façon si évidente de raconter avec des mots simples des choses tellement abstraites, de nous faire prendre conscience des malaises ou des boursouflures que les autres, notre famille, nos amis, nos voisins, nous causent et nous infligent.
Totalement déstabilisant dans la forme mais d'une puissance évocatrice folle, le livre est composé de tableaux miniatures représentant dans leur intériorité des personnages placés dans un cadre familial ou social, et agissant sur le personnage central. Je cherchais initialement le rapport entre ces tableaux mais ai été rapidement rassuré de savoir qu'il n'y en a pas. le fait d'accepter que l'intrigue n'existe pas conduit le lecteur à lâcher prise et à ne prendre les mots que pour ce qu'ils sont. Puisque tout est question ici d'être au monde, de sentir dans leur totalité les choses et les gens qui nous entourent et de constater que l'état dans lequel nous sommes n'est jamais le fruit du hasard, mais qu'il est au contraire induit par des échos générés par les autres.
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Tropismes est un recueil d'impressions, de pensées, de sentiments, dont la plupart des gens ont fait ou feront l'expérience un jour. Chaque récit part d'un cliché, d'une scène courante de la vie, que tout le monde connait ou croit connaitre, et évoque des sensations ou des réactions face à ces scènes.
Basiquement, Tropismes est un recueil de monologues intérieurs, dans un style "flux de conscience" à la Virginia Woolf.
Tropismes regroupe uniquement des textes déconnectés les uns des autres et sans être reliés par une trame narrative, une originalité qui fait sa force et sa faiblesse, mais chaque texte se laisse dévorer comme une petite friandise grâce à une prose coulante faite de phrases soigneusement construites et étoffées.
J'ai spécialement apprécié le deuxième récit (un homme assailli par les jacasseries du voisinage) et le onzième (une femme qui a soif d'apprendre).
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J'avoue ne pas savoir moi-même pourquoi j'ai aimé ce livre.
Pourtant, Nathalie Sarraute est loin d'être un bon souvenir pour moi : j'avais commencé "Enfance" qui m'était littéralement tombé des mains et la vague des nouveaux romans en général me laisse plutôt de marbre (à part "Le ravissement de Lol V Stein" qui m'a profondément bouleversée) mais là...
Il n'y a pas d'histoire, pas de trame narrative, pas de personnages... mais l'écriture ! le texte est poétique, "l'histoire" se résume à des pensées fugaces que des anonymes entretiennent, mais c'est bouleversant : j'ai frissonné tout au long de la lecture tellement j'étais saisie par l'écriture et la tristesse du genre humain qui était parfaitement retranscrite...
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