Ainsi Saad Saad résume-t-il son parcours dès le début du roman. Né dans une famille aussi aimante que pittoresque, entouré d'un père qui s'exprime dans un langage tantôt précieux, tantôt vulgaire, d'une mère et de soeurs qui le cajolent, le jeune homme traverse tous les bouleversements qui ont agité l'Irak ces dernières décennies : la dictature de Saddam Hussein, la guerre du Golfe puis le terrible embargo qui a réduit le peuple irakien à la famine. Ce parcours chaotique, qui prend bientôt la forme d'une nouvelle Odyssée lorsque Saad Saad décide de rejoindre l'Angleterre pour subvenir aux besoins de sa famille décimée, oscille entre tragique et confiance en l'avenir, comme l'illustre le double nom du personnage : p. 11 « Je m'appelle Saad Saad, ce qui signifie en arabe Espoir Espoir et en anglais Triste Triste. Parfois je suis Saad l'Espoir, parfois Saad le Triste, même si, aux yeux du plus grand nombre, je ne suis rien. » Son voyage n'a rien à envier à celui d'Ulysse, avec son lot de péripéties et d' « ennemis » aussi implacables que ceux d'
Homère sous des dehors civilisés et policés.
La dimension historique et sociale de ce roman est enrichie de fantaisie surnaturelle : le père de Saad Saad, qui trouve la mort au début du roman, apparaît régulièrement à son fils sous forme de fantôme pour lui prodiguer conseils et affection, émaillant ainsi le récit de dialogues savoureux. le grand point fort de ce roman est de nous donner à voir une période troublée, que pour ma part je connaissais mal, du point de vue des victimes, de manière concrète et en même temps universelle et imaginaire, comme une nouvelle Odyssée.
Le périple de Saad Saad permet de remettre en question les notions d'identité, d'appartenance à une culture, de frontière, et des droits fondamentaux, du rejet des immigrants.
J'ai aimé retrouver la patte d'
Eric-Emmanuel Schmitt, des réflexions philosophiques sous des mots simples : p. 142 « On croit fuir une prison alors qu'on emmène les barreaux avec soi. » et l'humour, qui transparaît malgré les drames et évite de sombrer dans le pathos : p. 214 « Bonjour, Papa, ça gaze dans l'au-delà ? »
Enfin, ce nouvel avatar d'Ulysse démontre une fois de plus que les mythes sont universels et que le pouvoir des histoires est immense. Une lecture à conseiller donc ! :-)