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Camille Schmoll (Autre)
EAN : 9782348041075
248 pages
La Découverte (05/11/2020)
3.88/5   16 notes
Résumé :
Pendant longtemps, les femmes ont été absentes du grand récit des migrations. On les voyait plutôt, telles des Pénélope africaines, attendre leur époux, sédentaires et patientes. Il n’était pas question de celles qui émigraient seules. Elles sont pourtant nombreuses à quitter leur foyer et leurs proches, et à entreprendre la longue traversée du désert et de la Méditerranée.
Fondé sur une recherche au long cours, menée aux marges de l’Europe, en Italie et à Ma... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Ce titre fanonien renferme une étude universitaire très soignée et extrêmement pertinente des migrations féminines trans-méditerranéennes dans la décennie 2010-2020. Contrairement à une idée reçue, la migration des femmes, même isolées, n'est pas un phénomène nouveau ; si elles sont environ autant que les hommes à prendre la route, celle-ci s'avère considérablement plus létale pour elles, et à chaque étape du trajet migratoire – terrestre, maritime, d'enfermement, de tri, de privation de liberté et de refoulement dans les divers camps qui caractérisent la frontière-marge mobile et diffuse de l'Europe – elles sont victimes de davantage de violences de toutes sortes qu'eux. Une longue enquête auprès de femmes africaines ayant traversé la Méditerranée et rejoint l'Italie ou Malte permet d'explorer à la fois les spécificités de la migration féminine et d'élargir la perspective des études migratoires dans leur ensemble, par trois stratégies : l'observation des « lieux-frontières » (que certains, depuis Michel Agier définissent « non-lieux »), le recueil des récits de trajectoires et les suivis des femmes migrantes souvent dans plusieurs pays au fil des années. Les apports théoriques récents de la sociologie et de l'anthropologie des migrations sont très opportunément utilisés, mais aussi ceux du féminisme intersectionnel, notamment pour réaliser une lecture des trajectoires qui, loin d'être uniquement victimaire, met à l'épreuve la notion d'« autonomie en tension ».
Après une Introduction qui rappelle les données du drame de la traversée de la tranchée maritime de l'Europe, qui définit les nouvelles notions de « frontière » et de « enclosure », qui remet en perspective historique la présence des Africaines en Europe méridionale, et pose la balise des années 2000 comme le « tournant humanitaro-répressif », le chapitre initial, « La vie de Julienne », ouvre l'étude en donnant (rendant) la parole à une seule personne dont le parcours, y compris pré-migratoire, peut être considéré emblématique.
Le ch. 2 « La longue traversée des migrantes africaines » déjoue nombre d'idées reçues notamment sur les motivations aux départs, sur la prétendue dichotomie entre migration forcée vs. volontaire, sur la supposée ignorance des dangers encourus, enfin sur la notion de migration autonome en particulier au regard de la traite et des réseaux de passeurs.
Le ch. 3 « Archipels de la contrainte : l'arrivée en Europe » aborde la multiplicité des « plateformes et dispositifs de tri » à Malte et en Italie : « hotspots », centres de rétention, centres d'identification et d'expulsion, et des dispositifs de prise d'empreintes digitales, de rapatriement, de relocalisation (des « dublinées »), etc.
Le ch. 4 « Dans la marge : les paysages moraux de l'accueil » se penche sur la typologie des centres d'accueil des demandeurs d'asile, la notion de « paysages moraux » étant à mettre en relation avec les délais d'attente de la procédure, qui comportent l'immobilisation, la dichotomie entre « logique de crise » et « logique d'urgence », et, dans cet enclavement-captivité, l'élaboration dialectique de « politiques de l'intime » (dialectique entre migrantes et institutions).
Dans le ch. 5 « Les échelles de l'autonomie : corps, espace domestique, espace numérique », est élaboré et testé le concept d'«autonomie en tension » : par la maîtrise de son corps (sexualité, maternité, grèves de la faim, suicides, etc.), par la tentative de maîtrise de son espace de vie (à l'intérieur/à l'extérieur), par les usages multiples et abondants de l'Internet. Ces trois échelles – au sens géographique passé lui aussi au tamis critique – permettent une « reconfiguration de l'intimité ».
Le ch. 6 « Ce que les migrations font aux femmes, ce que les femmes font aux migrations », s'occupe en particulier de la nécessité de revoir ou de mettre à jour les études sur les migrations : se départir de l'« illusion de la féminisation des migrations », « féminiser le regard », « repenser l'équation "migration féminine = émancipation" », « repolitiser les migrations, repolitiser le genre ».
Enfin la très intéressante Annexe méthodologique s'intitule : « L'ethnographie au temps de la frontière » : à travers l'analyse critique de sa propre méthodologie, la chercheuse pointe un certain nombre d'écueils que comportent les témoignages des migrants, surtout s'ils sont recueillis par le truchement d'un intermédiaire (ex. d'un traducteur), ceux des responsables des centres d'accueil et autres administrations, les suivis par les outils numériques s'ils n'ont pas été précédés de rencontres de visu.
Au-delà de l'intérêt que je porte au(x) sujet(s) traité(s), ce volume est un vrai exemple du point de vue méthodologique : justesse du dosage entre vulgarisation et rigueur scientifique, entre théorie et actualité, entre parole savante et parole des témoins, entre engagement éthique (pour ne pas dire militantisme) et distanciation du chercheur.
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51% des migrants internationaux sont des femmes. Et ce phénomène n'a rien de nouveau. Elles représentent également 30% des demandeurs d'asile en Europe. Pourtant, celles-ci sont bien souvent absentes des imaginaires sur la migrations, ou plutôt considérées comme des "suiveuses", qui partent avec leur famille ou pour rejoindre quelqu'un d'autre déjà sur place. Une erreur corrigée page par page dans cet essai très complet de Camille Schmoll, sur les pas de ces femmes du départ au point d'arrivée, du mouvement aux moments d'attente dans les camps en Europe. C'est un sacré tableau à brosser en quelques 200 pages : raisons qui poussent à migrer (et qui évoluent au fil du chemin), témoignages de femmes migrantes, faits sociologiques, vulnérabilité sur les routes de l'Europe, politique de l'intime dans les hotspots européens, résistances à différentes échelles... Un chemin de violence, aussi, avec des passages très durs, des faits effarants (75% des femmes nigérianes arrivées en Italie sont victimes de la traite d'être humains par exemple...), mais en tout cas une vraie pépite pour comprendre la spécificité des migrations féminines, ainsi que les oppressions qu'elles subissent d'un point de vue intersectionnel (donc en tant que migrantes venant du Sud ET en tant que femmes).

J'ai trouvé la balance entre vulgarisation scientifique, sources référencées et témoignages très juste également, même si je me demande s'il n'y a pas beaucoup de termes nouveaux, pas toujours nécessaires pour le propos, et qui peuvent rendre la lecture un peu plus ardue pour un ou une néophyte complet. Cela dit, c'est certainement un excellent ouvrage à mettre en toutes les mains.
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Un livre nécessaire, violent et triste à mourir ou à vivre , survivre plutôt dans des conditions inhumaines.
Il s'agit d'humains, d'humaines plutôt, encore que les hommes soient «  malheureusement » présents dans cet ouvrage.
Des femmes, toujours plus nombreuses font partie des migrants traversant la méditerranée ou parcourant des milliers de kilomètres pour rejoindre l'Europe et ses promesses de vie facile !
Ce livre, une post thèse étudiant de plus près la vie avant et après de ces femmes, qui ne sont ni des victimes ni des héroïnes, mais des femmes courageuses et volontaires qui ont décidé ou pour qui «  on »  a décidé que l'avenir, le leur et celui de la famille passait par une migration loin du pays.
Constats, analyses et points de vue s'entrechoquent pour donner au lecteur une vision plus réelle de leur situation que certains autres ouvrages déjà publiés .
Nous entrons également de plain pied dans les conditions d'admission ou de rejet des permis de séjour distribués, tardivement à ces femmes comme aux hommes sur des critères variés et variants !

Les termes nouveaux pour les non initiés, tel que Dubliner rend bien compte de la situation inextricable dans laquelle elles se trouvent.
Les contraintes a corps qu'elles subissent et les contraintes administratives qui s'y ajoutent sont épouvantables et expliquées de façon satisfaisante.

Merci à netgalley de m'avoir donné ce livre à lire.
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J'ai longtemps hésité avant de rédiger cette critique tant cette étude m'a bousculée ! Les damnées de la mer : bien sûr on perçoit tout de suite que le propos sera tout, sauf "délicat". Mais là, on atteint les sommets de l'inhumanité ! Je ne sais combien de fois j'ai failli renoncer, et puis j'ai vu à travers ces lignes la superbe maman éthiopienne dont les 6 enfants sont arrivés progressivement dans l'école que je dirigeais. J'ai alors mesuré que(s) prix elle avait dû payer pour parvenir à tous les retrouver. Damnée de la mer ? Je ne sais pas, mais damnée de part sa position de femme dans ce pays "des droits de l'homme" qui n'en a plus que le nom.
Je devrais remercier Camille Schmoll d'avoir su exprimer ce que j'ai crû comprendre plusieurs fois dans les yeux sombres d'Abeba.
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Lecture difficile de part le sujet abordé et le malaise qu'il suscite dans votre conscience humaine et citoyenne.
Toutefois, je vous invite à le lire pour sortir de votre point de vue et adopter celui de celles qu'on entend rarement : les femmes migrantes venues de l'autre côté de la Méditerranée.
L'autrice, géographe, a évidemment un propos scientifique dans cet ouvrage mais rend très accessible le propos de sa recherche.

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critiques presse (1)
LaViedesIdees
16 mars 2021
C. Schmoll invite à féminiser le regard porté sur la migration vers l’Europe.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
En mai 2014, par exemple, des personnes hébergées s’étaient insurgées contre la dégradation des conditions d’accueil : suspension de l’argent de poche quotidien (d’un montant de deux euros cinquante) ; retrait du service de navette pour la gare ; rationnement du savon ; réduction des portions alimentaires, consistant essentiellement en du riz et des œufs.

L’un des insurgés s’était cousu les lèvres. D’autres s’étaient enfermés dans le centre et avaient empêché les employés d’en sortir, jusqu’à l’intervention musclée de l’armée…
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1. « La marge est un laboratoire, un lieu d'expérimentation politique et de mise en scène de la. souveraineté de l'Union européenne : aujourd'hui, on a délégué la gestion des flux migratoires à certains pays du sud de l'Europe – et en particulier aux îles – en pratiquant une forme de sous-traitance du filtrage migratoire à l'intérieur même des frontières de l'UE. […]
Pour les femmes migrantes, ces marges sont un laboratoire politique. À l'instar de ce que nous suggèrent les féministes intersectionnelles, qui s'attachent à l'articulation des différents rapports de pouvoir et aux subjectivités qu'ils produisent, on peut considérer les marges tout à la fois comme des lieux d'oppression et de transformation. Dans ce livre, je décrirai les marges comme les lieux d'une activité morale intense, qui socialisent les femmes à leur "devenir subalterne", mais qui peuvent également être des lieux d'espoir, de déploiement de nouvelles solidarités et de formes de lutte, bref, de résistance. » (p. 24)
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4. « J'ai ainsi eu, à plusieurs reprises, l'occasion d'entendre les sarcasmes des personnels sur la sexualité irresponsable et débridée des Africaines : "On ne sait pas trop de quoi elles sont capables, jusqu'où elles peuvent aller", me dit un travailleur social. D'autres, à l'inverse, soulignent leur incapacité à "se défendre des hommes de leur groupe" – sous-entendu les souteneurs africains. L'essentialisation et l'infantilisation ainsi opérées participent en creux à la construction d'un stéréotype de la migrante méritante et chaste. Tantôt victimes, tantôt putains, tantôt victimes et putains, les femmes font l'objet d'une intense stigmatisation, au croisement de la "race" et du genre. De telles anxiétés renvoient au registre de l'"humanitarisme sexuel" […] à savoir un mode de gouvernement des migrations qui articule la sexualité et le genre pour construire, hiérarchiser et ordonner les vulnérabilités. » (p. 146)
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3. « Le problème n'est donc pas toujours pour les femmes, nous semble-t-il, celui de savoir ce qui les attend, quand bien même ce savoir est toujours partiel et fantasmé, et ne correspond pas à un vécu direct. […]
Par ailleurs, les femmes n'ont pas toujours grand-chose à perdre. Et si la route est longue, la promesse d'un autre horizon est savoureuse. Il y a quelque chose de l'ordre d'une poussée à l'autonomie que les entreprises de découragement et d'immobilisation parviennent difficilement à retenir. C'est précisément dans cette tension entre "mortification", "humiliation", "traitement inhumain", "dégradation" et "chance", "aventure" ou "destin" que la trajectoire migratoire est vécue, ou du moins qu'elle m'est restituée dans le côtoiement d'expressions pourtant antonymiques.
Le savoir migratoire peut dans certains cas devenir un véritable pouvoir, et ce n'est pas la moindre promesse parmi celles que contient la migration : on espère pouvoir tirer un jour profit des ressources symboliques, économiques et légales accumulées au fil de l'expérience migratoire, pour en obtenir des bénéfices ou en faire profiter les autres. » (pp. 81-82)
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2. « Une étude récente menée en France auprès de femmes migrantes […] montre à quel point la complexité du trajet influe sur la probabilité de subir des violences physiques ou sexuelles en route. Cette étude parvient également à un autre résultat : les femmes qui ont eu des trajets migratoires longs et difficiles, quel que soit leur pays d'origine, sont souvent celles qui avaient déjà subi des violences avant leur départ. Il y a donc, en quelque sorte, une forme de cumul des violences au long de la route migratoire, cumul qui malheureusement ne cesse pas à l'arrivée en Europe. À l'instar de cette étude, les témoignages que j'ai recueillis croisent violences sexuelles et autres violences physiques, violences morales et symboliques, violences genrées et violences non genrées. » (pp. 59-60)
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Vidéo de Camille Schmoll
Samedi 1er octobre 2022 "La mer est un désert" avec Michel AGIER, anthropologue (Ehess et IRD), Éric FOTTORINO, écrivain et journaliste, Camille SCHMOLL, auteur, animé par Étienne AUGRIS, professeur d'Histoire-Géographie et auteur pour l'Eléphant
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