Ugo Palheta est sociologue et maître de conférence en sciences de l'éducation. Basé sur une bibliographie très fournie, son essai évoque la possibilité de l'avènement d'un régime fasciste de nos jours. C'est sans doute, à ce jour, l'un des essais les plus rigoureux sur le sujet, l'un des plus lucides, l'un des plus clairs aussi.
Il ne s'agit ni d'un traité théorique sur le fascisme ni d'un livre d'enquête sur l'extrême droite contemporaine. L'auteur renvoie dos à dos les approches philosophiques d'une trop grande généralité et les approches historiques qui singularisent à l'excès chaque variété de fascisme. L'objectif du livre est de cerner le péril fasciste qui menace notre époque. Dès les premières pages, l'auteur nous précise en effet que le fascisme doit être considéré « non comme une hypothèse abstraite mais comme une possibilité concrète ». Ici et maintenant.
Face au virage ultra-autoritaire des derniers gouvernements (
Sarkozy, Hollande, Macron), à la résurgence de problématiques xénophobes, antisémites et/ou islamophobes, il semble en effet plus que pertinent de s'interroger sur les conditions de possibilité d'un régime fasciste de nos jours. Il serait a contrario totalement irresponsable de refuser d'examiner les liens entre l'extrême-droite actuelle et le danger fasciste.
Le sociologue propose donc, dans cet essai, d'établir une définition minimale du fascisme et de voir en quoi celui-ci serait possible en France aujourd'hui.
CHAPITRE I le retour (du concept) de fascisme
Premier constat, la conceptualisation du fascisme s'est globalement délitée depuis la chute des régimes fascistes en Europe. La raison étant qu'on pense en avoir fini avec ce genre de régime. Cela rend nécessairement plus difficile l'analyse de ce phénomène et compromet notre capacité d'anticipation d'un tel désastre.
Autre fait qui vient brouiller encore un peu plus la réflexion : le consensus académique et médiatique autour de la catégorie de populisme.
Ugo Palheta fait observer que cette notion joue le même rôle confusionniste de mise en équivalence entre l'extrême droite et la gauche radicale que le concept de totalitarisme du temps de la guerre froide.
Fondé principalement sur une vague accusation de démagogie, on voit mal comment une telle définition qui s'applique à un ensemble excessivement vaste de phénomènes politiques pourrait permettre des distinctions utiles. Et l'auteur n'a pas de mal à montrer combien cette notion est aussi incertaine qu'instable ; « en réalité, personne ne sait véritablement de quoi le populisme est - ou pourrait être – le nom ».
Définir le concept de fascisme
Selon l'auteur, le fascisme se définit à minima comme « un mélange d'ultra autoritarisme et de nationalisme extrême, toujours couplée à la xénophobie et généralement au racisme »
S'arrêter à la seule dimension autoritaire constituerait en effet une erreur certaine. Ce n'est assurément pas la même chose de se battre contre un état fasciste ou contre un état libéral, même en voie de durcissement.
Le sociologue dénonce les usages caoutchouteux du concept de fascisme. Lorsqu'on assimile le néolibéralisme autoritaire au fascisme, c'est à l'évidence une utilisation polémique. On est bien loin de la précision analytique.
Point important donc, et qui rend à l'essai sa particularité (ou plutôt sa précision scientifique), c'est le refus de considérer l'actuel gouvernement LREM – qui surpasse indéniablement nombre de gouvernements passés en matière de répression physique et idéologique de la contestation – comme un pouvoir fasciste émergent, ou en puissance. Dans le cadre d'une enquête rigoureuse sur
la possibilité du fascisme, il ne nous est pas permis de confondre état autoritaire et fascisme. Alors qu'on pouvait s'attendre, au vu du titre, à une critique des dérives fascisantes de l'actuel gouvernement,
Ugo Palheta met les point sur les i et confirme qu'il faut distinguer LREM et FN. Aussi, le dernier chapitre sera-t-il exclusivement réservé au Front National.
Le sociologue estime qu'en qualifiant LREM de gouvernement fasciste, on oublie certains traits fondamentaux du fascisme : « la suspension des libertés politiques et civiles, la destruction par la violence de toute opposition et de tout contre-pouvoir, ou encore l'épuration de l'État… ».
A vrai dire, comme le rappelle l'auteur, il n'est nul besoin d'invoquer le concept de fascisme pour critiquer les dérives autoritaires du capitalisme. Une bonne façon de nous permettre d'éviter le point Godwin, ce fameux point où on se lance dans des comparaisons avec le fascisme dès lors que nos arguments n'arrivent pas à s'imposer...
En tout état de cause, ne pas qualifier LREM de fasciste n'empêche nullement de le critiquer en terme d'autoritarisme.
L'auteur insiste sur la dimension idéologique du fascisme : « un mouvement de masse qui prétend oeuvrer à la régénération d'une communauté imaginaire par la purification ethno-raciale, par l'anéantissement de toute forme de conflit social et de toute contestation (politique, syndicale, religieuse, journalistique ou artistique) […] une terreur combinant l'étatique et l'extra étatique, les appareils répressifs d'État et la mobilisation de secteur de la population en relais au sein de milice de masse ».
C'est cette dimension idéologique qu'a clairement sous-estimé la critique marxiste. Celle-ci a en effet développé une conception instrumentaliste qui empêche de saisir la complexité et l'autonomie du fascisme. Dans cette optique le fascisme est réduit à un simple outil manié par la classe capitaliste ou une fraction de celle-ci. Il constituerait ainsi un phénomène purement réactif dont le seul but est de mater le mouvement ouvrier.
Toutes les études historiques invalident ce point de vue instrumentaliste et insistent sur le rôle central de la petite bourgeoisie en déclin, mais aussi sur son caractère multi-classiste.
L'auteur tient donc à souligner le dynamisme propre au fascisme et l'autonomie relative de l'instance politico-idéologique afin de ne pas sous-estimer le rôle éminent joué par le nationalisme et le racisme.
Il importe de ne pas nier la puissance des idéologies qui peuvent s'emparer des masses et devenir « une force matérielle » selon le mot de Marx.
L'image d'Épinal (instrumentaliste) qui prévalait dans la critique marxiste est malheureusment persistante : la bourgeoisie aurait eu recours au fascisme lorsque la situation sociale lui semblait explosive. En désespoir de cause elle se serait alors résolue aux méthodes violentes qu'elle réservait jusque-là aux colonies.
Mais, comme le fait remarquer intelligemment l'auteur, si on accepte cela, c'est, compte tenu de la faiblesse actuelle du mouvement ouvrier et de la gauche révolutionnaire, nier le danger du fascisme contemporain.
Résumé complet sur le Blog Philo-Analysis.
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