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Francois Sebbah (Autre)Alberto Romele (Autre)
EAN : 9782378964092
240 pages
Les Presses du réel (27/10/2023)
3.88/5   4 notes
Résumé :
Déconstruire et s'interroger sur les images qui découlent du numérique et des technosciences : regards portés sur les imaginaires qui habitent les réalités technoscientifiques, transformant ainsi notre rapport au monde, fermant ou ouvrant l'avenir.
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Je ne saurais trop condenser ces différents récits déjà denses par eux-mêmes ; par la nature technologique du livre je me sens légitime à l'enrichir de mon imaginaire. Très tôt me sont venues deux questions antinomiques. Sans l'écriture Platon aurait-il pu nous transmettre son Socrate et du même coup entrer lui aussi dans l'histoire, transformant sans retour notre réalité ? Albert Einstein muni d'un smartphone et connecté à ChatGPT aurait-il eu l'esprit suffisamment libre pour rêver enfourcher un rayon de lumière, monter dans des trains à sa poursuite ou entrer dans un ascenseur lâché dans le néant, aurait-il eu le temps d'explorer la nature du temps et de créer la théorie de la relativité accaparé par les réseaux sociaux ?


Plus fondamentalement je m'interroge sur la possibilité de raisonner à propos d'un quelconque imaginaire, toute tentative de rationalisation à son sujet ne conduit-elle pas de facto à lui rogner les ailes, à se couper de son essence, à l'amputer de sa nature profonde ? Vouloir toucher la réalité intangible de l'imaginaire par le raisonnement me semble ainsi une quête illusoire passant à côté de sa dimension intuitive intrinsèque. D'où donc émergent ces imaginaires capables de tordre, de changer, d'augmenter la réalité qui aura permis leur éclosion ? Encore faut-il s'interroger sur le concept même de réalité, soumise et générée par nos imaginaires, factuellement affectée par les technologies développées par les humains.


Ainsi donc nous nous baladons à travers des imaginaires collectifs que nous ne pouvons qu'altérer par notre propre imaginaire dans une réalité changeante en interactions avec nos technologies. Ces imaginaires sont multiples à la fois susceptibles de tronquer nos visions (plurielles) du monde (que nous tenons néanmoins pour univoques) si nous ne prenons conscience de leur existence, mais aussi capables de nous amener à découvrir des facettes ignorées d'un réel que nous aimerions tant appréhender dans sa globalité alors que nos imaginaires génèrent en lui, par l'intermédiaire des technologies dont ils ont permis l'éclosion, des changements profonds et souvent irréversibles.


Ces imaginaires ont-ils la possibilité de se multiplier à l'infini ou contiennent-ils les germes à une concentration que pourraient favoriser les technologies sans cesse plus puissantes et impactantes ? Marqués de façon indélébiles par le mythe de Prométhée, nombreux parmi les hommes sont ceux à se projeter en demi-dieux adoubé d'amener le feu sacré au reste de l'humanité trop contente d'accepter à bras ouverts leurs créations, quel qu'en soit l'utilité ou la nuisance, par une irrationnelle addiction à la soumission volontaire. Les technologies semblent ainsi vouées à continuer à se multiplier par la volonté de quelques-uns et l'engouement irréfléchi (dans le sens d'une adoption pour le simple plaisir de la nouveauté) du plus grand nombre, insensibles par elles-mêmes au bien ou au mal, concepts encore plus intangibles et changeants que celui de réalité.


En poursuivant mes réflexions, j'ai peur de vous perdre, alors peut-être devrais-je passer par le biais d'un expérience de pensée à titre exemplatif de la puissance de l'imaginaire sur le réel. Prenons le cas de l'eau, élément pour lequel un consensus existe de le qualifier, mais il suffit de quelques modifications de variables externes (la pression ou la température) pour que soudain nous ayons l'impression d'avoir affaire à quelque chose de différent, sentiment renforcé en le nommant glace ou vapeur, or il s'agit bel et bien d'un même élément dans lequel nous pouvons nous mouvoir lorsqu'il se trouve à l'état liquide ou de gaz. ; de là à imaginer pouvoir pénétrer dans les solides, grâce à une technologie nous permettant de changer localement leur état... Et soudain le vide, qui constitue la majorité des solides comme de l'univers, prend pour ainsi dire une nouvelle réalité pleine d'opportunités. Pourrions-nous imaginer notre cerveau contrôler chacun des atomes de notre corps et leur appliquer les lois de la mécanique quantique avec l'aide d'une technologie à définir ouvrant le champ des possibles ?


Mais il me faut conclure et le but de ce billet était surtout de montrer, que même si l'ambition des auteurs de ces textes, d'un abord parfois ardus et difficiles d'accès par l'utilisation d'un jargon par trop spécifique et les références récurrentes à des ouvrages connus uniquement dans un petit cercle spécialisé, était de formater la pensée du lecteur et par l'utilisation d'une technologie spécifique, ici celle de l'écriture et du livre, d'étendre leur perception d'une réalité voire d'implanter de nouveaux mythes dans l'inconscient collectif, il pourra toujours surgir un esprit disruptif venant par son propre imaginaire ouvrir les portes d'une réalité jusqu'à là ignorée. Il y aura toujours quelqu'un pour détourner l'usage du tournevis afin d'ouvrir une boite de peinture.


Alors le principal intérêt de ce livre ne serait-il pas, par des moyens inconscients, de nous ramener au choeur de l'émerveillement et du questionnement philosophique propre à l'humain à travers le temps ? Si tel est le cas, indépendamment de la volonté initiale des auteurs, car le livre fini par vivre sa propre vie, alors indiscutablement cette lecture développera votre imaginaire et changera votre rapport au monde.


Me reste à remercier Babelio et La grande collection ArTeC des presses du réel pour leur envoi dans le cadre de la dernière masse critique non fiction et à me préparer à profiter des bienfaits de la neuronavigation pour cette nouvelle opération au cerveau qui elle n'a rien d'imaginaire.
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Ouvrage reçu dans le cadre de Masse critique !
Neuf contributions autour de cette « force productive qui mène une réalité technique » à son existence .
Dans la première contribution, l'auteur parle du philosophe grec Castoriadis, pour lequel l'imaginaire est la capacité de l'être humain à créer un monde de sens. Ce philosophe considère que la technoscience remplace la religion « en fournissant une illusion de maîtrise et de toute-puissance ».
Dans la deuxième contribution, l'autrice évoque les nanotechnologies qui effacent « la frontière entre la matière, le vivant et l'information ». Elle cite Simondon et son concept de « technophanie », mise en scène de la technique pour lutter contre « l'ostracisme qui frappe les objets techniques dans la culture ». Selon elle, les bionanotechnologies reprennent « l'imaginaire de la frontière », exploration infinie des limites de la nature.
Dans la contribution suivante, Simondon est encore cité, mais plutôt à contre-exemple. Xavier Guichet s'attarde sur l'expérience du professeur Duclos-Vallée qui s'inquiète de la vision d'organes constructibles à l'infini qui ferait perdre à l'humain la conscience de sa mortalité. Il pense comme Heudegger que « La machine se détraque et doit être réparée, le cas échéant par le remplacement des pièces défectueuses, l'humain fait l'épreuve de sa condition mortelle. » A l'opposé, dans les années 60, Ettinger, a une conception du corps-machine avec des techniques pour rajeunir l'organisme et stopper le vieillissement.
Dans la contribution suivante, on trouve une description intéressante de Stiegler sur la mémoire humaine, définie comme une mémoire « organologique » et pas seulement organique car liée non seulement aux organes biologiques, mais aussi aux relations entre des individus et des techniques.
Cléo Collomb propose elle d'utiliser Search clear, qui permet de se rendre compte de la nature réticulaire du Web grâce aux graphes, et non plus en passant par les filtres du navigateur et du moteur de recherche. Search clear est en outre pertinent pour son entrée sur Internet à partir d'un centre d'intérêt.
Après une contribution de Romele consacrée aux IBI et à leur représentation anesthétique de l'intelligence artificielle, l'article de Maurizio Ferraris est mon coup de coeur. Prenant comme définition le travail comme l'acte d'un organisme capable de produire de la valeur avec un appareil technique, et considérant que le principal actif des plates-formes est constitué des données des utilisateurs, produisant de la valeur par le biais du travail numérique, il rappelle que si l'humanité disparaissait, le Web disparaîtrait pratiquement aussitôt par « manque de sens », puisque l'humain est le seul à s'intéresser justement aux services du Web. Résolument optimiste, il considère qu'il y a une dépendance croissante de l'automate à l'égard de l'âme, et que « plus l' automatisation se développe, plus les machines deviennent dépendantes des humains ». Il considère même que la consommation peut être considérée comme un travail au même titre que la production puisqu'elle a toujours été productrice de valeur ajoutée. Sa proposition est donc de redistribuer la richesse des plateformes en lançant un welfare numérique ou plutôt un « webfare ».
Pour finir, la dernière contribution, drôle et poétique, alterne annonces immobilières et réflexions autour d'une question : « le téléphone, nouvelle machine à habiter ? ».

En somme, cet ouvrage souvent âpre, parfois incompréhensible aux non-initiés, fait un panorama des techniques contemporaines et à venir, des organes artificiels à l'intelligence artificielle, des téléphones portables à la recherche, citant souvent la référence ultime, l'ethnologue André Leroi-Gourhan.
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Comme l'introduction le précise, la notion d' « imaginaire technologique » ne se laisse pas définir de manière figée et/ou simpliste. Ainsi, ce sont neuf voix qui proposent leur manière d'appréhender cette notion en s'opposant, en se complétant ou en déconstruisant, mais toujours en s'interrogeant sur les images qui découlent du numérique et des technosciences. L'ensemble est très riche et grandement documenté. Aussi, la lecture de cet essai nécessite des prérequis pour bien appréhender tous les enjeux. Enfin, l'ensemble nous questionne sur notre propre rapport à la technique et au monde en général, à la confiance ou à la défiance que l'on peut avoir envers les machines.

Ainsi – je paraphrase pour donner une brève vue d'ensemble –, dans la première contribution Fabrizio Defilippi s'appuie sur Castoriadis pour questionner le lien entre imaginaire, technique et avenir. Puis, Bernadette  Bensaude-Vincent, dans la deuxième contribution, convoque Bachelard, entre autres, et s'interroge sur la question du rapport entre l'imaginaire et le rationnel. Dans une troisième contribution, Xavier Guchet, s'interroge sur les imaginaires de l'ingénierie des organes en s'appuyant principalement sur Simondon qui avait un sentiment négatif à l'égard des imaginaires de la technique. Anne Alombert, dans la contribution suivante, insiste sur notion d' « intelligence artificielle » comme « grand mythe de notre temps » et nous interpelle sur nos manières d'appréhender les machines qui nous entourent car affectant et transformant nos capacités d'apprentissage, de réflexion, de pensée. Elle pointe donc du doigt les bouleversements profonds (notamment psychiques) provoqués par l'avènement de la technique depuis la seconde moitié du XXème siècle. Dans une cinquième contribution, Cléo Collomb, en s'appuyant sur le cas d'Aleph Search Clear (copies d'écran pour illustrer son propos), s'interroge sur notre rapport au Web en termes d'écriture et de graphe. Puis, Alberto Romele, dans la sixième contribution, part du principe qu'il existe une tâche aveugle, un Punctum cæcum, dans l'ethique de l'IA, et développe autour des images IBI et de leurs enjeux (leur représentation anesthétique de l'intelligence artificielle, etc). Dans la septième contribution, Maurizio Ferraris (traduit par Alberto Romele et François-David Sebbah) s'appuie sur le webfare et ses fondements philosophiques et insiste sur le fait que « plus l' automatisation se développe, plus les machines deviennent dépendantes des humains ». Pierre-Damien Huyghe se réfère quant à lui aux philosophes des Lumières pour circonscrire la notion d'imagination. Enfin, Pierre Cassou-Noguès et Gwenola Wagon, dans la neuvième et dernière contribution, proposent, sous couvert d'humour à travers l'exemple du smartphone, une virée à travers SeLoger.com et la manière dont les visiteurs « fantasment » leur visite virtuelle d'appartements.

Un ensemble riche et hétéroclite, intéressant voire passionnant, mais parfois difficile à saisir en fonction des intervenants.
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