Désormais ils pourront faire face ensemble à la brutalité de ce monde qui ne dit jamais son nom et qu'ils subissent pourtant depuis tant d'années avec la même violence : l'insignifiance.
Tout commence obligatoirement par une image. L'image qu'elle va donner d'elle. (...)
C'est ça. Marquer en bien celui qui a le pouvoir de lui donner du travail. (...) Belle pour le travail. (...) elle sent bien qu'elle doit trouver la bonne mesure entre ces deux états. (...) Pas trop sobre et pas trop extravagante. Pas trop grise et pas trop colorée. Pas trop invisible et pas trop visible. (p. 75)
Jamais Edmonde n’aurait pu imaginer jeter sa petite-fille dans un néant où le travail des mains n’aurait plus aucune valeur. Impossible pour une femme qui avait traverser le XXe siècle de prévoir une telle désolation malgré tous les coups portés aux ouvriers dont elle témoignait dans un petit carnet de moleskine noir que Reine avait bien pris soin de déposer dans son cercueil. P 55
En s’enfuyant, la nuit ne laisse plus derrière elle qu’une sorte de laitance grisâtre. « Tout finit dans l’absence et le silence absolu du monde ». Ça lui arrive parfois d’avoir des phrases qui lui viennent. Pas des phrases du dedans, des phrases du dehors qui s’encastrent en elle. Loin de la calmer, la phrase excite encore davantage une chose monstrueuse qui ne l’a pas laissée tranquille toute la nuit. P 11
Une idée que l'abondance ne pouvait pas être raisonnable, qu'elle devait être démesurée. Et qui peut inventer ça, à part des pauvres?
(A la recherche du sixième continent de Lamartine à Ellis Island, relation de voyage.)
(…) ce n’est pas parce que l’on n’arrive pas à mettre à exécution un rêve que le rêve ne vaut rien ou que le rêveur ne vaut pas grand-chose non plus.
S’il y a une image de New York que je retiendrai, c’est celle de ces sacs-poubelle en plastique noir, énormes, bourrés de déchets qui passent une grande partie de la nuit dehors et qu’à ma connaissance les cinéastes ne montrent jamais.
Pourquoi la modestie devrait-elle toujours être la vertu des pauvres ?.. Il faudrait que les pauvres se contentent de la joie d'être en vie.
Suivi de "A la recherche du sixième continent de Lamartine à Ellis Island - relation de voyage"
Si les cathédrales ont été construites avec l'espoir d'atteindre au plus près l'orteil de Dieu, les gratte-ciel ont une toute autre fonction. Seulement voilà, pour oser ce défi, il faut en avoir fini avec Dieu ou l'avoir remis à sa place. Il faut soit avoir débarrassé le ciel de toute mythologie, soit l'avoir repoussée aux confins de l'Univers. Plus je regardais les gratte-ciel, plus j'avais l'impression que la première grande conquête de l'espace n'avait pas été faite par les fusées, mais par les bâtisseurs d'immeubles.
New-York, malgré sa Cinquième Avenue, m'apparut alors être la plus grande ville de pauvres du monde, la seule entièrement faite par des pauvres, construite par des pauvres et même rêvée par eux. (p. 232)
La mère de Reine s'était enfoncée très tôt dans la lecture, transformant sa vision du monde et de la nature humaine en lisant dès l'âge de quinze ans Les chants de Maldoror et Les fleurs du mal.