Elle n'a jamais rien voulu d'autre dans sa vie que d'être emportée le plus loin possible tout en restant sur place.
Le monde avait encore plus changé que du temps d'Edmonde, se dit Reine, on ne tue plus à bout portant les pauvres qui se rebellent. Aujourd'hui on les tue en les abandonnant, en les affamant, en les oubliant.
L'étourneau jase, la mésange zinzinule,
l'alouette grisolle, la caille carcaille,
la bécasse croule, la huppe pupule,
la buse piaule, la tourterelle gémit,
le canard cancane, la chouette chuinte,
le hibou bouboule , le serin ramage,
la cigogne craquette, la colombe roucoule,
le jars jargonne, le corbeau croasse,
la corneille corbine,, le rossignol gringotte ou
quiritte
Au fond, elle n'a rien voulu d'autre dans sa vie qu'inventer le paradis, sans pour autant l'étendre à toute la terre comme sa communiste d'Edmonde le lui avait appris; Reine voulait seulement l'inventer dans sa maison. Peut-être l'étendre jusqu'au jardin. Ca lui paraissait raisonnable. Plus réalisable que le paradis sur terre. (p. 66)
Elle est une mendiante. La semaine dernière, elle a dû demander une aide pour la cantine à la mairie. Elle n'y arrive plus, même si elle a arrêté de fumer. Jusque-là, elle avait toujours mis un point d'honneur à la payer. S'assurer que ses petits sont bien nourris au moins une fois par jour, et que ce repas c'est elle qui le règle.
Son corps ne sait plus que s’engourdir dans le malheur. Si seulement elle pouvait crier, ça finirait bien par sortir d’elle. Peut-être que sa bouche est trop petite pour contenir un cri si grand.
C'est toujours impressionnant de remarquer -du moins dans mon cas- le peu de choses que l'on retient des livres lus et notre incapacité à reconnaître, à repérer, tout ce que ces mêmes livres ont déposé en nous comme sédiments. C'est à la fois un mystère et un miracle. Pourvu que ces livres, une fois que je serai mort, remontent à la surface et viennent de l'intérieur tatouer ma peau de parchemin bien plus que la nicotine des cigarettes.
Elle n'a jamais rien voulu d'autre dans sa vie que d'être emportée le plus loin possible tout en restant sur place.
Si elle ne savait pas pourquoi elle était entrée ici, le regard de cet homme, si beau, blessé à la poitrine et couronné d'épines, suffit à donner un sens à sa transgression. Elle eut la nette impression d'avoir attendu le regard de cet homme toute sa vie. Un regard sans jugement, sans inquiétude et d'une infinie bonté. Même encore aujourd'hui, elle n'a jamais croisé un tel regard. C'est peut-être ce qu'elle attend sans le savoir, un regard qui ne serait pas un regard de désir, plutôt un regard qui la soulèverait jusqu'à elle-même, jusqu'à lui faire croire en elle.
De sa fenêtre, elle mesure pour la première fois de sa vie le poids du silence, le vrai silence, celui sans le chant des oiseaux. C'est implacable. Floconneux. Sourd. Dedans comme dehors. Une impression de tombe.