C'est d'abord une idée visionnaire. Folle, pense sa femme, son père et toute la sainte famille. Tous le regardent de travers car investir dans un lopin de terre pour y édifier, non seulement une manufacture, mais aussi une cité ouvrière avec école, église, hôpital, théâtre, terrains de sport, c'est, pense-t-on un concept extravagant. Pas tant que ça. En Lombardie, et dans toute la Ligurie existent déjà des villages d'ouvriers, notamment dans le commerce du chanvre. Cependant, le rêve de Cristoforo Crespi est plus grandiose : il offre à ses employés les commodités, et aussi les loisirs, auxquels les ouvriers n'accèdent jamais. Certes, les ateliers de confection et l'usine côtoient les habitations. Mais les maisons familiales ont un jardin, on édifie aussi un cimetière. L'architecture apporte une esthétique et une fonctionnalité évidemment tournée vers le travail. Mais pas que. Les innovations de l'époque, l'espace des appartements, les aires de jeux pour les enfants, la scolarisation jusqu'à 8 ans, la prise en charge médicale sont exclusivement conçus pour l'usage des familles. Nous plongeons dans une époque folle où l'industrie bat son plein, dans une région qui a brillamment relevé le défi et devient l'une des plus illustres entreprises de filature de coton au monde. On s'attache aux personnages qui nous deviennent, à ce point familiers, qu'il semble que nous marchons à leurs côtés, le matin, pour aller bosser. Nous suivons les soubresauts de la famille Crespi qui surmontent, bon nombre de tempêtes, et traversons le siècle emporté par ce récit haletant. Quand la dernière page se tourne, on rechigne à les quitter. Car chaque personnage a parfaitement joué son rôle : à force de rage et d'amour, ils nous ont fait partager le rêve de Cristoforo Crespi. Et c'est une sacrée aventure.
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