On peut se poser au moins deux questions simples à propos de l'histoire ;
1 - à quoi sert cette discipline ?
2 - l'histoire se répète-t-elle ?
Si l'on répond par l'affirmative à cette deuxième interrogation, on donne en même temps la réponse à la première, car s'il est vrai que l'histoire peut se répéter elle est donc une discipline nous permettant de mieux comprendre le présent et même de l'anticiper. L'histoire serait donc un moyen d'éclairer notre époque, d'y donner un sens afin d'éviter que ne se répètent des évènements néfastes pour l'humanité. Il ne faut pas oublier bien sûr les autres avantages qu'apporte l'étude de l'histoire, elle répond à des questions philosophiques sur la nature de l'homme, les lois de l'économie ou les relations sociales. L'histoire est aussi un moyen de distraction. C'est dans cet état d'esprit que j'aborde l'histoire. La lecture d'un livre tel que celui de
William Shirer « Le troisième Reich » est particulièrement éclairante pour réfléchir à des évènements qui se déroulent aujourd'hui.
L'auteur est un historien et journaliste américain (1904-1993) spécialiste de la Seconde Guerre mondiale. Il a assuré, en tant que correspondant de presse puis de radio, la couverture des annexions nazies de 1938-1939 et du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale depuis Berlin même. C'est dire qu'il sait de quoi il parle, car il a été témoin de nombreux évènements et à côtoyé les acteurs de cette période. Après la guerre il a couvert le procès de Nuremberg.
Sur la base de ses souvenirs personnels, de son journal, mais aussi après avoir dépouillé les archives confidentielles du gouvernement allemand et de ses principales administrations, il a rédigé cette monumentale histoire du « Troisième Reich » en deux volumes de 800 pages chacun. Il m'a fallu 9 jours pour venir à bout du premier volume que je commente ici, mais je ne me suis jamais ennuyé et je n'ai sauté aucune page, j'ai même lu avec profit les notes de bas de page. le récit est très prenant et les nombreux détails que donne l'auteur ne réduise pas l'intérêt du lecteur, mais au contraire le relance. Ce premier volume est consacré aux débuts d'Hitler jusqu'à son ascension incroyable au sommet de l'État. Il nous montre comment un homme d'extraction modeste, qui se croyait artiste, peu courageux physiquement et sans grand talent autre que celui d'orateur et de propagandiste est parvenu à se hisser au plus haut niveau de la politique. Ses méthodes : le mensonge, la haine, la rage, l'ambition, la volonté inébranlable d'humilier tout ce qui ne représente pas à ses yeux la supériorité de la race aryenne. Dès ses débuts il prend conscience que c'est par la parole qu'il pourra convaincre, quelles que soient ses idées. Dans Mein Kampf, il écrit : « Depuis des temps immémoriaux, les avalanches religieuses et politiques de l'histoire ont toujours été déclenchées par la même force et par elle seule : la puissance magique du verbe ».
Traumatisé par la défaite de 1918 il a ensuite déployé toute son énergie pour se venger et attribuer les raisons de cette défaite notamment aux juifs. Une forte humiliation qu'elle soit justifiée ou non peut provoquer des représailles bien des années plus tard, on pourrait citer d'autres exemples.
Ce que j'ai retenu d'essentiel :
Le parti nazi a été financé par de nombreux hommes d'affaires, des sociétés, des banquiers qui voyaient un certain intérêt à museler les syndicats et les revendications ouvrières, quelques uns toutefois s'opposèrent aux idées d'Hitler.
Hitler n'était pas Allemand, mais Autrichien.
L'incendie du Reichtag était un acte terroriste organisé par les nazis dans le but de l'imputer aux communistes.
Le 14 juillet 1933, Hitler fait une loi interdisant la constitution de partis politiques opposés au parti nazi, il supprime ensuite les syndicats et les conventions collectives.
Le régime d'Hitler utilise un vocabulaire spécifique, ainsi le terme « éduquer » signifie « intimider », Hitler aime aussi falsifier l'histoire et la reconstruire pour servir ses intérêts (lire "1984" d'Orwell).
Hitler tout au long de son parcours politique et ceci jusqu'au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale n'a cessé de faire des discours sur la paix qu'il prétendait souhaiter plus que tout le monde alors qu'il donnait dans le même temps des instructions à son armée pour préparer l'invasion de l'Europe : « L'Allemagne est prête à signer tout pacte solennel de non-agression, car elle ne songe pas à attaquer, mais seulement à acquérir la sécurité » (page 276).
Dans les rares moments où le peuple allemand était consulté par un plébiscite Hitler obtenait 90 % des voix malgré les assassinats dont il était responsable et malgré ses innombrables violations de la constitution.
Le 10 mai 1933 soit 4 mois après qu'Hitler fut devenu chancelier, des milliers d'étudiants nazis vinrent brûler en place publique des milliers de livres d'auteurs tels que Zweig, Einstein,
Thomas Mann,
Jack London, Wells,
Zola,
Proust etc.
L'auteur présent à Berlin pendant cette période écrit « Qui n'a pas passé des années dans un pays totalitaire ne peut imaginer combien il est difficile d'échapper aux terribles conséquences de la propagande » (Page 327).
Hitler souhaitait étendre son espace vital et a méthodiquement organisé l'agression des pays voisins de l'Allemagne sous des prétextes fallacieux (Il prétendait que les populations germanophones subissaient de nombreux attentats). Parallèlement et pour tromper tout le monde, Hitler enchaîne les discours sur la paix.
Voici la chronologie de ces conquêtes territoriales :
1938 — L'Anchluss (réunification de l'Autriche avec l'Allemagne)
1938 — Annexion du territoire des Sudètes (sous le couvert d'une opération de libération des Allemands opprimés) puis de toute la Tchécoslovaquie avec le blanc-seing de l'Angleterre et de la France (accord de Munich qui décide du sort de la Tchécoslovaquie sans que le président tchèque puisse assister aux négociations).
1939 — Devant l'apathie totale des autres pays européens, Hitler poursuit ses revendications et demande maintenant une partie de la Pologne. Il menace d'envahir la Pologne s'il n'obtient pas gain de cause, il organise de faux attentats de Polonais contre les Allemands pour justifier la guerre. Mais cette fois l'Angleterre et la France menacent d'intervenir. Pour convaincre son état-major qui commence à douter du bienfondé de
cette guerre, Hitler affirme que les autres pays européens resteront en dehors du conflit, pour garantir son front de l'Est il signe un pacte de non-agression avec Staline qui espère en retour obtenir une partie de la Pologne une fois celle-ci conquise.
Ce cheminement dramatique aurait pu être stoppé plusieurs fois et la Seconde Guerre mondiale aurait pu être évitée si nos dirigeants n'avaient pas avalé tous les mensonges d'Hitler. En effet dans un discours de 1935 Hitler affirmait « Notre théorie raciale considère que toute guerre entreprise en vue d'assujettir et dominer un peuple étranger comme un procédé qui, tôt ou tard, change et affaiblit intérieurement le vainqueur et ne tarde pas à provoquer sa défaite… » (Page 376), plus loin Hitler dit qu'il n'attaquera jamais la France ni la Pologne et qu'il n'exigera pas non plus l'Anschluss. Des mensonges incroyables et qui ont pourtant fonctionné. le dictateur masquait ses interventions armées pour les faire passer pour des opérations de pacification, ainsi voici ses directives pour l'annexion de la Tchécoslovaquie « L'opération doit être réalisée uniquement par des effectifs de temps de paix sans qu'ils aient été renforcés par une mobilisation… Il doit paraître qu'il s'agit d'une action pacifique et nullement d'une entreprise belliqueuse » (Page 580 et 583). Comme pour l'annexion de l'Autriche Hitler organise une fausse demande de la part des autorités slovaques faisant appel à Hitler pour qu'il envoie des troupes allemandes afin de mettre fin aux troubles. Grâce à ses mensonges, Hitler fait croire aux Allemands les sauvages excès commis par les Tchèques et la terreur qu'ils faisaient régner dans le pays et qu'il avait donc été « contraint » de mettre fin à ces violences. En fait Hitler voulait la guerre à tout prix et chaque fois qu'une possibilité de paix se présentait il devenait fou de rage et trouvait un moyen de rompre les négociations.
Le pacte de non-agression Germano-Russe est signé le 23 août 1939, Hitler a les mains libres pour déclencher la guerre et Staline va récolter les fruits de cette agression en gagnant des territoires polonais (page 710). Quelques jours après la signature Hitler déclenche l'invasion de la Pologne. Si ce pacte n'avait pas été ratifié, il est possible que la Seconde Guerre mondiale n'ait pas eu lieu.
Il y a bien évidemment de nombreuses leçons à tirer de la manière dont se sont déroulés tous ces évènements. Malheureusement il semble qu'aujourd'hui des personnalités au plus haut niveau fassent preuve de cécité et d'amnésie. Il est vrai que l'expérience est l'une des choses les plus difficiles à transmettre. le travail de l'historien est justement là pour permettre à chacun de tirer les leçons de l'histoire.
Ce premier volume se termine avec l'invasion de la Pologne le 1er septembre 1939 à 4 h 45 du matin. Il nous laisse avec une profonde interrogation : comment une nation de grande culture comme l'Allemagne a-t-elle pu produire un tel désastre en suivant l'un des dictateurs les plus démoniaques de l'histoire ? Il n'y a qu'une explication possible : la mise en oeuvre d'une extraordinaire propagande qui avait pour but d'imposer la doctrine contenue dans Mein
Kempf à tout un peuple. Une sorte de mise sous hypnose de millions d'individus par un dément qui était persuadé, comme il l'écrivit dans Mein
Kempf, que les grandes masses sont aveugles et stupides. La propagande étant définie comme la méthode consistant à mentir à son propre peuple ainsi qu'aux autres pays pour imposer sa volonté.
Sachant cela, sommes-nous aptes à identifier parmi nos dirigeants actuels les Mandrakes, les illusionnistes, les hypnotiseurs qui en créant des réalités parallèles et en niant les évidences font basculer le monde dans le chaos ?
Cet ouvrage est sans doute l'un des plus complets sur cette période de l'histoire et l'auteur s'appuie sur de nombreux documents, télégrammes, conversations téléphoniques ou réunions retranscrites par les Allemands et les hommes politiques de l'époque. Certains historiens ont pu critiquer son oeuvre notamment William O. Shanahan qui écrit à propos de Shirer « Il ne dépasse pas le niveau de compréhension le plus ordinaire » et « n'a aucunement approfondi notre connaissance de Hitler et de son action politique » il dit ne pas avoir été impressionné par la subtilité et la sophistication qui caractérisent les meilleures études sur ce thème, mais reconnaît toutefois que l'ouvrage « n'est pas une lecture désagréable ou ennuyeuse. La leçon gagne continûment en intérêt pour devenir de plus en plus passionnante. le récit, bien que pauvre du point de vue historique, est parcouru par une tension dramatique soutenue. »
Une autre universitaire Elizabeth Wiskemann juge le livre de Shirer « trop long et massif » et elle ne l'estime « pas assez savant ou assez bien écrit pour satisfaire les exigences universitaires ».
Pour ma part j'estime que l'intérêt de ce livre est justement de ne pas correspondre au style universitaire, lequel est parfois incompréhensible, pédant et bourré de références à d'autres travaux d'universitaires lesquels semblent n'être cité que dans le souci de démontrer le sérieux de l'étude (mais il y a des exceptions).
- « Le Troisième Reich, des origines à la chute » Tome 1,
William L. Shirer, le livre de poche (1972) la première édition date de 1960.