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Mais COMMENT fait-il ? "Le petit homme d'Arhangelsk" est une nouvelle pièce à verser à l'épais dossier d'une Enigme faite homme : Georges Simenon (1903-1989)... Ce morceau de choix date de 1956 et est classée par l'auteur comme "roman dur"... Rappelons-nous que l'inépuisable "série Maigret" sera considérée comme "semi-littérature" par le solide artisan liégeois lui-même : hors ses "romans-de-gare de formation" antérieurs à 1931, tout le reste devient "Littérature dure" (littérature qui dure)...

Jonas Milk, lui, n'a guère de chance. Il croit avoir enfin trouvé un bonheur paisible, celui de s'être "casé" dans sa petite ville familière du Berry (près Bourges) à l'ombre du marché couvert (trois jours par semaine, le reste du temps théâtre pour gamins en patins à roulettes) : là où il tient une librairie de prêt, vente et achat de livres d'occasions... Ses seules passions ? Sa chère collection de timbres (phénoménale)... et Gina ! Gina Palestri, bien sûr, avec qui il a eu la chance de pouvoir se marier... Même qu'Angèle (mère d'une belle qui se révélera tôt dramatiquement coureuse) l'y aurait poussée un peu... dans l'espoir que peut-être elle "s'assagisse"... Par exemple ? Gina était l'amante de Marcel Jenot (un repris de justice)... Mais il y a encore Louis, son ivrogne de père ["... car chez ces gens-là, Monsieur..."] ... et puis, et puis... [Merci encore à vous, monsieur Jacques BREL !] le frangin Frédo, genre de Billy-the-Kid, ordinaire sociopathe toujours jaloux de tous (et de Jonas, en premier), ne maîtrisant pas ses lourds sentiments incestueux... [Cf. le "Scarface" (1983) de Brian DE PALMA, et ses deux personnages magistralement incarnés par Al Pacino et Mary Elizabeth Mastrantonio]. Jonas, lui, va prendre ses multiples cafés quotidiens au rade de Fernand le Bouc, à deux pas de son propre boui-boui... Là où il retrouve Gaston Ancel et les autres commerçants de la Place du Vieux-Marché... Sauf qu'un soir Gina disparaît... Les uns après les autres, "ils" lui demandent de ses nouvelles...

"Elle est allée à Bourges", répond-il invariablement : Jonas ment, pour ne pas perdre la face, ou attirer l'attention... Seulement, ça finit par se savoir qu'elle n'est sûrement pas "allée voir La Loute à Bourges" (c'est la fille d'Ancel)... ni jamais pris le premier car du matin (celui de sept heures dix), puisque TOUT finit ici par se savoir, ici comme partout "en Province"...

Alors très vite on s'imagine collectivement le pire : non pas que l'ingrate, la traitresse soit allée une fois de plus "traîner" pour ne plus jamais revenir (en lui fauchant préalablement sa collection de timbres rares cachée dans le coffre : ce qu'il ne révélera pas, pour ne pas la flétrir... ) mais qu'il l'ait tuée, bien sûr... Ils ne l'exprimeront pas ainsi, non ! Mais peu à peu leur attitude, à tous, change... Les sourires, les interpellations chaleureuses disparaissent... La nasse des silences se referme solidement autour de l'infortuné Jonas... D'autant que ce dernier est timide, incurable myope décoré d'une paire de lunettes lui faisant un "visage aux gros yeux" globuleux, une sorte d'orphelin, un étranger adopté adulte par cette étrange collectivité berrichonne appartenant à "la France qui se lève tôt"... Arkhangelsk, ville portuaire russe où Jonas est né avant la Révolution... Yalta en Crimée où il a été "baladé" en ces temps troublés... Autant dire aussi loin de nous que l'Afghanistan d'aujourd'hui... Les Milk et Odounov faisaient partie des classes aisées défaites par Lénine et ses alliés, ils étaient aussi de confession juive...

Et l'on se retrouvera tôt dans cette situation familière aux lecteurs de Simenon : cette raréfaction progressive et sournoise de l'oxygène, caractéristique des espaces-temps créés pour "Les Fiançailles de monsieur Hire" (1933), "L'assassin" (1937) ou "Le Bilan Malétras" (1948)...

Et "Le Mystère de l'enveloppe jaune" (en papier Kraft) reparaît : ce bref moment où l'écrivain inventait les noms de "ses" futurs personnages, retrouvait dans les tiroirs secrets de sa mémoire-coffre-fort les lieux adéquats pour animer au mieux son petit théâtre personnel aux ressources infinies... Se "lancer", "accoucher" d'une histoire... Constellation serrée de de ces milliers de "petits détails vrais" particulièrement immersifs et de nature sobrement poétique... D'où l'éternelle question "amicale" du pourtant très roué André Gide : "Mais dites-moi... Comment faites-vous ?".

Simenon sans doute n'avait pas lui-même honnêtement la réponse... Ses têtes de chapitres, ici, ne nous disent pas grand chose, certes, mais disent tout d'une fascinante et habituelle "Enigme" : 1. "Le départ de Gina" ; 2. "Les noces de Jonas" ; 3. "La table du veuf" ; 4. "La visite de Frédo" ; 5. "La maison bleue" ; 6. "L'agent cycliste" ; 7. "Le marchand d'oiseaux ; 8. "Le merle du jardin" ; 9. "Le mur du jardin".

Visites incessantes au Continent-Simenon : là où il n'est guère de beautés sans mystère...
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Bien que je sois cinglée de lecture, il arrive périodiquement qu'aucun titre ne me tente. C'est généralement au mois de janvier, mois que je déteste. Cette année avec un peu d'avance, je me suis retrouvée sans envie en décembre. Que faire dans ces cas là ? Un mars et ça repart ? Non, un Simenon et ça repart. Simenon me réconcilie sinon avec la vie, du moins avec les mots et les phrases.
J'ai dans la série éditée par le Monde qui regroupe par trois des titres autour d'un thème, que ce soit un lieu Amérique, Vendée, Liège… un désir Vengeance, Suicides, Adultère…
Cette fois ce fut Solitudes
J'ai particulièrement été touchée par cette solitude, au milieu des autres. Un homme, arrivé enfant avec ses parents russes dans une petite ville, y revient vivre après ses études et alors que ses parents sont repartis. Conscient de faire partie de cet univers sans en être vraiment, il vit avec retenue, sans faire de bruit. Il est accepté, ne l'appelle-t-on pas par son prénom ? Pourtant la suspicion apparaît vite lorsque sa femme disparaît. Ce n'est d'ailleurs à mes yeux pas tant un rejet des autres, que son incapacité à se sentir de quelque part, à faire vraiment partie de l'humanité. Cet homme qui ne se plaint jamais est profondément seul tout en effectuant tous les rites de communion avec les autres.
Je crois que je garderai un moment dans mon esprit le petit homme d'Arkhangelsk et sa dignité, sa à vivre son destin sans rébellion, sans amertume, avec modestie jusque dans son geste final.
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A la lecture de ce court roman comment douter que Simenon soit un grand écrivain ? Tout en finesse et en nuances , il fait se transforme rla vie tranquille de Jonas Milk en cauchemar du jour où sa femme disparaît . Ses voisins , ses relations , tout change , les regards se font lourds , les rumeurs insinuantes instillent le doute . le pauvre Jonas ,désespéré, découvre l'horrible cruauté sociale cachée derrière les apparences policées et les sourires de façade. Ce roman de la solitude extrême dévoile tout autant la qualité de l'écrivain que la misanthropie de l'homme.
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La Feuille Volante n° 1145
Le petit homme d'ArkhangelskGeorges Simenon. Presse de la cité.

Ce roman a été publié en 1956 et c'est l'histoire d'une mésentente conjugale comme il en existe beaucoup. C'est quelque chose de très actuel puisque de nos jours à peu près deux mariages sur trois se terminent par un divorce et qu'il vaut mieux tenir les serments de fidélité échangés lors de la cérémonie à la mairie et à l'église pour du folklore, tant les époux s'empressent de les trahir sans vergogne. L'espèce humaine est ainsi faite, nous en faisons tous partie et nous n'y pouvons rien. Ce roman met en scène Jonas Milk, 40 ans, un petit commerçant d'origine russe, naturalisé français, timide et effacé. Il tient une boutique de philatéliste et de bouquiniste sur la place du Vieux Marché d'une petite ville du Berry. Il a épousé Gina Palestri, 24 ans, sa jeune et belle femme de ménage parce que la solitude lui pesait et aussi pour lui procurer une certaine tranquillité. Bien entendu ils n'ont pas d'enfants et peu d'occasions de coucher ensemble. Ce genre d'union est vieille comme le monde, porte en germe sa propre destruction, et en deux ans de mariage, Jonas qui tient à sa femme, lui pardonne tout, même ses infidélités. Bien sûr la différence d'âge prête aux plus faciles plaisanteries assorties de sourires sous cape et quand Gina disparaît une nouvelle fois et qu'on lui demande où elle est, il répond qu'elle est à Bourges où elle va parfois. Sauf que cette fois elle est partie en dérobant des timbres de prix et qu'elle ne reviendra pas. Alors qu'il aurait pu être l'objet de soutien dans cette épreuve, une sorte d'ambiance délétère se noue autour de lui, lui faisant sentir que, contrairement à ce qu'il avait cru en venant ici, il reste un étranger et les nombreuses contradictions auxquelles il doit faire face donnent à penser qu'il s'est débarrassé de son épouse. Il est tellement désespéré face à cette rumeur et malgré un témoignage spontané qui l'innocente, qu'il ne supporte plus sa vie.
Ce roman psychologique nous présente un Simenon bien différent de l'auteur des Maigret. J'ai retrouvé certes son style fluide et agréable à lire mais cette oeuvre nous rappelle qu'il a aussi été un observateur très fin de condition humaine, hors des ouvrages à caractère policier qui ont fait sa notoriété. Nombre de ceux-ci ont fait l'objet, et avec bonheur, d'adaptations cinématographiques et théâtrales ; cette chronique s'en est déjà largement fait l'écho. Un film a même adapté ce roman en 2006 ( « Monsieur Joseph », réalisé par Olivier Langlois). Ici Joseph est un petit commerçant solitaire, musulman non pratiquant et qui a francisé son prénom de Youssef pour mieux se faire accepter dans cette petit ville dont il croit, après tout ce temps, faire partie. Même si les personnages et la localisation géographique sont différents, ce long métrage est fidèle à l'esprit du texte de Simenon et rend bien, autour du personnage de Joseph, cette ambiance, d'abord légère et assortie de sous-entendus un peu salaces à propos de la fidélité de sa jeune épouse, puis franchement hostile quand la rumeur enfle et fait de lui un potentiel assassin de la jeune femme. Il n'est plus le cocu dont tout le monde se moquait mais devient un meurtrier dont tout le mode se méfie. Il est dès lors rejeté comme un étranger et se sent impuissant face à cette réaction. Daniel Prévost qui a eu une carrière de comique, est dans ce rôle, particulièrement émouvant et a sans doute trouvé là sa véritable voie. J'avais fait la même remarque à propos de Bernard Campan incarnant aussi un homme victime de la malveillance, dans un roman du même Simenon (« La Boule noire »- La Feuille Volante n° 869). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Daniel Prévost incarne dans ce film un homme issu du mariage entre une française et un algérien puisqu'il est lui-même le fruit d'un tel métissage. C'est aussi un roman et un film très actuels qui illustrent, outre l'infidélité conjugale, le rejet de l'autre qui ne nous ressemble pas et met en échec le « vivre ensemble » dont je ne suis pas sûr qu'il perdure longtemps dans la climat d'insécurité dû aux attentats à caractère religieux et ethniques que nous vivons actuellement.
© Hervé GAUTIER – Juin 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Un grand roman où il ne se passe rien ou presque : Gina, l'épouse de Jonas Milk a disparu. Pris d'une impulsion qu'il s'explique mal luui-même, l'époux délaissé ment. Aux questionnements des voisins, il prétexte une improbable visite chez "la Loute" à Bourges. Et le voilà bientôt en butte à la méfiance et la suspicion de ses voisins de toujours. Impossible de justifier ses mensonges, son manque de jalousie vis-à - vis des aventures galantes de sa femme. Est-ce parce qu'il est un juif converti ou parce qu'il est fils d'émigré russe ou bien encore parce qu'on le suppose bien nanti alors qu'il vit simplement ? C'est tragique de voir ce petit homme solitaire, pas encore vieux mais déjà mûr, bien conscient de son manque de charisme, qui ne souhaitait qu'apporter la paix à sa trop jeune épouse à la cuisse légère. Un très grand roman qui serré en quelques dizaines de pages nous interroge sur la suspicion et la rumeur, la réalité de l'intégration de "l'étranger" dans le corps d'un petit village ordinaire. Un court roman noir, serré comme l'expresso cher à monsieur Jonas et qui ne fait pas ses soixante-deux ans!
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Toujours du très bon Simenon
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Triste histoire que celle-ci.
Simenon nous fait entrer dans l'intimité d'un couple mal assorti, elle jeune, coureuse, et lui, effacé au point que sa belle-mère le traite de « savate ».
Elle disparaît, emportant son trésor, des timbres rares valant une fortune.

Mais c'est le délitement de l'ambiance, des voisins qui se détournent peu à peu de lui. D'autant qu'il a d'abord menti pour couvrir sa fugue. La police est obligée de l'interroger.

Ce qui lui fait découvrir comment il est vu, lui, l'étranger.
Lui qui se croyait intégré, accepté.
Balayées en trois jours les amitiés. Remplacées par les regards soupçonneux.

C'est encore avec un art consommé que Simenon cisèle les âmes et le coeur d'une petite ville avec la profondeur d'un Balzac ou d'un Dostoïevski.
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Sujet terriblement d'actualité : peur de l'étranger, anti sémitisme, solitude, liberté individuelle, indifférence.
Le tout dans un roman à l'ambiance plus que lourde.
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