Je viens de découvrir tout récemment , avec bonheur et délectation, la très belle écriture de Marie Sizun avec son dernier roman "La gouvernante suédoise". Dans la lancée de mon enthousiasme, je poursuis ma "connaissance" de cette écrivaine. Dans le présent, j'ai lu son premier roman , des plus bouleversants , " le Père de la petite", après avoir
lu avec une forte émotion, "Un jour par la forêt"...
Une admiration certaine pour l'art de Marie Sizun de décrire avec une intensité et infinie sensibilité les drames et séismes qui peuvent se passer dans la tête des enfants....
Dans ce texte, qui se situe dans les années 40, la "petite", France vit heureuse et toute légère dans une bulle , avec une maman des plus permissives et aimantes. le papa est absent, il est à la guerre. Elle ne l'a jamais vu... et puis un jour, la maman annonce à sa petite fille que "son petit papa" va revenir enfin... Et la petite, au lieu de se réjouir, sent comme une menace... où son quotidien, où elle vit en fusion avec sa maman
adorée...va être chamboulé....
Hormis sa grand-mère maternelle qu'elle n'apprécie guère, et qui accapare trop à son goût sa maman, avec des mots chuchotés, des bavardages qui semblent bien secrets !!
Le Papa rentre enfin, malade des poumons et surtout des nerfs... La maman adorée qui ne vivait que pour sa petite, change de comportement et ne s'occupe que de son mari... ce qui rend furieuse et complètement perdue , la petite France. Elle craint les colères et la sévérité paternelles, trouve que c'est un intrus insupportable qui a démoli son intimité exclusive et sa vie libre, légère, joyeuse avec une maman fantasque qui ne lui opposait aucune règle, au grand dam de la grand-mère qui trouve son unique petite fille, mal élevée !
Un mensonge, un secret mal dissimulé vécus de façon très incompréhensible par la petite va être le déclencheur d'un drame... et d'un renversement de situation: la petite se détache et en veut à sa mère, qui pour elle l'a abandonnée , et lui a , comme retiré son amour... En retour, elle se met à aduler, vénérer ce père qu'elle tente de connaître, de séduire..
d'apprivoiser !.
Un très bel hommage d'une petite fille à un père, même "d'occasion", ayant vécu trop peu de temps ensemble... avec le drame de la guerre , des hommes, pères, fils, frères absents, qui reviennent plus ou moins abîmés , après les conflits... pendant que les femmes dans des solitudes difficiles, se débrouillent comme elles peuvent, pour travailler, élever leurs enfants...
Beaucoup d'amour dans ce texte mais aussi tant de tristesse, de gâchis provoqués par les traumatismes de la guerre et les dégâts des absences des pères....
"La petite attend son père. Elle l'attend comme on peut attendre dans l'enfance, comme on le fait aussi, plus tard, dans l'amour." (p. 89)
Qu'est-ce qu'un père ? La notion de paternité échappe à la petite. Et comment pourrait-il en être autrement ? Des pères par les temps qui courent, on en voit pas beaucoup."
Un premier roman lu en une soirée tour à tour avec de la joie et de la peine...
Sûrement dû au talent de l'auteure qui décrit avec un immense sensibilité les tourments et les questionnements d'une petite fille de quatre ans, qui découvre le monde des adultes... Ces derniers qui semblent tant compliquer les choses, et si souvent !!!
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Ce n'est pas l'enfant qui raconte, mais une voix extérieure qui la connaît bien, au point de noter ses oublis et ses sentiments ultérieurs : « plus tard la petite comprendra etc. »
Au départ, une histoire de couple entre la mère et l'enfant, dans une entente parfaite : La petite jouit d'une liberté dont elle ne connaît pas les limites, affranchie des règles de la vie en société. C'est pourquoi le retour du père, ex-prisonnier de guerre, va rompre cette harmonie initiale, père d'abord redouté pour des remarques sévères, puis accepté et aimé en raison d'une franchise qui contraste avec les cachotteries de la mère et de la grand-mère.
Le drame de la petite sera de noter tout ce qui lui a paru surprenant pendant la guerre, et d'en parler étourdiment à son père, avec comme résultat de créer des scènes de ménage, voire de mettre en péril l'union parentale.
La langue est d'apparence très simple, comme la petite qui note l'instant, admet sans comprendre, désapprouve d'instinct, parle sans réfléchir, quitte à nourrir plus tard un sentiment de culpabilité devant les inconsciences de son âge.
Le lecteur comprend bien des choses que remarque la fillette, il comble le décalage entre ce qui est perçu, senti, vécu par l'enfant, et les comportements du couple. Tout l'intérêt du récit réside dans cette distance, créée par un langage « naïf », fragmentaire, avec des tours présentatifs, des doubles sujets ou doubles compléments;
Voici l'incipit :
C'est dans la cuisine de l'appartement, un après-midi d'hiver. Elles sont là toutes les deux, la mère qui repasse son linge debout, si grande et la petite assise dans son fauteuil d'enfant, près d'elle. Elles se taisent maintenant. La petite réfléchit à ce que la mère vient de dire. A la radio tout à l'heure il y avait des informations, des informations sur la guerre, comme toujours. A la fin, la mère avait éteint et, tout en continuant à repasser, elle avait dit quelque chose comme : « ton pauvre petit papa »… ou bien même : « Quand ton pauvre petit papa reviendra »… Négligemment. Comme ça.
On pénètre ainsi, avec ce livre sobre et bien construit, dans l'esprit de l'enfant, depuis ses premières émotions, et même ses calculs, jusqu'à un âge plus avancé où il juge ses relations avec le père.
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