Bonne pioche cette année, ce prix Goncourt!
Il va pouvoir être offert sans risquer de ne pas être ouvert!
Il faudra quand même y regarder à deux fois pour conseiller cette lecture, car ce drame familial va donner des sueurs froides à bon nombre de parents structurant vies personnelle et professionnelle avec l'aide indispensable d'une nounou.
C'est sans doute la raison du succès de cette fiction mortifère qui n'a pas attendu les lauriers du Prix pour trouver son public.
Au delà des raisons du fait-divers macabre que Leïla Slimani décortique avec doigté et psychologie, c'est le fonctionnement de notre société qui se retrouve en question: gestion familiale, désir légitime de la femme de construire une vie professionnelle, coup de dés concernant la confiance et la loyauté avec des personnes extérieures. Une confiance donnée sur des critères d'empathie et de talents maternels, délaissant souvent une enquête de recrutement plus poussée.
Plus largement, on y trouve une réflexion sur la différence de classes, de deux mondes employeurs/employés qui cohabitent en fausse intimité, rivalités, jalousie et acrimonie.
Une comptine abominable qui se lit en apnée.
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Chanson douce... ou plutôt oraison funèbre.
Première page : un carnage. Un bébé mort et une fillette grièvement blessée. Leur assassin s'est acharné sur la petite, et semble être resté sur place. Le développement du roman nous indiquera comment le coupable a pu en arriver là.
On rembobine. Myriam est avocate, Paul travaille dans la production musicale. Après la félicité des premiers mois à pouponner, la jeune maman tourne en rond dans un minuscule appartement parisien, déprime, s'aigrit, elle veut retourner bosser. Tout bien calculé, vu le tarif des nourrices, ça sera à peine rentable financièrement, mais qu'importe. Myriam et Paul ont de la chance, ils trouvent vite une nounou qui correspond à leurs exigences : blanche, française, soignée, sans enfant, sans mari. Elle se révèle vite être la perle rare, les enfants l'adorent, c'est une fée du logis. Il est tentant de lui en demander toujours plus, mais alors où placer la frontière entre employé (domestique, n'ayons pas peur des mots) et employeur (patrons) ?
Thriller psychologique dérangeant, récit subtil, sans sensationnalisme, d'une lente descente aux enfers.
Histoire de solitude, de folie, de vampirisme, d'invasion de territoire et d'intimité (de part et d'autre), de rapports délicats employés/employeurs - d'autant plus délicats lorsque des enfants sont au milieu. Et bien sûr, en filigrane, le problème des parents qui concilient tant bien que mal carrière professionnelle et éducation des enfants.
Merci à Cajou qui a sélectionné cet ouvrage dans le cadre de l'opération 'Rentrée littéraire Price Minister' !
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La culpabilité des mères, de toutes les mères qui travaillent est si bien rendue dans ce roman. Chacune la gère comme elle le peut, en fonction de ses moyens, intellectuels, matériels, de son éducation, de ses possibilités : aides ou entraves qu'elles puisent ou subissent. C'est la puissance de ce livre, en tout cas c'est ce qui m'a le plus marqué : la souffrance de la mère - souffrance consciente pour Myriam, niée pour Louise – il y a une fêlure en nous, un petit abîme à être au travail et confier l'enfant à d'autres. Entre deux contraintes et trois galopades, difficile d'être tout attention à l'enfant – lui qui a sa propre horloge, son tempo personnel - quand fatigue, stress et factures s'empilent et que quelques minutes sont arrachées au temps pour être octroyées gracieusement aux enfants sur les vingt-quatre heures que compte la journée. Le corps et l'esprit rétrécissent, seul l'essentiel tient encore : un toit un repas un médecin. Et puis, on rogne : le médecin, le repas et le toit devient inhabité. le temps n'a plus de sens, il s'évanouit, s'échappe. On travaillait pour quoi au final ? Assurer le bonheur des enfants et l'épanouissement de la mère ? Parfois, je ne sais plus…
Adam Mila enfants du vent.
Très beau roman d'une parfaite construction. Il ne détrône cependant pas Dans le jardin de l'ogre, inoubliable coup de coeur.
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Je l'ai lu d'une traite, le trouvant excellent, avec juste un petit bémol sur la fin, que je trouve, comme beaucoup de lecteurs ici, un peu rapide.
Un jeune couple de bobos engagent une nounou pour garder leurs deux enfants en bas âge. D'abord, la jeune maman, Myriam, avait succombé au mythe de la maternité épanouissante puis, rattrapée par la réalité du XXIème siècle, a voulu échapper au piège des couches et de l'invasion de soi que constitue un enfant. On nous apprend à nous épanouir et à devenir nous-mêmes, ce qui est incompatible avec la maternité à plein temps, pour la plupart des femmes.
Le premier problème auquel se confronte Myriam est l'étroitesse de l'appartement. Un bobo habite dans Paris intra-muros et circule en velib, comme Paul, le mari. Mais, à l'heure actuelle, à moins d'avoir hérité ou d'être là depuis toujours, comme les vieilles dames de l'immeuble, si on achète à Paris, on a un petit trois pièces, comme l'appartement de notre heureux couple. Et là, avec deux enfants, ça devient vite invivable. L'épanouissement passe par l'espace et une chambre à soi, un jardin, un chien, des chats. Impossible dans ce réduit du Xème arrondissement. Myriam va exploser. Il faut qu'elle sorte : une seule solution, le travail. Mais qui va garder les enfants ? Eureka : une nounou. Mais alors parfaite, sinon rien. Autre mythe à réaliser : la famille parfaite, donc la nounou parfaite.
Nos petits bourgeois font passer des entretiens dans leur trois-pièces. Ils sont dans un film. Il faut que ce soit une évidence, comme dans Mary Poppins. Un coup de foudre. Ca tombe sur Louise. Pourquoi ? Elle est blonde, menue, bien habillée, et la petite Mila la trouve à son goût. Parfait.
Louise entre dans le film et en devient une des scénaristes. C'est une "perle". le petit trois-pièces devient la maison du bonheur, c'est à dire bien rangé, le dîner prêt et les enfants bien peignés. Les parents y passent pour y dormir. Ils sont eux-mêmes des employés parfaits et ne comptent pas leurs heures. Ils sont dans leur monde d'apparence, tout entiers dans la mythologie des jeunes couples dynamiques, qui réussissent tout.
Mais ils ont engagé, sans s'en apercevoir ni même pouvoir le concevoir, une nature brute et sauvage qui n'appartient pas à leur monde. Une femme qui n'a pas d'endroit où aller, comme le dit l'exergue de Dostoievski. Une femme qu'ils n'ont aucun moyen de comprendre, de même qu'ils ne comprennent pas le mensonge où ils vivent. La confrontation entre ces deux mondes devient un conte de fées cruel.
L'autre point fort du roman est la folie grandissante de Louise, très compliquée à appréhender, car le personnage est à la fois une personne réelle, un symbole, et une méchante sorcière. C'est l'incarnation d'un monde au frontière de la marginalité, qui ne tient à la société que par un fil, celui du travail, d'un travail servile, la seule place qu'on peut lui accorder sans études, sans famille, sans héritage, sans soutien. Louise, couverte des dettes de son défunt époux, est dans le déni permanent de cet argent qu'elle doit à l'état, à son propriétaire...Mais là aussi une question me taraude : que fait-elle de son salaire, qui ne doit pas être négligeable ? Il n'en est jamais question. Louise est aussi une grande dépressive, qui projette dans les autres son propre néant et dans les familles qui l'embauchent le échec cuisant de sa propre famille, l'échec total de l'éducation de sa fille, qu'elle a rejetée (pourquoi ? ) et qu'elle tente de conjurer par l'éducation d'autres enfants. Sa quête est impossible, elle perd les pédales, elle se met à haïr ces enfants-substituts qui lui seront enlevés. Louise est aussi le symbole du cancer mental qui pourrit la famille "idéale", qui s'incruste, donne des symptômes alarmants qu'on préfère ne pas voir, les adultes étant incapables de sortir de leurs schémas de pensée. En cela, elle n'est pas vraiment réelle, plutôt une sorte de polstergeist vengeur.
Il est difficile d'interpréter ce message, qu'on pourrait voir comme ultra-conservateur. Leïla Slimani se borne sans doute à faire un constat. Peut-être fait-elle seulement de la publicité pour la crèche : elle ferme à 18 heures quoiqu'il arrive, débrouillez-vous, messieurs, mesdames, pour être à l'heure. Ou je ne sais pas. Moi-même, je n'ose pas creuser plus loin.
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