Romain Slocombe a choisi de raconter la vie quotidienne des civils au Japon durant la seconde guerre mondiale par l'entremise d'une série de lettres entre le diplomate Friedrich Kessler, en poste à l'ambassade d'Allemagne au Japon, et sa soeur restée à Berlin. Kessler, jeune homme cultivé, amateur de jazz, adhérent depuis peu au parti nazi, comme tous les membres du corps diplomatique allemand de l'époque, suit la politique du troisième Reich sans zèle particulier, mais en acceptant ses thèses raciales et la guerre de conquête qui étend l'Allemagne vers l'Est.
Relativement protégé au début de la guerre par l'absence de combats sur le sol nippon, il découvre, par les courriers de sa soeur, les restrictions qu'entraîne la guerre en Europe et les premiers bombardements sur Berlin, qui s'avèrent n'anticiper que de peu le premier bombardement de Tokyo, mené comme un raid quasi suicidaire par une escadrille de bombardiers américains en avril 1942. La population japonaise heurtée par ces destructions et portée par la propagande militaire voit alors des espions partout. D'autant que les Japonais découvrent que le correspondant de presse allemand Richard Sorge transmettait depuis des années des informations à Moscou. Pour les Allemands, le Japon n'est plus un havre de paix. La nippophilie de Kessler, qui s'est offert une collection d'estampes de Hiroshige, n'y change rien. Alors que les autres européens, britanniques et américains sont arrêtés et détenus dans des camps de prisonniers, les relations entre les allemands et la population se crispent.
Les nouvelles venant d'Europe inquiètent Friedrich qui perçoit dans les informations que lui communique sa soeur que la situation n'est pas aussi brillante que la propagande de Goebbels voudrait le faire croire. Les nouvelles de la guerre en Russie parviennent malgré tout à Tokyo. Dans une ambiance de plus en plus délétère au sein de l'ambassade entre nazis convaincus et personnel civil, Kessler tombe amoureux de l'infirmière de l'ambassade, avec laquelle il découvre le pays. Mais ces précieux instants ne durent pas, elle doit repartir en Allemagne. En 1945, Kessler va assister à la fin de l'ambassade du Reich en même temps que le Japon est frappé extrêmement durement par les bombardements américains.
Les scènes du brasier que constitue Tokyo lors des bombardements de mars 1945 sont apocalyptiques. Les bombes incendiaires brûlent tout dans une ville presque entièrement en bois, où les abris souterrains sont rares. Les flammes embrassent les vêtements de coton qui, plutôt que de protéger les habitants de Tokyo, transmettent le feu aux corps. Kessler erre dans ce brasier où la population se retourne contre lui, lui blanc forcément lié à ce désastre venu du ciel.
Le livre s'achève avec la lueur de la bombe A d'Hiroshima, dans une description de cendres moites.
La grande force de ce roman épistolaire est de décrire la guerre de l'arrière du front, au côté des civils. Guerre à laquelle ils souscrivent tant qu'elle est victorieuse tant pour les Allemands que pour les Japonais, mais qui devient vite insupportable et surtout d'une cruauté sans limite quand les bombes détruisent sans cible bien précise.
Slocombe parvient très efficacement à retranscrire l'horreur des pertes humaines. En parallèle, il décrit minutieusement une société de diplomates repliée sur soi, à part de la guerre, qui tente des rapprochements culturels dans un monde militarisé.
Solidement documenté, ce livre est d'un réalisme effrayant. On peut dès lors reprocher à l'auteur l'artifice de l'introduction qui consiste à présenter les lettres comme de réels documents historiques. L'écriture de
Slocombe se suffit à elle-même, il n'avait pas besoin de renforcer le réalisme par cette présentation initiale trompeuse.