Hamoudi est mort.
Il a fermé les yeux en posant sa tête sur la poitrine de la religieuse et il est parti.
Quelques mois auparavant, il avait trouvé refuge derrière le mur d'un bâtiment en ruine, en face de la place des Martyrs. Couché sur un morceau de carton douteux, les bras repliés sous la tête, il pouvait voir le ciel à travers le toit éventré. Des arbres très hauts avaient poussé dans les décombres et toutes sortes de plantes s'épanouissaient sur les murs lézardés où elle semblaient avoir trouvé une terre favorable.
Hamoudi promenait son regard sur ces ruines noyées dans l'obscurité, et sa main caressait la toison noire de sa poitrine. Les décombres du centre-ville ont été son ultime refuge. Comme si seuls ces quartiers témoins du chaos, chargés du souvenir de la guerre, étaient à même de recueillir son âme et son corps.
Il était chez lui au milieu de cette désolation, dans les autres quartiers il se sentait indésirable, refoulé vers un ailleurs indéfini. Son corps lui était devenu hostile.
Toute autre était la hantise qui m'inspiraient les abords du puits et son seuil : la crainte des djinns. D'après ma mère, ces êtres malfaisants n'aiment rien tant que s'installer précisément sur son seuil; Un seuil qui mène vers le monde de l'inconnu.Toute ma fascination pour les mystères occultes liés aux puits et aux seuils me vient de ma mère.
Chacun de nous possède-t-il sa propre couverture, dont il recouvre son quant-à-soi, son univers? Ou existe-t-il une large couverture universelle qui recouvre tout le monde? Une couverture douteuse, souillée des microbes de tous et de leur transpiration.
Pour écrire il faudrait que je comprenne les choses. Il me faudrait affronter la peur et triompher de ma propre mort, une mort que je sens sur ma peau, collée à mes paupières et paralysant mes lèvres.
Odeurs et parfums s'en vont et disparaissent avec les gens.
Seul reste l'odeur des souvenirs. A moins que le conteur se perde et disparaisse à son tour.
Moi, par le récit de mes souvenirs je veux en fixer l'odeur et le parfum afin qu'ils demeurent à jamais après mon départ.
Mes odeurs, elles, s'évanouiront.