Somoza José Carlos – "
Clara et la pénombre" –
Actes Sud / Babel Noir, 2003 (ISBN 978-2-330-11875-4) – 652 pages
– traduit de l'espagnol par
Marianne Millon, titre et éd en langue originale "Clara y la penumbra" cop. 2001
Un roman prémonitoire (il fut publié en espagnol en 2001), qui aborde une thématique remarquable. En effet, bien plus que d'une intrigue policière classique, l'auteur traite ici de l'art dit "contemporain" (celui que les bobos mettent en scène en recherchant constamment la provocation et le scandale), et à travers lui des conséquences et réalités du corps humain considéré comme une marchandise, avec l'assentiment des personnes (généralement des jeunes-filles dénudées), ainsi réduites à l'état d'objet sans que la moindre instance officielle ne s'en offusque réellement.
L'auteur montre comment les protestations se résument à quelques manifestations de gens que les élites – avec la complicité des médias – savent neutraliser et marginaliser en les qualifiant de passéistes : le "naturel-humanisme" ne fait guère recette (p. 443).
Pour nous, en France, à l'heure de la "révision" des lois bioéthiques, ce texte est largement prémonitoire : en focalisant l'attention sur l'extension de la PMA aux femmes seules, nos "élites éclairées, urbaines et ouvertes sur le monde donc progressistes" font passer dans la loi l'autorisation de manipulation du génome humain, de recherches sur l'embryon, la conservation d'ovocytes et de spermatozoïdes par les officines privées (qui pourront les commercialiser), et bien d'autres "autorisations" qui entérinent la "libéralisation" – c'est-à-dire la privatisation et la commercialisation – du "matériel génétique humain". Il va de soi que la GPA sera avalisée sous peu (les juges s'y emploient ardemment), permettant un développement sans frein des effarantes "usines à bébés" déjà présentes dans le
Tiers-Monde.
Parmi les paragraphes soigneusement élaborés, notons par exemple
le détail du contrat liant les modèles réduits à l'état de "matériel artistique" (pp. 108-109), le sens des affaires de certains "artistes" contemporains pour lesquels "l'art c'est de l'argent" (pp. 162-164, puis 194), le lien entre cette dégradation irrémédiable de l'être humain et l'idéologie nazie (p. 462), la disparition de la culture européenne humaniste (pp. 513-514) et bien d'autres...
Autre thème sous-jacent mais tout aussi soigneusement mis en oeuvre, l'auteur montre, par un contrepoint bien orchestré avec l'oeuvre de Rembrandt, comment une bonne part de cet art dit "moderne" consiste finalement à parodier les grands classiques en les tournant en dérision : nouvelle illustration du principe bien connu "une civilisation ne meurt pas, elle se suicide" qui s'applique aujourd'hui pleinement à la civilisation européenne en pleine déconfiture...
L'auteur note dans sa postface (p. 647) :
"si quelqu'un découvre comment gagner de l'argent par ce biais [i.e. l'achat et la vente de corps humains peints], ce ne seront pas les considérations morales qui empêcheront un tel marché humain de se dérouler de façon aussi spectaculaire ou plus que dans mon livre".
Macron et ses sbires, relayant les diktats venus des technocrates de Bruxelles, s'y emploient de toute leur force, dans un vaste programme de destruction systématique des sociétés européennes...
Un livre à lire et à offrir.