Déambuler à la rencontre de Rimbaud, vivre l'effervescence du jeune ardennais de 16 ans étaient mes principales impatiences.
Cette escapade dans le Paris du poète, m'a ouvert sur d'autres réalités, le SDF, le Rimbaud sans domicile, l'acuité satirique d'un Arthur Rimbaud prêt à railler tous les mauvais poètes, les séances alcoolisées qu'il multipliait, son addiction au "vert pilier", l'absinthe, son instabilité permanente, son homosexualité débridée, et sa précocité qui le propulse vers toutes les audaces.
Qui peut le comprendre ? Qui peut comprendre l'intelligence prodigieuse qu'il déploie, la finesse de ses écrits, le sens du Bateau Ivre.
Jean-Luc Steinmetz, avec un sens du détail, dans ce livre le Paris de Rimbaud, efface tous les clichés que l'on pouvait entretenir, ou caresser sur Arthur Rimbaud, comme son séjour à Paris, une longue gerbe de succès, et de reconnaissances. Balayée l'idée d'un poète arrivé au sommet de son art, puis considérant qu'il est allé au bout de sa mission, tourne la page pour mieux créer sa légende et s'en va dans le désert.
L'audace de Jean-Luc Steinmetz, et d'avoir retracé l'itinéraire chaotique d'un jeune homme qui n'a jamais trouvé, ni le repos, ni le succès, ni le bonheur. Par contre il a bien été parmi les visionnaires de son temps celui qui a pris la plume pour effacer la littérature d'avant, et écrire de nouvelles pages totalement insensées.
Le Bateau Ivre, c'est lui, et au delà des cent vers du poème, comme un message, il énonce la fin d'un monde et l'éclosion d'un nouvel univers. Cette date 1870, le romancier Patrick Deville la reprend à son compte, c'est la date du basculement du monde, le tout début de la mondialisation, et comme par hasard Arthur Rimbaud y participe. Après la commune le monde est devenu planétaire.
Jean-Luc Steinmetz l'insatiable chercheur et inlassable explorateur de l'oeuvre d'Arthur Rimbaud nous rappelle l'épisode assez humiliante pour Théodore de Banville qui vient d'écrire un éloge de la versification, où le poète ne fera qu'un commentaire cinglant prédisant la mort de l'alexandrin. Il aura bien d'autres indélicatesses à l'égard d'autres poètes comme Charles Cros, qui malgré son hospitalité , son hôte utilisera des feuillets de poésie à des "fins hygiéniques".
Après avoir recherché quelques assentiments futiles, comme ceux de Paul Verlaine, et côtoyé avec fougue les artisans de la commune, et ressenti à travers ces événements, des "choses printanières", il perçoit les bouleversements profonds qui vont intervenir. le sentiment que Jean-Luc Steinmetz laisse entrevoir est la lucidité de Rimbaud, l'homme "aux semelles Devant", pour déceler dans les événements les grands moments de rupture.
Après avoir côtoyé des poètes qui se sont appelés les Zutistes, ou les Vilains-Bonhommes il sent qu'il doit tracer sa route, sans tenir compte de ceux qu'il côtoie, de ne plus rechercher l'assentiment des poètes ou d'autres fussent-ils ceux de Paul Verlaine.
Fuyant la compagnie des hommes de lettres ils tracent peu à peu ses vertiges.
Après le bateau ivre, les voyelles annoncent l'expérience du voyant, celui capable décrire et communiquer par l'intermédiaire de tous les sens. Les illuminations viendront, est une saison en enfer, une saison si proche de toutes ces déambulations dans un Paris, le Paris de Rimbaud, dans lequel il aura de plus en plus de mal à survivre et à se reconnaître. Peut-on démystifier à ce point Arthur Rimbaud ?
Après lui les parnassiens disparaîtront, Lautréamont émergera et avec lui les poètes maudits et d'autres romanciers émergeront comme Zola ou Léon Bloy. C'est l'inquiétude qui gronde dans les milieux artistiques, c'est le début de l'impressionnisme, et bientôt viendra le temps de l'abstrait, d' Apollinaire ( alcools), les surréaliste et le dadaïsme.
Sous le regard ombrageux du Voyant.
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Rimbaud est l'enfance qui s'est exprimé par des moyens transgressant sa condition. L'enfance virile, la liberté sans poids et mesure. Une enfance voisine de la mort sans son origine et sa fin, le risque à tous les échelons, l'enfance délimitant les choses juste dans l'émerveillement devant elles, et enfin ses visions d'un univers surhumain apocalyptique dans sa pureté et son innocence. Oui , j'aurais aimé me balader dans son Paris à lui, pas celui de 2019 où les poètes manquent cruellement.
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Elles ont pâli, les merveilleuses
Au grand soleil d'amour chargé
Sur le bronze des mitrailleuses
A travers Paris insurgé !
P 38
A Paris, Que fais-tu poète
de Charlevilles arrivé ?
Paris, Le génie ici végète
Mourant de faim sur le pavé.
P 60
« Il y a quelque chose d'inéluctablement malheureux dans le personnage de Verlaine (1844-1896) […]. Lui-même eut beau se compter au nombre des poètes maudits, nous avons tendance à lui refuser une telle malédiction gratifiante pour ne le doter que d'un chagrin doux-amer et d'un coeur (mot dont significativement il abusa) gros de larmes presque savoureuses. […] Plus néfaste que la brève cohabitation de Gauguin avec Van Gogh, celle qui le rapprochera de Rimbaud se terminera sur l'éclat d'un coup de feu […]. Les suites sont connues : […] Verlaine est condamné à deux ans de prison.
[…]
En mai 1874, il apprend que le jugement en séparation de corps et de biens réclamé par Mathilde vient d'être prononcé. Il en ressent une profonde tristesse et songe à se tourner vers les secours de la religion. […] le 15 août, Verlaine, enfin admis à la Sainte Table, communie. de cette période de conversion témoigneront dans le futur “Cellulairement” […].
[…] Les années suivantes, Verlaine continuera de disperser le matériau poétique accumulé durant sa détention ; treize poésies se retrouveront dans Jadis et Naguère (1884), huit autres dans Parallèlement (1889). Sans doute ne souhaitait-il pas refaire surface dans le monde littéraire par un livre évoquant son passé de droit commun, fût-ce sous les apparences du “journal d'une âme”. Il rappellerait ces temps mauvais dans Mes Prisons en 1883, mais, pour l'heure, c'est en proposant une image apaisée de lui qu'il tente, après bien des atermoiements (sept ans de silence), son retour de poète avec Sagesse où il espère que “nulle dissonance n'ira choquer la délicatesse d'une âme catholique”.
[…] Cellulairement […] occupe […] la place indéniable de “chaînon manquant” entre les Romances sans paroles et Sagesse et […] il montre Verlaine dans son authenticité de prisonnier, de poète et, sur la fin, de pécheur converti.
[…] Cellulairement restitue un temps de vie passé, usé au jour le jour, dans ce tournis à demeure où se perçoit l'identité même, toujours flottante, de Verlaine, non pas fadeur […], mais limite de l'écoeurement devant le mélange de fiel et de miel que tend l'existence en sa coupe. […] Verlaine adresse le murmure d'une voix inquiète, presque égarée, même quand sa foi nouvelle tend à la raffermir. Gardons-nous de ne voir que complaisances là où se dit, non sans humour parfois, quelque réalité aussi maligne que la pure et simple “condition humaine” illuminée d'un faible espoir et fraternelle dans sa détresse ?» (Jean-Luc Steinmetz)
« Au Lecteur
[…]
Vous lirez ce libelle tel quel,
Tout ainsi que vous feriez d'un autre,
Ce voeu bien modeste est le seul nôtre,
N'étant guère après tout criminel.
[…]
J'ai perdu ma vie et je sais bien
Que tout blâme sur moi s'en va fondre :
À cela je ne puis que répondre
Que je suis vraiment né Saturnien. »
Paul Verlaine
Bruxelles, juillet 1873
0:00 - Berceuse
0:30 - Almanach pour l'année passée III
1:18 - L'art poétique
3:00 - Générique
Référence bibliographique :
Paul Verlaine, Cellulairement, Éditions le Castor Astral, 1992
Image d'illustration :
http://www.heliotricity.com/poetryverlaine.html
Bande sonore originale : Kai Engel - Somewhere Else
Somewhere Else by Kai Engel is licensed under a Attribution-NonCommercial 4.0 International License.
Site :
https://www.freemusicarchive.org/music/Kai_Engel/lesicia/somewhere-else
#PaulVerlaine #Cellulairement #PoésieFrançaise
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