Je suis né à Montevideo, mais j'avais à peine huit mois que je partis un jour pour la France dans les bras de ma mère qui devait y mourir, la même semaine que mon père. Oui, tout cela dans une même phrase. Une phrase, une journée, toute la vie, n'est-ce pas la même chose pour qui est né sous les signes jumeaux du voyage et de la mort ? Mais je ne voudrais pas ici vous parler de la mort.
Une phrase, une journée, toute la vie, n’est-ce pas la même chose pour qui est né sous les signes jumeaux du voyage et de la mort
Montevideo est belle et luisante. Les maisons peintes de couleurs claires, rose tendre, bleu tendre, vert tendre. Et le soleil monte sur les trottoirs
La vitalité du gaucho est insondable. L'un d'eux se meurt d'un coup de couteau dans la poitrine. Le prêtre, après l'extrême-onction, lui demande ce qu'il pourrait lui offrir.
- Un churrasco (un beefsteak), dit l'agonisant aux yeux déjà vitreux.
Et le voilà qui mange et ressuscite.
Le gaucho boit rarement de l'alcool mais le maté lui en tient lieu. Vertus de cette infusion verte, verte et amère, que l'homme des champs prend généralement sans sucre dans une courgette, à l'aide d'un chalumeau de métal.
Etrange maté qui s'insinue dans tout le corps où il fait des siennes : diurétique, laxatif, il excite le cerveau et ralentit les battements de cœur. Il remplace les légumes que le gaucho ne cultive pas (il n'a rien du jardinier). Le maté lui permet de se nourrir exclusivement de viande.
Et il exalte ! Il s'empare de l'âme même de l'homme et s'y installe. Grâce à lui on regarde, comme s'il était devenu un étranger, l'homme d'avant le maté, l'humble homme, chair lasse, éteinte, de tout à l'heure.
C’est dans la campagne Uruguayenne que j’eus pour la première fois l’impression de toucher les choses du monde, et de courir derrière elles !