Une anémie réfractaire révèle chez Adam une leucémie aiguë myéloblastique, un mois avant son cinquième anniversaire. L'admission d'urgence est suivie en quelques heures du diagnostic, de l'annonce d'un risque vital et de celle d'une hospitalisation qui pourrait durer un an. Coup de poing, coupure du monde aggravée par l'apparition contemporaine de la pandémie Covid-19, enfermement dans une chambre petite et nue, cycles d'aplasies induites par la chimiothérapie, échecs, passage dans la bulle d'une unité stérile, accord de la soeur pour un don de moelle, transfert médullaire, encore des jours d'attente dans la crainte d'une réaction du greffon contre l'hôte, enfin sortie après 158 jours d'hospitalisation. Voilà pour les faits cliniques.
Le sujet est l'abime où chute
Laurence Tardieu, mère, autrice et narratrice, le basculement de sa vie, sa sortie du monde, la lutte vitale avec son fils qu'elle accompagne sinon dans la totalité de son temps, du moins dans la totalité de ses pensées, la confiscation de toute action extérieure, de tout projet, de tout partage hors du corps souffrant mère-fils. Et encore la terreur des jours mauvais de fièvre suspendue, de cachexie, de collapsus, de soins douloureux ou d'annonces abruptes, au gré des imprévus du mal. Et pourtant l'interaction bienfaisante, technique, morale et affective, des acteurs admis à l'entourer : les soignants exemplaires, le mari, celle des interdits de séjour présents par le téléphone portable, son amie, ses filles, son père.
L'écriture est rapide, aiguë, intense. La transcription des pensées médusantes, celles qui s'articulent difficilement et les plus difficiles à vivre, est faite de sauts de lignes :
« alors tournant brusquement la tête
je vois
j'aperçois
Kevin
Le grand Kevin
portant sur son épaule gauche
un long paquet enveloppé dans un drap jaune
et il me faut une fraction de seconde pour comprendre que ce paquet
c'est Adam ».
Au-delà de la narration, l'autrice nous indique le devoir des proches. Pas d'expression de la sympathie, cousine de la condoléance, mais s'ils le peuvent une écoute fidèle et sincère. À ceux qui affrontent l'épreuve, elle enseigne à reconnaître de modestes alliés (chez elle le yoga, le vélo, la lunchbox), accepter qu'on puisse perdre le combat, et chercher peut-être le réconfort d'une autre dimension (« Seigneur, Seigneur, pourquoi m'as-tu abandonnée ? », « le combat des forces de la vie contre la mort », « la force bouleversante et irrationnelle d'une présence invisible », et quand elle retrouve sa force : « Tout était splendide et déchirant, j'étais là, parfaitement là, au coeur de l'été souverain je nageais dans la mer, la présence invisible d'Adam me brûlant les entrailles, et il me semblait qu'en cet instant précis, quelque chose tenant à l'ordre du monde avait été restauré »). L'auteur exprime encore au corps soignant du CHU Robert Debré sa reconnaissance pour l'intelligence du coeur, le savoir et son partage, l'acceptation du doute, c'est-à-dire toutes les faces de l'empathie. Ce livre peut être recommandé aux infirmières, psychologues, kinésithérapeutes, internes et médecins chevronnés — en fait tous les personnels contact — pour en enseigner le prix.