Après avoir réussi à écouler 57 exemplaires de son premier roman, Franck Thomas cherche à faire éditer le manuscrit qui, croit-il, va lui apporter la célébrité : le Père Goriot Exorciste. Pour survivre, il est amené à écrire les textes d'un album jeunesse et est entraîné dans une difficile collaboration avec l'illustratrice. On assiste à ses tribulations entre éditeurs, agents, Amazon, alors qu'une nouvelle rivalité se fait jour : celle de l'intelligence artificielle auteur de romans… ● Je croyais m'embarquer pour une savoureuse satire du monde de l'édition et je me retrouve avec une potacherie kitsch et grotesque. En fait, si ce livre avait été bon, il aurait été publié aux éditions de Minuit. Tout est là : une ironie constante, le jeu entre la réalité et la fiction, les interventions de l'auteur démiurge, l'écriture qui se déroule sous les yeux du lecteur, le détournement des codes du roman racontant l'histoire d'un écrivain en butte à l'édition. Seulement voilà : si tout est là, tout est raté. On ne croit pas une seule seconde aux personnages qui sont tous des caricatures ridicules. La loufoquerie tourne au mauvais goût. Les plaisanteries sont grotesques, les jeux de mots affligeants. On imagine ce qu'un Echenoz aurait pu faire et on est navré de ce que Franck Thomas a fait.
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Père Goriot exorciste, voila le second roman de Franck. Il en est sûr, son nouveau roman est un chef d'oeuvre, pourtant son éditeur vient de le virer de son bureau. Il va donc devoir trouver une autre voie pour faire connaître à la France entière, au monde entier même l'étendue de son talent.
Fauché, incompris et solitaire, il est obligé d'accepter une mission qui ne lui plait pas : accompagner une jeune illustratrice en lui écrivant ses textes. Au-delà de la littérature, l'amour pourrait bien prendre un petite place dans cette histoire.
Ce roman est un petit ovni pour moi, il casse un peu mes habitudes de lecture. le récit complètement farfelu, avec un ton sarcastique et plein d'humour frôle la pastiche ou la satire. le monde de l'édition, les auteurs, lecteurs, éditeurs y sont décrits avec beaucoup d'originalité, de fantaisie et peu de crédibilité (les scènes au début du roman au coeur du salon Livre Paris sont justes exceptionnelles).
Franck est juste insupportable, plein de suffisance et d'arrogance. Pourtant j'ai refermé ce livre avec presque un peu d'attachement pour lui. Les personnages secondaires semblent sortir d'on ne sait où et sont de belles caricatures du monde de l'édition. Mais si derrière cette ironie se cachait finalement quelques réalités du quotidien des auteurs ?
Le style est agréable, j'ai vraiment passé un bon moment de lecture. J'ai souri à l'accumulation de péripéties peu crédibles et loufoques. La façon dont l'auteur interpelle le lecteur peut sembler déstabilisante mais ne l'est pas tant finalement, j'ai beaucoup aimé ce procédé. le final pourrait presque faire passer ce texte pour une jolie romance, alors qu'on est très très loin.
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Un roman qui se veut plonger au cœur de la réalité éditoriale, écrit dans une langue électrique et saccadée où les scènes toujours très détaillées s’enchainent jusqu’à parfois vous couper le souffle ; mais qu’importe, c’est finalement une question de rythme.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Mais une autre main plus sèche encore me coupe brutalement l’appétit en m’expédiant à l’intérieur d’un taxi qui démarre aussitôt. Sur la banquette arrière, à mes côtés, le feutre se soulève, la gabardine s’ouvre: mon étrange inconnu est une femme d’une quarantaine d’années. Elle lance un œil rapide dans le rétro.
— Vous pouvez enlever les postiches. Le danger est écarté.
Je me retourne. À travers le pare-brise arrière, William Belhomme le vendeur de liberté lève vers nous un poing vengeur, tandis que les feuilles de mon ultime dernier recours se noient dans le caniveau.
— Vous n’êtes pas le premier qu’il essaie d’escroquer. Tous les jours, il est là, à guetter les auteurs qu’il s’apprête à racketter, à cent mètres de chez Grasset. Et moi, je guette à cent mètres derrière lui. C’est ce qu’on appelle la chaîne du livre. Parce que vous avez bien compris que tout ce qu’il vous promettait, c’est vous qui alliez le payer de votre poche, n’est-ce pas? Vous avez failli être le maillon faible, mais ne vous en faites pas, je suis là maintenant pour défendre vos intérêts.
Sous mon nez se tend une main dont j’ai déjà éprouvé la fermeté.
— Agent Smisse, à votre service. Nathalie Smisse.
La main se dégage.
— À partir de maintenant, tout passe par moi. Vous ne parlez plus à personne sans mon autorisation, vous ne signez évidemment rien sans mon autorisation et vous n’écrivez plus une ligne supplémentaire avant d’avoir touché le chèque correspondant. Je prends dix pour cent sur tous vos revenus, adaptations et produits dérivés compris, et dans tous les cas c’est vous qui payez les taxis.
Elle se tourne vers moi.
— Bon, vous me le filez ce roman, ou je rappelle Guillaume Musso pour lui dire que j’ai du temps à lui consacrer finalement?
INCIPIT
— Franck, je ne comprends pas.
Je suis face à Goliath M., président des éditions Deus Ex Machina. Mon éditeur.
— Non vraiment, je ne comprends pas. On avait une bonne lancée. Un truc qui marchait. Quelque chose de sûr. Un auteur, quoi. Tu avais ta place pile entre la chick-lit de Siegfried et la dark fantasy de Pauline. Bon, 57 exemplaires vendus pour un premier roman, c’est pas le Graal, mais ça laissait une marge de progression appréciable. C’est un risque que je voulais prendre. Je t’avais soigneusement réservé le créneau de la satire, et je crois que tu ne t’es pas bien rendu compte de l’ampleur des sacrifices que cela représente. Tu vois cette pile par terre, qui dépasse mon bureau ? C’est la dose quotidienne des manuscrits satiriques reçus. Rien qu’aujourd’hui ! Et rien que les satiriques ! Regarde ! Une montagne où se terrent des pépites qui ne demandent qu’à être dénichées, et que j’envoie depuis six mois tous les soirs aux ordures, parce que c’est à toi que j’ai choisi de faire confiance pour porter haut les couleurs de la maison sur le terrain de la raillerie sociétale. Et qu’as-tu fait de cette confiance ? Tu peux me le dire, Franck?
Je pourrais essayer, mais il ne m’en laisse pas
le temps.
— Tu l’as trahie.
S’écrase entre nous le manuscrit que je lui ai remis deux jours plus tôt.
— Tu peux me dire où est le chef-d’œuvre promis? J’ai bien cherché, je te jure, mais crois-moi, il n’y en a pas une ligne dans cette soupe. C’est quoi, ce machin informe? Et c’est quoi, ce pseudonyme ridicule: «Grimhal»? Est-ce que je t’ai demandé de me pondre sous un nom absurde une bouse hérético-historico-horrifique que même L’Harmattan n’aurait pas l’audace de sortir la veille du dépôt de bilan? Est-ce que je t’ai appelé pour te dire : « Allô Franck, mes bouquins ont un peu trop de succès, je commence à rouler sur l’or, arrête immédiatement le hit que t’es en train de produire pour plancher plutôt sur une resucée de classique que les profs de français depuis un siècle ont réussi à faire détester à la quasi-totalité de la population française»?
Piqué par sa propre ardeur, il s’éjecte de son siège et perd presque l’équilibre. J’aimerais bien l’aider, mais je ne trouve rien de mieux à lui soumettre en cet instant qu’un silence courtois : il n’en a pas fini, je le sens bien, et je ne voudrais pas le couper dans une de ses litanies dont il a le secret.
— Je n’ai plus rien à te dire. Adieu, Judas.
Ah, tiens non. Je me serai décidément trompé jusqu’au bout. Il me tend une main molle, détourne le regard et je n’ai plus qu’à prendre la porte, mon manuscrit sous le bras.
C’est fini. J’ai perdu mon éditeur.
La chair de ma chair, le cri de mes entrailles est à présent sans maison, sans parrain, sans avenir.
Je suis un peu sonné, mais pas plus inquiet que ça. Un éditeur, c’est comme un videur de club: lorsqu’il te refoule, c’est qu’il est temps d’aller écouter les chansons répétitives du voisin. Et comme il y a plus de gens encore qui aiment écrire que danser, je sens que je ne suis pas près, dans ce domaine, de manquer de boîtes aux portes desquelles aller faire la queue. Ce n’est pas parce qu’un type avec un peu de pouvoir te met dehors, sous le prétexte qu’il n’aime soudain plus la couleur de tes chaussures ou de tes métaphores, qu’il faut se remettre intégralement en question et perdre foi en son mojo.
À peine rentré dans l’appartement poussiéreux que j’occupe depuis bientôt deux ans, je repêche ainsi, juste au-dessous d’un exemplaire corné de mon premier manuscrit, la vieille liste d’éditeurs prétendants composée du temps de ma chaste jeunesse, prêt à repartir à l’assaut. Mais dans ma main, ces feuilles froissées ont soudain le poids du passé. Elles font remonter le souvenir des difficultés traversées, et au fond de ma poitrine, une émotion que je m’étais pourtant juré de bannir à jamais.
Le doute.
Je relève la tête: autour de moi, les étagères qui couvrent l’intégralité des murs débordent de centaines d’ouvrages aux couvertures jaunies, aux noms oubliés, au destin achevé. Tous ces livres qui m’accueillent, et que je n’ai pas lus… Je suis certainement leur dernier compagnon, peut-être le dernier témoin de leur existence furtive : ont-ils reçu le prix des efforts fournis pour les faire exister ? Tous ces auteurs, tous ces inconnus… Ont-ils eux aussi tenté de courir la voie du succès, celle que je m’évertue à vouloir emprunter?
J’attrape le premier volume qui me tombe sous la main. Sur la page de garde, une dédicace: «À Micheline, perle des bibliothécaires et capitaine intangible sur les flots de la médiocrité littéraire.»
Micheline. Elle, ne doutait pas.
Je fouille encore un peu, ressors sa dernière lettre.
Franck,
Une vieille bique comme moi, tu auras su l’apprivoiser. Chapeau. Quand tu m’as apporté ton premier roman, je t’ai envoyé paître comme tous les morveux de ta génération. Mais dès les premières lignes, j’ai su que tu avais autre chose dans le ventre. Je savais que le meilleur restait à venir. À la bibliothèque, j’étais fière que tu me demandes des références, des conseils parfois. Depuis que je suis à l’hôpital, les collègues m’apportent les bouquins, ça va de ce côté-là. Je sais que tu veux me rendre visite, mais je ne suis pas belle à voir, et tu as mieux à faire. Tu ne peux pas t’empêcher de m’envoyer des citations pour me remonter le moral, petit malin, mais ça me donne l’envie de te fiche une rouste. Combien de fois faudra-t-il que je te répète de te concentrer sur ce qui compte vraiment ! Laisse tomber la vieille carne, et sers-lui plutôt ce qu’elle attend : le chef-d’œuvre, bon Dieu de bernique. Tu l’as dans les tripes, il faut bosser pour le sortir, et ça, ça ne peut souffrir aucune distraction.
Puisque ces mots seront mes dernières recommandations, je vais me répéter, parce que je sens bien que c’est nécessaire pour le joli couillon que tu n’as pas fini d’être : oublie l’adolescence, laisse tomber l’amour. L’amour ne sert à rien, tu as un autre destin, et ça s’appelle la postérité. Ne te fais pas aimer par une seule personne, fais-toi adorer par toutes. Le seul amour qui vaille est celui de la littérature. Pour ça, tu dois pouvoir travailler sereinement, te concentrer entièrement sur ton œuvre. J’ai passé tous mes salaires dans ces foutues Gauloises qui me le rendent bien maintenant, mais au moins je peux te laisser mon appartement. Tu verras avec le notaire. J’ai toujours pensé que la vie après la mort ne valait le coup que si elle se passait entre les pages d’un bouquin de Cortázar. Mais maintenant que je sais qu’elle sera dans un chef-d’œuvre de Franck Thomas, je pars beaucoup plus tranquille.
Ta grosse Micheline fumante.
Ça fait plus d’un an et demi qu’elle m’a laissé dans ses affaires, la vieille solitaire. Avec son matou, qu’elle a gentiment oublié de mentionner et dont le nom gravé sur le collier, Sève, indique pourtant le rôle qu’il devait jouer dans sa vie.
Je repense à ce que la bibliothécaire disait à propos du ménage. « Faire la poussière, mais pour quoi faire? Elle reviendra toujours de toute façon, et pendant ce temps-là, je peux lire un bouquin de plus. Faut pas se tromper de combat, Franck, surtout quand on a les meilleures armes, comme toi. Tu es le nouveau Baudelaire, ne l’oublie jamais. »
Peut-être Micheline, mais même Baudelaire doit se taper de racheter des croquettes et changer la litière deux fois par semaine, grâce à toi. Alors qu’il est allergique aux poils de chat. Et que le cliché de l’écrivain avec son minet le fait vomir. Éternuer, plutôt: Sève a bien compris que je parlais d’elle, elle débarque avec le prétexte d’aller se frotter le dos contre les couvertures jaunies, pour me fiche en réalité la queue sous le nez et susciter au passage une crise d’éternuements qui la fait bondir de délicieuse surprise. Je ne peux m’empêcher de la prendre dans les bras.
Micheline, où que tu sois, je sais que tu attends toujours ton paradis. Le premier roman n’était pas à la hauteur, mais cette fois-ci, c’est la bonne, je te le promets. Pas question de flancher. Je ne te laisserai pas dans les limbes. Ce coup-ci, et tous ceux d’après, c’est le chef-d’œuvre.
Un être qui part de zéro, qui cherche sa place dans l'univers de la création, qui se démène comme un diable pour y arriver, qui persiste et persiste et persiste... jusqu'à retomber plus bas que terre, humilié et détesté de tous. Comment ne pas entendre l'écho qui résonne en moi, sur les parois du puits sans fond ? Par un étrange glissement, l'empathie nouvelle que j'éprouve pour Boris me ramène à Julia. J'essaie de ne pas trop réfléchir, de me laisser guider par le mouvement : quelque chose grandit dans mon corps à l'endroit des épines passées, une palpitation douce à la place des piqûres, un souffle imprécis qui m'emmène et m'envole. Je quitte alors les messages de fermeture de compte, les mails de menace, les textos d'insultes pour ouvrir une nouvelle page, blanche et vierge, aussi pure que possible, afin d'y déployer cette émotion naissante dont la fragilité porte le soupçon d'un peu de beauté inconnue.
Maintenant que je m'apprête à être de l'autre côté de la barrière, parmi ceux pour qui on fait la queue sans sourciller, je devrais mieux saisir l'intérêt de la chose.
- Le titre non plus ça ne va pas du tout, continue Smisse. C'est comme fromage et dessert dans la formule : soit c'est Père Goriot, soit c'est Exorciste, mais ça ne peut pas être les deux. Il faut faire simple. Basique. On n'a jamais vu un bistro routier avec des étoiles Michelin, et il y a bien une raison à ça : brouiller le message est contre-productif. S'il y a des cases, c'est pour rentrer dedans. Alors il faut choisir : c'est populaire ou c'est pointu, votre truc ?
Je me dis qu'elle aura la réponse en lisant le truc en question, mais cette étape ne semble pas faire partie de son mode opératoire.
En face de nous, des meutes se dirigent d'un pas impatient vers les entrepôts Viparis accueillant ces jours-ci le Salon du Livre, ou plutôt pardon, désormais "Livre Paris". Quelques communicants ont dû penser qu'il devait être de bon ton de s'affranchir des détails inutiles de la langue pour ne conserver que le massif, le signifiant, le bon béton du discours, "Livre Paris" comme un retour aux sources primitives du langage, une réinvention contemporaine des petites annonces d'antan : hier "Vends mobylette", aujourd'hui "Livre Paris". Un endroit où l'on paie pour avoir le droit de payer des livres.... concept que je n'ai jamais vraiment bien compris, mais c'était, au fond, quand je n'étais que primo-écrivain inconnu.
La fin du monde est plus compliquée que prévu