En rangeant les livres de mon père, je suis tombé par hasard sur un ouvrage que je n'avais pas revu depuis des décennies: "
La sonate à Kreutzer" en édition de luxe. Je me rappelle mon émoi d'adolescent quand j'ai découvert ce livre illustré de reproductions d'aquarelles à caractère érotique.
Le temps a passé, et mon point de vue est maintenant bien différent ! Ce court roman publié en 1889 n'a aucune finalité moralement douteuse. Au contraire il fustige non seulement la débauche, mais aussi le mariage, et il fait même l'apologie de l'abstinence sexuelle ! Pour mettre le lecteur en condition, Tolstoï met en exergue un verset de l'Evangile de Matthieu condamnant sans appel la concupiscence.
L'histoire racontée par le narrateur concerne un certain Pozdnychev qui, par jalousie, a tué son épouse. le titre du livre fait référence à la fameuse sonate de Beethoven qu'ont jouée l'épouse de Pozdnychev (pianiste) et son amant supposé (violoniste). Mais "
La sonate à Kreutzer" ne cherche pas vraiment à décrire les affres de la jalousie. Elle vise surtout à remettre en question l'institution du mariage. Selon l'auteur, le lien conjugal est condamné presque fatalement à s'étioler, à susciter la frustration, avant de déboucher sur l'adultère et le divorce. Tolstoï est encore plus virulent, quand il met sur le même pied les femmes mariées et les prostituées, par exemple.
Au cours de sa longue existence, l'écrivain a pris des positions de plus en plus extrémistes dans tous les domaines: moral, religieux, social... Si pertinentes que soient les critiques à l'encontre du mariage tel qu'il était (et est encore), je n'apprécie pas le caractère trop radical du rejet de tous les us et coutumes de la société. Quand il a écrit ce livre, Tolstoï commençait à être le vieux fou idéaliste qui a terminé sa vie par une surprenante fugue hors de son domicile. Je me permets d'ajouter encore une autre critique: dans la seconde partie de sa vie d'écrivain, l'auteur a écrit ce que je considère comme des romans "à thèse", et je les trouve assez mal écrits et plutôt assommants.
Après ce commentaire acide, je voudrais croire que les admirateurs de Tolstoï me pardonneront mon outrecuidance !