De
la Mort d'Ivan Ilitch nous n'en saurons pas grand-chose, sauf à considérer que cette mort n'est pas celle que l'on définit biologiquement (et encore de manière houleuse) comme l'arrêt des fonctions cardiaque, cérébrale et/ou respiratoire, mais qu'elle est plutôt toute cette étape de la vie qui précède la fin.
Nous ne sommes pas dans Guerre et Paix, loin s'en faut. Là où
Leon Tolstoï s'attardait des chapitres entiers à décrire le moindre fait anodin de la vie de ses personnages, il s'essaie ici à plus de brièveté. La forme de la nouvelle participe au discours ; puisque
Leon Tolstoï cherche à dévoiler l'insignifiance d'une existence, autant la réduire à quelques étapes marquantes et dissoudre le reste dans la fosse de néant qui échoit à chacun. Pour autant,
Leon Tolstoï parvient à rester éloquent. En quelques dizaines de pages, il met pleinement à contribution ses personnages et s'ingénie moins à faire le procès de l'absurdité qu'à se moquer de l'hypocrisie bourgeoise.
Ce n'est pas du mépris ni de l'aversion que
Leon Tolstoï semble éprouver pour cette classe sociale mais plutôt de la pitié. A travers Ivan Ilitch, toute l'inconsistance d'un parcours, inconsciemment dicté par les règles de la convenance et par le souci d'exceller au détriment de son prochain, puis de soi-même, se révèle peu à peu au cours d'une crise de lucidité qui démarre en même temps que la déchéance du personnage. Ivan Ilitch serait-il mort brutalement, par accident ? Il n'aurait jamais douté de la justesse de sa vie et serait resté à jamais bienheureux. Pourtant, son existence n'était pas des plus joyeuses. La vie conjugale lui procurait bien des désagréments -mais il accusait le mauvais caractère de sa femme, sans jamais se remettre en question. Sa profession lui procurait beaucoup d'honneurs et de prestiges dont il en tirait une grande fierté -mais il ne pensait jamais qu'il construisait sa réputation au détriment d'un grand nombre de ses congénères. Sa vie sociale lui paraissait riche et satisfaisante -et il ne devinait pas le désintérêt qu'éprouvaient pour lui ses camarades.
Heureusement, la maladie arrive qui, en retirant
Ivan Illich de la vie active, lui permettra de revenir sur son existence, d'en examiner la progression et d'analyser la raison de chacun des choix qui l'ont conduit à devenir l'homme qu'il est. Malheureusement, la maladie arrive, qui obligera Ivan Ilitch à prendre conscience de la superficialité de ses relations et de sa profonde solitude –à moins qu'elle ne soit inhérente à tout homme ?
Leon Tolstoï se moque d'Ivan Ilitch : il arrache d'un coup son costume de magistrat pour mettre à nu le pauvre petit garçon pleutre et veule qu'il a toujours été. Dans la maladie, il aurait aimé être cajolé, chéri et soigné avec toutes les attentions qu'il croyait mériter. Au lieu de cela, l'hypocrisie bourgeoise préfère taire sa mort prochaine. Plus que de sa maladie, Ivan Ilitch se désespère de l'indifférence de ses semblables, qu'il commence peu à peu à haïr.
Avec le temps,
la Mort d'Ivan Ilitch a peut-être perdu un peu de sa puissance : aujourd'hui, qui croirait encore aussi fermement que le personnage qu'une bonne situation familiale et professionnelle est forcément signe de réussite ? La naïveté d'Ivan Ilitch est parfois trop grande pour être vraiment crédible, mais permet cependant de mettre en place des scènes où l'humour cynique et cruel de
Leon Tolstoï se déchaîne pour notre plus grand plaisir. le clivage entre l'hypocrisie bourgeoise et le bon sens paysan est également trop marqué pour ne pas être réducteur, même s'il permet de dévoiler une facette plus tragique d'Ivan Ilitch.
Quoiqu'il en soit, Ivan Ilitch nous aura bien fait tourner en bourrique. Sa mort est longue et s'évertue consciemment à détruire peu à peu chaque étape de son existence. Et puis, enfin, Ivan Ilitch meurt. Qu'y a-t-il après la mort ?
Leon Tolstoï balaie d'un revers de main toute considération eschatologique : après la mort, il n'y a rien d'autre qu'un ballet comique de bourgeois, qui viennent se signer devant le cadavre d'un homme parmi tant d'autres avant de retourner jouer au whist ensemble, autour d'une table et de boissons.
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